Par Clara HELAL
Utilité clinique du séquençage de l’ADN tumoral circulant dans le cancer urothélial métastatique, Poster ASCO 2023.
Introduction
Le cancer de vessie, dixième cancer le plus répandu dans le monde, est le cancer urologique le plus fréquent après la prostate. Le cancer urothélial des voies excrétrices supérieures représente quant à lui 5 à 10 % de tous les cancers urothéliaux. Parmi ces deux localisations, 90 % sont des carcinomes urothéliaux. Au diagnostic, 25 % des patients sont atteints d’une TVIM localement avancée ou métastatique, de pronostic sombre (1).
Bien que le traitement standard de première intention repose sur une poly-chimiothérapie à base sels de platine, le paysage thérapeutique des carcinomes urothéliaux métastatiques a rapidement évolué au cours de la dernière décennie (2). Des inhibiteurs de check-point immunitaire (ICI) sont désormais disponibles pour les patients PD-L1 positifs (atezolizumab) et unfit pour la chimiothérapie à base de platine (pembrolizumab), avec une survie médiane de 12 à 16 mois. L’entretien par ICI (avelu-mab) est recommandé pour les patients dont la maladie n’a pas progressé après une chimiothé rapie à base de platine, avec une médiane de survie passant de 14 à 21 mois. Dans le cas contraire, le pembrolizumab est disponible comme traitement de deuxième intention. L’anticorps conjugué (ADC) enfortumab ve-dotin ciblant la Nectine-4 a montré une amélioration de la survie globale en troisième ligne. Enfin, chez les patients précédemment traités par chimiothérapie à base de platine et immunothérapie, l’inhibiteur du récepteur du facteur de croissance des fibroblastes (FGFR), l’erdafitinib, a récemment démontré une amélioration de la survie globale chez les patients porteurs de mutations FGFR3 ou de fusions du FGFR2/3.
Outre le FGFR, d’autres altérations moléculaires potentielles pourraient être ciblées, car le carcinome urothélial est caractérisé par une fréquence de mutations somatiques nettement plus élevée que d’autres tumeurs solides. Le développement des techniques de biologie moléculaire et en particulier l’essor du séquençage ont constitué une étape essentielle dans la compréhension de la carcinogénèse urothéliale. Ainsi, au sein des TVIM, des altérations génétiques récurrentes ont été identifiées, impliquant notamment les voies de réparation de l’ADN, la régulation épigénétique et le cycle cellulaire, ou encore la voie RTK/RAS/PI3K. Une nouvelle classification dite « moléculaire » basée sur ces altérations génomiques est désormais utilisée pour stratifier les patients, servant de véritable biomarqueur pour l’orientation du traitement (3). Compte tenu de ces applications, chaque patient devrait aujourd’hui pouvoir bénéficier d’une caractérisation génomique. Toutefois, le tissu tumoral de la tumeur primitive peut être difficile à récupérer rapidement, et prélever une nouvelle biopsie d’une lésion métastatique est un geste invasif, rarement réalisable sans risque.
Chez les patients atteints de cancer de l’ADN tumoral circulant (ADNct) peut être détecté dans le plasma au moyen de biopsies dites « liquides », y compris chez les patients atteints étapes nécessaires au traitement et à la conservation du tissu tumoral, d’obtenir rapidement les résultats de l’analyse génomique. Néanmoins, très peu de données sont disponibles concernant la valeur clinique de l’ADNct dans la prise en charge du cancer uro-thélial en situation métastatique.
Matériel et méthode
Les patients atteints de cancers urothéliaux métastatiques ont été inclus prospectivement dans l’étude STING (NCT04932525) de l’Institut Gustave Roussy, au sein de laquelle l’ADN tumoral circulant a été séquencé à l’aide du Foundation One Liquid CDx
Assay (comprenant 324 gènes, la détection de la charge mutationnelle tumorale (TMB), et le statut d’instabilité des microsatellites). Chaque rapport génomique a été examiné et discuté au sein d’un comité multidisciplinaire hebdomadaire, dans le but d’élaborer des suggestions de traitement. Ainsi, les patients inclus dans l’étude et pour lesquels une altération moléculaire a été identifiée ont pu bénéficier de la thérapie adaptée au sein d’essais cliniques de phase I en cours à Gustave Roussy.
Résultats
Entre janvier 2021 et juin 2022, 140 patients ont été séquencés. Le délai médian d’obtention des résultats du profilage moléculaire était de 20 jours (IC95 : [20-21]). Le profil génomique rapporté par l’analyse de l’ADN tumoral circulant était similaire au profil génomique somatique déjà rapporté dans des cohortes sur tissu tumoral. La concordance intra-patient d’échantillons sériels d’ADN tumoral circulant était forte (r = 0,843 IC95 : [0,631-0,938], p<0,001). Au moins une cible actionnable a été détectée chez 63 patients (45 %) avec un total de 35 altérations ciblables, dont le TMB élevé (≥12 mutations/Mb) (N= 39,21,1 %), et des altérations FGFR3 (N= 20, 10,8 %), et HRD (N= 14, 7,6 %). Le comité multidisciplinaire a recommandé une thé rapie ciblée pour 63 patients (45,0 %). Au total, huit patients (5,7 %) ont été traités, avec un taux de réponse global de 50 % (IC95 : 15,70-84,30) et une SSP médiane de 5,2 mois (IC95 : 4,1 - NR). Les altérations FGFR3 ont été associées à une SSP plus courte chez les patients traités par immunothérapie.
Discussion
Dans notre étude, nous avons observé que le paysage des altérations moléculaires obtenu à partir d’ADNct est cohérent avec de précédentes études ayant identifié les gènes impliqués dans la réparation de l’ADN, l’épigénétique, la régulation du cycle cellulaire ou la voie RTK/RAS/PI3K comme étant les gènes les plus fréquemment mutés dans le carcinome urothélial métastatique (3,4). Nous avons également montré que l’utilisation de l’ADNct offre de nouvelles possibilités de thérapie ciblée. En troisième ligne, le taux de réponse global est de 10 % avec la monochimiothérapie (taxanes ou vinflunine), d’environ 30 à 40 % avec l’ADC et de 40 % avec l’erdafitinib (inhibiteur du FGFR) (5).Par conséquent, le taux de réponse de 50 % observé dans notre cohorte semble prometteur, en particulier chez ces patients lourdement prétraités. La détection de cibles exploitables chez 45 % des patients est encourageante, car elle suggère qu’une proportion significative de patients pourrait bénéficier de thérapies adaptées aux alté rations génomiques. On constate néanmoins que la proportion de patients ayant effectivement reçu le traitement suggéré est faible. Ainsi, seuls huit des 63 patients ont reçu la thérapie recommandée, ce qui signifie que 55 patients étaient « unfits » pour un essai clinique. Ceci souligne l’importance de réaliser une biopsie liquide dès le diagnostic de maladie métastatique.
L’abondance de l’ADNct varie selon les patients, les types de cancer et les stades cliniques. Dans notre cohorte, nous avons mis en évidence que l’abondance d’ADNct était corrélée au nombre de sites métastatiques. Ces résultats suggèrent, tout comme de précédentes études, qu’un niveau élevé d’ADNct est associé à une maladie plus agressive (6-9). Toutefois, en ne considérant que les 43 patients ayant bénéficié d’une biopsie liquide en première ligne et en utilisant un modèle multivarié incorporant le score de Bajorin, nous n’avons pas observé d’association entre l’abondance de l’ADNct et la survie globale. Ce résultat pourrait être dû à un manque de puissance (en raison du petit nombre de patients inclus dans notre étude) puisque l’abondance de l’ADNct s’est avérée être un facteur pronostique indépendant pour la SG en première ligne dans une cohorte précédente (10). Enfin, l’analyse de l’ADNct effectuée sur des biopsies liquides pratiquées de façon séquentielle a montré une reproductibilité intra-patient remarquable. Bien qu’il existe des données contradictoires (11), nos observations soutiennent l’idée que l’ADNct patients atteints de cancers urothéliaux métastatiques est une technique reproductible et fiable pour initier rapidement est un test reproductible en pratique clinique quotidienne.
L’ADNct peut néanmoins présenter des résultats faussement négatifs ou ne rapporter qu’une hématopoïèse clonale (12). L’une des limites de notre étude est l’absence de biopsie tissulaire appariée pour valider et comparer nos résultats génomiques sanguins. D’autres limites sont la conception rétrospective et le fait que les biopsies liquides ont été réalisées à des moments différents dans la prise en charge thérapeutique des patients.
Conclusion
Dans l’ensemble, notre analyse démontre que le profilage génomique via le séquençage d’ADN tumoral circulant des patients atteints de cancers urothéliaux métastatiques est une technique reproductible et fiable pour initier rapidement une thérapie ciblant les altérations moléculaires génomiques détectées.
Références
Article paru dans la revue « Association pour l'Enseignement et la Recherche des Internes en Oncologie » / AERIO RIO HORS SERIE N°3