
La place du corps médical dans les châtiments corporels infligés aux enfants
Le 29 novembre 2018 a été adopté à l’assemblée nationale une nouvelle proposition de loi protégeant les enfants contre les violences dites « ordinaires et éducatives » telles la fessée ou la claque. Le but est de créer un interdit social et “d’évaluer les besoins et les moyens nécessaires à la mise en oeuvre d’une politique de sensibilisation, de soutien, d’accompagnement et de formation à la parentalité”.
Malgré de nombreuses études montrant les méfaits du recours à la violence dans l’éducation, le corps médical français n’a pas encore ouvert la discussion sur l’encadrement de cette loi. Des questions persistent face à cette nouvelle législation. Changera-t-elle la relation enfants - parents ? Qu’impliquerait une législation plus stricte ? Prévient- elle les cas de maltraitance sévère ? Enfin, quelle serait la place du corps médical vis-à-vis de cette loi ?
A-t-on une prévention des violences faites aux enfants en France ?
Pour répondre à la question, il convient de séparer maltraitance des autres formes de violence. D’après le colloque national sur les violences faites aux enfants, par le Sénat en 2013, « ce qui constitue la maltraitance c’est la systématisation de la brutalité érigée en système pédagogique et le caractère excessif des actes par rapport à l’âge et aux capacités de l’enfant : on ne gifle pas un bébé, on n’humilie pas un enfant en public ». Cette définition laisse un caractère flou et implique une évaluation « au cas par cas » de ce qui est assez âgé ou capable pour certaines formes de violences. Pourtant, il a été démontré qu’un enfant qui subit « de simples fessées », forme de violence globalement socialement acceptée en France, a sept fois plus de risques d’être victime de maltraitance sévère (1). Aussi, dans 75 % des cas de maltraitance, un contexte de punitions corporelles est retrouvé (2).
Les problèmes d’une prévention médicale telle qu’elle est le plus pratiquée actuellement, c’est-àdire devant une suspicion de maltraitance, sont nombreux. D’une part, un doute existe souvent devant le diagnostic de maltraitance avec une gêne vis-à-vis des parents et de la conduite à tenir. D’autre part, les médecins ont peur de signaler par excès (3). Aussi, prévenir de façon tertiaire implique de venir en aide à l’enfant après qu’une situation de violence soit installée.
Mise en place par le ministère de la Santé et des Solidarités d’une prévention primaire
La protection maternelle et infantile (PMI) accompagne les futures mères et les jeunes enfants. Elle s’articule avec les visites médicales de la médecine scolaire. On peut aussi mentionner les huit séances de préparation à la parentalité. Enfin, le carnet de santé contient des conseils pour les nouveaux parents. Il est mentionné que « les droits de votre enfant sont protégés par des textes juridiques nationaux et internationaux ». On y incite aussi les parents à demander de l’aide lorsqu’ils se sentent dépassés. Enfin, y est inscrit une information sur le syndrome du bébé secoué : « secouer un bébé peut le laisser handicapé à vie » suivi de « en cas d’exaspération : couchez votre bébé dans son lit, quittez la pièce et demandez l’aide ».
Cette prévention reste insuffisante. Prenons le cas particulier de la Suède, souvent pris en modèle dans les droits de l’enfant. Les parents y ont accès à davantage de cours gratuits de parentalité, avant puis après l’arrivée de leur enfant. Un arrêt parentalité plus long, pour les deux parents, pourrait leur permettre de mieux vivre la transition entre grossesse, retour à domicile, et reprise du travail. C’est un moment privilégié pour créer le lien parents-enfant. On peut penser qu’une implication des deux parents dans leur rôle répartit la responsabilité et la fatigue. Enfin, ces mesures de prévention primaire ne sont souvent pas assez appliquées. Les visites de médecine scolaire sont faites seulement dans 71 % des cas en 6ème et, alors que la présence des parents y est souhaitée, elle reste très exceptionnelle.
L’interdiction de la fessée diminue-t- elle l’autorité parentale ?
Prenons l’exemple de l’école en France. Avant l’interdiction de violence envers les élèves en 1991, il était acceptable que les enfants « se fassent taper sur les doigts » ou même « tirer les oreilles », des méthodes sont vécues comme inacceptables aujourd’hui. En dehors de toute implication juridique, il est dans les moeurs qu’une violence faite à l’école, même dans un but éducatif, doit être exceptionnelle ou, de préférence, ne pas exister du tout. Des études montrent que la fessée n’est pas plus efficace que d’autres types de mesures éducatives, pour prévenir les comportements antisociaux (4). Bien que beaucoup d’études ont mis en évidence les vastes méfaits durables de la violence, même symbolique, hors situation d’abus, sur le développement de l’enfant, aucune étude n’a su montrer leur bienfait sur la santé mentale (5).
Comme premier pays dans le monde, la Suède a interdit les châtiments corporels en 1979. Au début, le rôle des maternités, des maisons de santé, des institutions a été central pour aider les parents dans la transition vers une éducation sans violence. Le nombre de plaintes déposées pour violence commis entre les adolescents suédois a augmenté, ce qui peut refléter que le problème a été considéré avec plus d’attention par le grand public. Il n’y a pas plus de personnes condamnées pour maltraitance : l’exigence de l’enquête juridique n’a pas baissé. Cela ne veut pas dire que les enfants ne sont pas aidés. Les services sociaux investiguent toutes les plaintes pour abus, évaluent les besoins des familles en termes de support et ceux de l’enfant en termes de protection, et disposent de mesures préventives.
La loi a avant tout eu un rôle préventif. Cela a eu pour effet une augmentation de l’aide apporté aux enfants, à travers par exemple une augmentation du nombre de structures d’aide. Le nombre de mineurs placés a diminué (6). Les parents rapportent utiliser moins de violence, et ceux qui y ont recours, rapportent utiliser moins les coups à risque immédiat sur la santé physique de l’enfant, par exemple les coups dans le ventre (7).
En France, un essai de loi en décembre 2016
La France a voté une loi interdisant les châtiments corporels en décembre 2016, en modifiant la définition de l’autorité parentale. En janvier 2017, cette loi est censurée par 60 sénateurs Les Républicains, sous prétexte que la loi n’a pas de rapport avec le projet de loi initial. En 2018, une nouvelle loi est proposée, sous forme d’un article unique : « L’enfant a droit à une éducation non violente. Aucun enfant ne peut être soumis à des châtiments corporels ou à toute forme de violence physique ». Pour l’instant, la loi ne prévient aucune sanction pénale.
Aujourd’hui, 55 pays dans le monde présentent une interdiction totale des punitions corporelles, dont 21 au sein de l’Union Européenne.
Dans un dossier thématique du Conseil de l’Europe de 2008, il s’interroge : « Comment peuton attendre des enfants qu’ils prennent les droits de l’homme au sérieux et qu’ils construisent une culture de droits de l’homme si le monde des adultes, non content de persister à les corriger, à les fesser, à les gifler et à les battre, va jusqu’à défendre ces pratiques soi-disant
« pour leur bien » ? Gifler un enfant n’est pas seulement un mauvais exemple de comportement, c’est aussi une puissante manifestation de mépris pour les droits fondamentaux de personnes plus petites et plus faibles que soi. »
La question se pose du rôle du médecin dans l’éducation des enfants
Qui est-on pour dire aux parents comment éduquer leurs enfants ? Est-ce notre rôle en tant que médecin d’intervenir dans l’éducation ?
De multiples études montrent que les châtiments corporels ont des conséquences importantes et durables sur le développement de l’enfant. Les châtiments corporels, sans abus, ont un lien avec des troubles anxieux, des troubles de personnalité, des troubles addictifs à l’âge adulte (8).
Lorsque nous savons qu’une chose est néfaste pour la santé des enfants, est-ce approprié d’en informer les parents ? Une loi protégeant les enfants des châtiments corporels est une question de santé publique. Le rôle des professionnels sur ce sujet est fondamental pour accompagner les familles vers une éducation sans violence. La nouvelle législation défendant les droits de l’enfant à une éducation sans violence pourraient protéger les enfants en amont des moments d’exaspération parentale. L’heure est venue pour les professionnels de santé d’ouvrir le débat sur la question de l’encadrement de cette nouvelle loi.
Anna GERASIMENKO
Interne de pédiatrie à Paris
Bibliographie
(1) Trocmé N, MacLaurin B, Fallon B, et al. Canadian Incidence Study of Reported Child Abuse and Neglect: !nal report. Ottawa (ON): Public Health Agency of Canada; 2001
(2) Clément ME, Bouchard C, Jetté M, et al. La violence familiale dans la vie des enfants du Québec.
Québec (QC): Institut de la statistique Québec; 2000
(3) Beuchot Malzac V. Maltraitance de l’enfant : difficultés des médecins généralistes bitterrois dans la prise en charge : enquête qualitative. [thèse] Montpellier: Université de Montpellier 1; 2011
(4) Do nonphysical punishments reduce antisocial behavior more than spanking ? a comparison using the strongest previous causal evidence against spanking, Pediatrics, 2010, R E Larzelere et al.
(5) Physical punishment of children : lessons from 20 years of research, Joan Durrant and Ron Ensom, CMAJ, 2012
(6) et (7) Never Violence - Thirty Years on from Sweden’s Abolition of Corporal Punishment , Government Offices of Sweden and Save the Children Sweden, 2009
(8) Physical punishment and Mental Disorders: Results From a Nationally Representative US Sample, Tracie O et al. Pediatrics, 2012
Exemple de campagne en Suède contre les châtiments corporels et verbaux dans les années 80 :
Qu’est-ce qui vous prend, mon capitaine ? Vous renversez de la bière sur ma jolie nappe, cria Mme Dupond. Vous devriez avoir honte ! Regardez mes autres invités comme ils se tiennent bien. Sortez de table et allez donc vous assoir dans l’entrée.
Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°17

