Portrait : du Kimono à la blouse

Publié le 13 May 2022 à 15:20


James Proietto, 26 ans, est à sa manière bilingue, passant du syndrome fémoropatellaire à l’Ushi-mata, de l’anatomie aux prises du judo. Portrait de cet interne en médecine générale sur ses terres nancéennes.

Tout commence par un salut. Celui du tatami, incliné face à son adversaire ou celui à l’entrée du cabinet médical, poignée de main franche avec le patient. James Proietto, 26 ans, interne en MG à Nancy, navigue entre deux univers. Chaque mercredi soir, il essaye de quitter le dernier patient « pas trop tard » pour son entraînement de judo. Il défendait encore les couleurs de son club (Neuves-Maisons), début mars dernier, lors des championnats du Grand-Est à Sarrebourg. Le même club où il a commencé il y a 20 ans, amené par son père qui souhaitait canaliser l’énergie et l’anxiété de James. « En Judo, comme dans les autres arts martiaux, le respect est fondamental. On apprend aussi à maîtriser notre corps », fait-il remarquer. Il se prend rapidement au jeu, passant d’une ceinture à une autre, remportant les combats avant d’obtenir, en 2012, le titre de champion de France des moins de 60 kg. Un aboutissement. « Ensuite il a fallu faire un choix : le sport ou les études car les plus hautes structures d’entraînement, dont l’INSEP, permettent difficilement de lier les deux. Très peu de personnes, dans ce sport, gagne leur vie », confie-t-il.

Après une filière sport/étude au pôle France de Strasbourg, il s’oriente vers le métier de kinésithérapeute avec le passage obligé de la PACES. Bon élève mais peu studieux, il est confronté à la masse de travail de la première année. « Heureusement, je travaillais avec une amie qui, elle, était très organisée ! », se souvient-t-il. Très bien classé, il choisit finalement médecine tout en continuant le judo les quatre premières années de médecine. Avec le recul, il sait aujourd’hui qu’il a réussi son externat et les ECN grâce à son parcours de sportif : « toutes ces années de judo m’ont permis de bien me connaître et à repousser mes limites, à gérer le stress et mes émotions, analyse-til. J’ai aussi compris ce que l’on n’apprend pas à l’école : il y aura toujours un plus fort que soi mais que ce n’est pas une raison pour abandonner. Il faut garder confiance, le mental fait la différence. »

Toutes ces années de judo m'ont permis de bien me connaître et à repousser mes limites, à gérer le stress et mes émotions.

Passionné et acharné
C’est ce mental qui a mené son équipe à leur dernière victoire, en décembre dernier. Une équipe de 7 « seniors », montée avec des amis judokas en septembre 2019. Car James a de nouveau un peu de temps pour renouer avec les entraînements au dojo. Il revient alors dans son club fétiche de Neuves-Maisons et s’inscrit directement au championnat du Grand-Est. Il n’aime pas faire les choses à moitié. « Nous étions hyper-motivés, je savais qu’on pouvait le faire. On a réussi à sortir les favoris, tenant du titre les trois dernières années, chez eux, à Sarrebourg ! ». En gagnant ces championnats régionaux dans sa catégorie, James et son équipe décrochent un ticket pour participer aux championnat de France 1ère division en mars dernier. Une qualification méritée. Car s’il est un passionné, c’est surtout un travailleur acharné. Un brin perfectionniste quand il évoque la pureté du judo par les Japonais. « En France, on répète les mêmes méthodes d’entraînement depuis des années avec les mêmes erreurs, observe-til. Quant aux japonais, il se dégage une précision et une beauté dans leurs mouvements qui ne sont pas égalées. ». James espère d’ailleurs s’offrir, à la fin de son internat, un stage dans un dojo de l’Empire du Soleil Levant avec son meilleur ami judoka Lucas Schaefer

Un monde hospitalier oppressant
James s’est investi autant dans ses études de médecine qu’en sport pour décrocher la deuxième place de sa promo nancéenne en MG. Une spé qu’il ne regrette pas. « J’avais fait un stage l’été en tant que FFI aux Urgences et j’ai compris que je n’étais pas fait pour le monde hospitalier. Le manque omniprésent de personnel et de matériel m’a oppressé. Il fallait toujours négocier pour trouver une place pour les patients dans l’un des services… une perte d’énergie et de temps au détriment de la médecine… ». Il se tourne alors vers un premier stage en cabinet, tenu par deux médecins généralistes spécialisés en médecine du sport : Dr Kévin Collé et Ludovic Schneider. « Je ne pouvais rêver mieux comme maîtres de stage », affirme James, très serein. « Les compétences médicales, nous les avons. Les patients tiquent un peu par rapport à notre jeune âge et c’est important de se sentir légitime pour ôter le doute, enchaîne-t-il. En revanche, là où je me suis posé pas mal de questions, c’est sur la relation médecin/ patient. Les simulations en cours ne sont pas formatrices. On apprend sur le terrain, je suis très attentif aux conseils des médecins Collé et Schneider sur cette question ».

En médecine générale comme en médecine du sport, James s’intéresse particulièrement à la gestion de la douleur du patient en se détachant un peu du monopole médicamenteux. « On a tendance à surmédicaliser. Je garde une grande diversité d’approches et c’est aussi celle de mes maîtres de stage en faisant appel, si besoin, aux thérapies complémentaires comme l’hypnose, la sophrologie, la kiné et l’ostéo ».

Et dans dix ans, qui sera le Docteur Proietto ? « C’est la grande question de ce début d’internat. Cela dépendra des opportunités qui s’offriront à moi. Un poste de médecin de l’équipe nationale du judo avec beaucoup de déplacements et une vie familiale certainement décousue ? Ou bien l’installation en cabinet médical avec des consultations dédiées au sport et une vie de famille à côté ? Cela se fera naturellement ». L’importance qu’il donne à la famille n’est pas anodine. James vient d’une famille très soudée, entre un grandfrère et deux jeunes soeurs, tous judokas. Une famille qui reste en contact quand James délaisse la blouse pour le kimono pour l’entraînement de judo où il retrouve son père.

Le manque omniprésent de personnel et de matériel m’'a oppressé. Il fallait toujours négocier pour trouver une place pour les patients dans l'un des services... une perte d’'énergie et de temps au détriment de la médecine...

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°25

Publié le 1652448047000