Portrait - La tension hospitalière ? Elle est partout, c’est une réalité

Publié le 07 Feb 2024 à 10:22
Article paru dans la revue « ISNI / ISNI » / ISNI N°31


En MG à Lyon et en chirurgie digestive et viscérale à Tours, Marie-Aude et Jean-Emmanuel font face à la désertification médicale. Pendant leur parcours d’interne, ils ont vécu plus d’une fois la pénurie de seniors, de co-internes, de moyens, de temps. La désertification n’est pas seulement « médicale », elle est générale.

« Toute la région est sinistrée sur le plan médical », commente d’emblée, Jean-Emmanuel Langdorph, interne en 5e semestre en chirurgie digestive et viscérales à Tours où il est président des internes. «Je me souviens de mon stage en Chirurgie Pédiatrique. Quand il fallait rédiger des courriers à l’attention des médecins traitants, on réalisait alors combien de patients n’en avaient pas… ». Il souligne la tension en pédiatrie qui perdure dans la région avec la fermeture et la saturation progressive des urgences des CH alentours, ce qui ajoute une pression supplémentaire aux urgences pédiatriques du CHU tourangeau. « Parfois, il y a 200 km qui séparent le lieu de résidence de la famille et notre CHU… ».  

Du côté des urgences en Haute-Savoie, la situation n’est pas meilleure. «  C’est surtout aux urgences que la désertification médicale m’a vraiment marquée. Les patients arrivent dans un état catastrophique, incurique, et on découvre au scanner qu’ils ont un cancer métastasique. Quand on s’étonne qu’ils n’aient pas consulté avant, les patients nous répondent qu’ils ont effectivement perdu 10 kg récemment mais qu’ils n'ont pas de médecin traitant, qu’ils ne savaient pas…  », témoigne Marie-Aude de Failly, interne en MG en 5e semestre à Lyon Sud et actuellement en inter-Chu à Tahiti.

Marie-Aude de Failly, interne en MG en 5e semestre
à Lyon Sud et actuellement en inter-Chu à Tahiti

Lors d’un autre stage en urgences pédiatriques, elle raconte combien le manque de médecin généraliste altère le comportement de certaines familles. Et de raconter cette maman qui vient dans la nuit pour sa fille de 2 ans suite à un choc sur le pied, sans gravité,

« la maman en profite alors pour nous demander de renouveler l'ordonnance pour la Ventoline® comme si elle faisait ses courses… sûrement parce qu’elle n’a pas forcément accès facilement à son médecin traitant mais c’est une maladie chronique, elle aurait pu anticiper, prendre un rdv avant la fin de l’ordonnance…  ».

Obliger de trier les patients aux urgences

L’interne en MG se désole du manque de moyens qui oblige à « trier » les patients à l’hôpital. « On trouve des masses chez certains patients aux urgences mais, faute de lit d’hospitalisation, on ne peut pas toujours les prendre en charge immédiatement, alors on les reconvoque à distance… Aux urgences on est là pour débiter des patients, si le patient est stable on le ré-adresse à son médecin traitant, on n’a pas le choix », regrette-t-elle. « Le problème c’est qu’en France on nous apprend à soigner mais plus à prévenir les maladies, on est vraiment nul en prévention, ça n’intéresse personne, on résume les généralistes à la bobologie alors qu’on pourrait faire tellement plus si on avait le temps et la formation… » souligne Marie-Aude.

Dans le secteur lyonnais, la tension sur les médecins généralistes est omniprésente. Marie-Aude a effectué trois stages en cabinet. « Je me souviens d’un appel d’un homme de 30 ans qui souffrait de rectorragie et cherchait un MG désespérément. Mais ma praticienne ne pouvait prendre aucun nouveau patient… Je ne sais même pas si le patient se doutait de la gravité qui pouvait se cacher derrière ce symptôme…». Un autre praticien, à Villeurbanne, se limitait à 1000 patients avec la stratégie de « blacklister les patients au bout de deux lapins ». Quant au dernier MG, à Bourgoin-Jallieu, c’était une exception. Pourquoi ? « Il acceptait tout le monde ! ». En précisant que la situation était différente car il exerçait en maison de santé avec trois autres praticiens. Au-delà du manque de praticiens, la MG est aussi, parfois, à bout, en compressant le temps passé auprès des patients pour répondre aux charges administratives. « Si on nous simplifiait l’administratif, on pourrait passer plus de temps avec les patients, et c’est ce pourquoi nous faisons ce métier ! ». Un constat qui est vrai aussi dans le monde hospitalier. En stage en gynéco, elle se souvient d’avoir « passé plus de temps à écrire les comptes rendus que faire les consult’ ! ».



Jean-Emmanuel Langdorph, interne en 5e semestre
en chirurgie digestive et viscérales à Tours

Une formation de qualité dans tous les services, c’est trop demander ?

Les internes en médecine sont une nouvelle fois appelés par les autorités à combler les trous comme s’ils étaient des rustines. Marie-Aude refuse cette quatrième année en MG, qu’elle juge non formatrice dans les conditions actuelles, avec cette justification de « lutte contre la désertification médicale  ». Jean-Emmanuel, lui, s’inquiète de voir certains services hospitaliers réclamer plus d’internes alors que l’encadrement est insuffisant voire incompétent. « Notre défi c'est d’assurer une formation de qualité pour tous et partout. Cela fait grincer des dents quand je le dis mais il faut être conscient que la formation et l’encadrement n'est pas la même dans tous les services  », souligne-t-il. L’interne de Tours ajoute : « Il faut toujours trouver l'équilibre entre le sur-étudiant et la sur-autonomie en stage  ».   

Au-delà de la qualité de l’encadrement, exercer en province est contraignant par des terrains de stage éloignés. Et ce désertification médicale ou non. Jean-Emmanuel nuance en pointant plutôt la désertification de moyens pour assurer aux internes des conditions de travail décentes. « Dans combien de villes n’y a-t-il pas d’internat ? Et quand il y en a un, quel est le ratio de places disponibles ? », interpelle-t-il. « Il faudrait faciliter davantage l'installation et le logement, je considère qu'il s'agit de décence quand on économise sur la main d'œuvre de l’interne  » , expose Jean Emmanuel. « Comment fait-on pour bien travailler avec 90 heures par semaine si nos conditions de logement ne sont pas bonnes ?  ».  Même constat pour Marie-Aude : « À 26 ans on vit dans des bâtiments vétustes avec des sanitaires communs sans possibilité de se cuisiner des repas faute de plaque de cuisson ou de four fonctionnel…  ».

Bureau des internes de Tours 2022-2023

Un désert médical peut-il être attractif ?

La désertification médicale induit la question de l’attractivité des territoires. « Je suis arrivé dans un territoire où c'est difficile depuis plusieurs années. Que peut-on faire pour bouger les choses à notre petite échelle ? Notre situation face à la désertification médicale est un vrai casse-tête chinois mais c'est passionnant », fait valoir Jean-Emmanuel. À la question de l’attractivité médicale, il préfère le terme d’attractivité régionale. « Un médecin qui s'installe c'est une famille ou une future famille qui s'installe, avec un travail pour le conjoint, des écoles et d'autres médecins !  ». 

Pourquoi Jean-Emmanuel a-t-il choisi Tours alors qu’il est Parisien ?  Sa réponse au tac-au-tac : « Parce qu’il y a un gros centre de transplantation hépatique et une formation en chirurgie hépato-biliaire de qualité ! ». En plus du pôle d’excellence, la proximité géographique avec la capitale fut un autre point fort. « Je voulais voir autre chose sans être trop loin », précise-t-il. Président du Syndicat des Internes de la région Centre-Val de Loire, il souligne aussi la spécificité de cette région face à la désertification médicale et la bascule de l’établissement d’Orléans en CHU avec de nouveaux équipements, de nouveaux terrains de stage et de nouveaux internes. « On veut 150 nouveaux internes dans 3 ou 4 ans pour le nouveau CHU. Si on ne fait pas d’efforts pour les recruter, pour les former mais aussi pour les garder, on se retrouvera sans installation d’internes formé sur place, et sans installation d’internes formé dans une région jugée de l’extérieure peu attractive, contrairement à certaines zones comme Marseille ». 

Selon lui, l’un des leviers contre la désertification médicale est de faire découvrir aux internes le maximum de terrains de stage, « un interne en médecine ne s'installera pas dans un endroit où il n'est pas passé ». Passer dans des services différents, dans des villes ou régions différentes et ce dans de bonnes conditions de travail et d’encadrement bien sûr.  « On retournera dans un endroit où l’on a eu de bonnes conditions et ces bonnes conditions c'est l'accueil, le logement et l'encadrement ». Mais Marie-Aude rappelle que ces déménagements incessants entre les régions peuvent également être épuisants et sources de mal-être « j’en suis à mon 5ème déménagement en 2 ans, ça m’a permis de découvrir de très belles régions mais sur le plan personnel c’est très difficile de devoir recommencer à zéro tous les 6 mois dans une nouvelle équipe, une nouvelle spé, devoir se faire de nouvelles amitiés… Il n’y a aucune stabilité dans la vie d’un interne, nous sommes là uniquement de passage sans aucun point d’attache, c’est difficile moralement ». Pour Marie-Aude, la question de l’attractivité n’est pas celle d’une ville ou d’une région, mais celle de son épanouissement personnel qui passe aussi par une pratique qui lui ressemble « Je veux me réapproprier mon métier, je me suis donnée encore 5 ans. Si je ne suis pas heureuse dans mon exercice professionnel, alors je changerai sans hésiter… ».

 

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Publié le 1707297759000