Parole aux Patients

Publié le 25 May 2022 à 12:46

Nouvelle rubrique depuis le numéro 13 de votre journal, Parole au patient vient de notre envie d’aller à la rencontre des patients dans un autre cadre que celui de notre travail quotidien. Pas un entretien, mais plutôt une conversation avec ceux qui ont l’expérience de la maladie, et des soins en psychiatrie.  Dans ce numéro, c’est dans un service de Grenoble que nous avons eu le plaisir d’aller rencontrer MJT, qui a accepté de répondre à nos questions, de nous raconter des petits bouts de son histoire. Nous la remercions de tout cœur

1 - Quel a été votre premier contact avec la psychiatrie ?
 Mon premier contact avec la psychiatrie, j’avais 14 ans. C’était après un long voyage en bateau de la Martinique au Havre. J’avais été malade pendant le voyage, je me plaignais beaucoup du ventre. On a cru que j’avais le mal de mer, j’ai vu des médecins de bord qui ne trouvaient pas ce que j’avais. En face de la cabine de mes parents, il y avait un médecin psychiatre à la Martinique qui rentrait en métropole. Il avait dit à mes parents : «  Si on ne voit rien, c’est qu’elle fait une crise d’angoisse ». Encore maintenant je souffre beaucoup du ventre, et on me dit « c’est psychosomatique ». J’ai su après que ma mère, en rentrant de la Martinique sur le bateau des années avant, avait fait une tentative de suicide. Est-ce que c’est ça dont je me suis souvenu ?

J’ai commencé à me rendre compte que j’avais une maladie mentale, à l’hôpital Sud quand j’avais 17 ans. Je suis tombé malade pour la première fois, après avoir fait une tentative de suicide. J’y suis restée jusqu’à mes 28 ans, à sortir, rentrer, sortir, rentrer. Depuis j’ai connu également l’hôpital de Saint-Egrève, plusieurs pavillons, je les ai fait tous… ça fait 39 ans de psychiatrie maintenant.

2 - Est-ce que vous avez des souvenirs de vos premières hospitalisations, de ce qui vous conduisait à être hospitalisée ?
 Je me souviens avoir eu du mal à supporter les relations dans ma famille, ma mère qui pleurait sans arrêt, mon beau-père qui se fâchait, qui me faisait faire l’entremetteuse. Je n’étais pas rassurée dans ma famille. A cette époque-là, je me faisais du mal sans arrêt. Je me suis mutilée des centaines fois, j’avalais des médicaments, je connaissais les urgences par cœur. Je me faisais mal physiquement pour arrêter ma douleur psychique. Je voulais être la propre chef de ma tête, je voulais choisir la cause de ma mort, devancer la mort pour vivre.

Je me disais « tu as une maladie mentale », que ma tête était atteinte, que je n’arrivais pas à vivre dehors, que j’arrivais pas à travailler, que j’avais peur. Mais je ne m’étais jamais intéressée à savoir ce que c’était ma maladie.

3 - Vous vous y êtes intéressée plus tard ?
Oui, il y a 12-13 ans. J’ai demandé à mon médecin « Docteur, je souffre de quoi finalement ? ». Elle m’a dit que je souffrais de schizophrénie. J’ai demandé ce que c’était. Elle m’a dit : « Vous avez une maladie, vous voyez des choses ». Je vois des cercueils passer, j’entends des voix, mais seulement à chaque fois que j’arrête le traitement ! Quand je rentrais chez moi après une hospitalisation, je me disais « Tu es tellement bien que tu vas arrêter les traitements », et hop ! Trois jours après dans mon appartement, je voyais deux cercueils qui passaient, et j’entendais mon père et mon beau-père qui me disaient « Viens nous retrouver au ciel, viens viens viens ». J’ai des moments où je ne suis pas lucide, elle m’a expliqué que c’est ma maladie qui fait ça.

Parfois j’ai peur, quand j’entends que ce jeune qui a tué un étudiant en pleine ville, il était schizophrène. Mais moi je m’en suis toujours voulu à moi, jamais j’aurais eu l’idée d’en vouloir à quelqu’un.

4 - Que pourriez-vous nous raconter de votre rapport aux psychiatres ?
 J’ai surtout envie de parler d’un médecin, même s’il y en a eu d’autres avant. Je garde ce médecin en mémoire. Elle est arrivée pour la première fois de son internat dans le service où j’étais. Le jour de son arrivée, c’était la dernière fois que je me suis mutilée. Elle m’a dit d’un air en colère « Madame, j’ai horreur de faire des points de suture mais là vous m’y obligez ! ». Le lendemain elle est venue me voir pour refaire les pansements. Elle s’est investie pour moi, et je me suis dit que je pouvais parler à un médecin sans pour autant me faire du mal. Que je pouvais dire « aidez-moi ». Que ce n’était pas la peine de passer par l’acte pour discuter. La petite interne que j’ai vue, elle en menait pas large au début ! Mais je l’ai retrouvée plus tard, chef de service. Elle m’a appris à demander de l’aide. Parfois juste de pouvoir demander à être en présence d’un soignant, sans rien dire, pour m’aider quand je suis mal.

5 - Et votre rapport aux internes, justement ?
Ah les internes ont une grande place dans ma vie ! Parce que j’aime tellement la jeunesse, je me dis que c’est les médecins du futur, qu’il faut leur apprendre. Ça fait 39 ans que je suis en psychiatrie, j’en sais des choses ! Alors ça me fait du bien de parler aux internes, j’ai l’impression de dire mon savoir à des jeunes.

L’interne a aussi une grande place dans notre vie parce qu’il est là aussi pour nous écouter et s’occuper de nous quand on a une douleur physique. C’est important pour moi.

6 - Avez-vous observé des changements à l’hôpital psychiatrique depuis 39 ans ?
C’est plus du tout pareil la psychiatrie ! On tient en compte le respect du patient, sa personnalité, sa dignité. Les pavillons sont propres, le repas est agréable. Avant y avait des dortoirs, on faisait la vaisselle, on faisait le ménage, on travaillait à l’atelier. Je me souviens que la cadre infirmière avait le droit de décider de nous mettre en pyjama et de faire faire une piqûre. Je ne me sentais pas en sécurité.

 Ce qui n’a pas changé, c’est que quand on est en psychiatrie on est mal vus par la famille, les amis, on n’a presque plus personne, on est délaissé, on est oublié…

Mais maintenant, la mentalité a changé, à l’hôpital. Le personnel soignant est très compétant. Et ce qui est formidable c’est quand les gens choisissent de travailler en psychiatrie. Ici, dans le service, on voit que quand l’équipe est soudée, ça fait des patients heureux. J’ai quand même envie de partir dans mon foyer de vie ! Parfois je me dis que je suis ingrate, que je vais les abandonner alors qu’ils font tout pour moi… Mais je vais leur écrire… !

7 - Quel message souhaiteriez-vous passer aux internes qui nous lisent ?
Simplement merci. Merci d’avoir choisi d’aider les gens qui sont malades psychiquement, merci d’être tous différents, et d’être souvent là disponibles pour nous, même si vous avez trop de travail ! Je vois ce qui se fait maintenant, un journal dans lequel on peut s’exprimer… La psychiatrie a vraiment changé. Avant, le patient n’avait pas la parole !

N’oubliez pas
si au cours de votre internat vous avez rencontré des patients qui vous ont profondément marqués , avec qui vous avez échangé, ou à qui vous aimeriez donner la parole, n’hésitez pas à nous contacter, et nous pourrons inclure vos échanges dans la rubrique du prochain Psy Déchainé !

Propos recueillis par Camille QUENEAU
Rédactrice en chef adjointe

Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°15

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