Œsogastrique - Analyse de l’essai neo-aegis

Publié le 19 Mar 2024 à 13:25
Article paru dans la revue « AJCV / Digest’Times » / AJCV N°1


Trimodality therapy versus perioperative chemotherapy in the management of locally advanced adenocarcinoma of the oesophagus and oesophagogastric junction (Neo-AEGIS)

Paru dans le Lancet GHE en 2023*

Résumé de l’article

L’incidence des cancers de l’œsophage et de la jonction augmente mais il n’existe pas à l’heure actuelle de gold standard dans leur traitement entre la radiochimiothérapie néoadjuvante et la chimiothérapie péri-opératoire en cas de tumeur localement avancée.

Dans cette étude randomisée de phase 3, multicentrique (24 centres) publiée dans le Lancet Hepato Gastroenterol en septembre 2023, différents protocoles de traitement néoadjuvant ou péri-opératoire ont été évalué.

Les patients inclus comprenaient des adénocarcinomes classés T2-3, N0- 3, M0 de l’œsophage ou de la jonction et ils étaient randomisés entre une chimiothérapie péri-opératoire (protocole ECF ou EOX ou depuis 2018 protocole FLOT) versus une radiochimiothérapie selon le schéma CROSS. Le critère de jugement principal était la survie globale. Les critères de jugement secondaires étaient la survie sans récidive, l’échec de traitement, les complications opératoires, la toxicité des traitements, le taux de réponse, la résection R0 et l’étude de la qualité de vie.

Entre juillet 2013 et décembre 2020, 377 patients ont été inclus dans l’étude : 184 dans le groupe chimiothérapie péri-opératoire et 178 dans le groupe radiochimiothérapie néoadjuvante.

Avec un suivi médian de 38,8 mois, la médiane de survie globale était de 48 mois dans le groupe chimiothérapie péri-opératoire et 49,2 mois dans le groupe radiochimiothérapie.

La survie globale a 3 ans était de 55 % vs 57 % (HR 1,03 (IC 95% 0,77 – 1,38) p = 0,82).

La médiane de survie sans récidive était meilleure dans le groupe chimiothérapie avec 32,4 mois versus 24 mois dans le groupe radiochimiothérapie (HR 0,89 (IC95% 0,68-1,17) p = 0,41). Le type de récidive, qu’elle soit locale ou systémique n’était pas significativement différent entre les deux groupes.

Le taux de réponse complète, de bonne réponse histologique et de résection R0 étaient significativement en faveur de la radiochimiothérapie.

Il n’existait pas de différence significative sur la mortalité postopératoire, les complications opératoires, la qualité de vie.

Rappel des schémas de traitement existant

Schéma FLOT
Chimiothérapie
par Fluorouracil + oxaliplatine + leucovorin + docetaxel Schéma CROSS
41 Gy + chimiothérapie (carboplatine/paclitaxel)

Schéma EOX
Chimiothérapie par epirubicine + oxaliplatine + fluorouracil + capecitabine Essai MAGIC – schéma
ECF chimiothérapie par EPIRUBICIN + CISPLATINE + FLUOROURACIL

* Reynolds JV, et al. ; Neo-AEGIS Investigators and Trial Group. Trimodality therapy versus perioperative chemotherapy in the management of locally advanced adenocarcinoma of the oesophagus and oesophagogastric junction (Neo-AEGIS): an open-label, randomised, phase 3 trial. Lancet Gastroenterol Hepatol. 2023 Nov;8(11):1015-1027. doi: 10.1016/S2468-1253(23)00243-1. Epub 2023 Sep 18. PMID: 37734399; PMCID: PMC10567579.


Interview du Pr PIESSEN
PUPH au CHU de Lille

Afin de comprendre un petit mieux ce sujet, différentes questions ont été posées au Professeur Piessen, chef de service au CHU de Lille.

Propos receuillis par
Eloïse PAPET,
interne au CHU de Rouen

Eloïse.– : Bonjour Professeur Piessen, je vous remercie de bien avoir voulu répondre à cette interview. Quelles sont les recommandations actuelles dans la prise en charge de ces tumeurs localement avancées ?

Pr Piessen. : Bonjour Eloïse, les recommandations actuelles pour ces tumeurs sont soit la réalisation d’une RCT néoadjuvante suivie de chirurgie avec un protocole de type CROSS soit la réalisation d’une chimiothérapie périopératoire avec du FLOT. Une discussion au cas par cas est nécessaire en RCP avec par exemple le choix en faveur d’une radiothérapie en cas de tumeur volumineuse nécessitant une dowstagging important pour favoriser la résection R0.

Un essai randomisé de phase 3 compare de façon frontale ces deux options (CROSS vs. FLOT, ESOPEC), les inclusions sont finies mais les résultats ne sont pas encore communiqués et permettront de répondre définitivement à cette question qui agite les RCP. De façon intéressante deux études récentes rétrospectives ont comparés ces 2 stratégies et retrouvent des résultats similaires à l’essai NeoAEGIS avec une meilleure réponse histologique au traitement et une survie globale identique (Donlon Ann Surg 2022 ; Kamaradjah Ann Surg 2022). Ces deux études retrouvent néanmoins un risque plus élevé de complications respiratoire dans l’une (Donlon Ann Surg 2022) et cardiorespiratoire et de mortalité dans l’autre dans le groupe RCT (Kamaradjah Ann Surg 2022).

L’élément nouveau récent est, suite à la publication de l’essai Checkmate 577, de prescrire chez des patients ayant eu une RCT préopératoire, opérés à visée curative avec une résection R0 et une persistance tumorale sur la pièce opératoire (non en réponse histologique complète) une immunothérapie adjuvante par Nivolumab pour 1 an et un placebo (Kelly New England J Med 2021) ; Ce traitement a démontré une efficacité sur la survie sans récidive majeure avec un doublement de la survie sans récidive (22.4 mois vs. 11 mois) et une diminution du risque de récidive avec un odds-ratio à 0.69. LA tolérance du traitement est bonne avec un faible impact sur la qualité de vie. Les analyses de sous-groupes retrouvaient une tendance en faveur du groupe immunothérapie pour les adénocarcinomes et pour les tumeurs de la jonction œso-gastrique comme pour les tumeurs de l’œsophage.

Eloïse.– : Pourquoi le protocole de chimiothérapie a-t-il été modifié en cours d’étude ?

Pr Piessen.– : Le protocole de chimiothérapie a dû être modifié en cours d’étude car le standard de prise en charge de ces tumeurs a changé suite à la publication de l’essai FLOT4 qui comparaient une chimiothérapie périopératoire par ECF vs. FLOT pour des adénocarcinomes de l’estomac et de la jonction œso-gastrique et du bas œsophage et qui a montré un bénéfice net en termes de réponse histologique, de survie globale et sans récidive en faveur du FLOT en faisant un nouveau standard incontournable (Al Batran Lancet 2019). Ce changement a donné lieu à un amendement du protocole de NeoAegis. Initialement une hypothèse de supériorité en faveur du bras RCT était posée. Suite à l’amendement, l’hypothèse de l’étude est devenue une hypothèse de non infériorité de la chimiothérapie par rapport à la RCT.

Eloïse.– : Que nous apporte cet article dans notre pratique quotidienne ?

Pr Piessen.– : Au final cet essai compare une stratégie de chimiothérapie périopératoire avec 85 % de patients ayant eu un protocole ancien versus une stratégie de RCT péropératoire sans immunothérapie et ne résout pas pour l’instant le dilemme pour choisir entre ces deux stratégies. Par ailleurs plusieurs essais de phase 3 (MATTERHORN, KEYNOTE-585, FLOT8 dont les résultats ont été présentés à L’ESMO en 2022 et 2023 ont évalué l’intérêt de rajouter de l’immunothérapie à une stratégie de chimiothérapie périopératoire avec un gain en termes de réponse histologique dans les 3 études. Les résultats de survie n’ont été communiqué que dans l’étude KEYNOT-585 avec une étude négative sur son critère de jugement principal de survie sans évènements. On attend les résultats définitifs de ces études qui permettront peut-être d’apporter un bénéfice supplémentaire dans le groupe chimiothérapie périopératoire grâce à l’immunothérapie.

Eloïse.– : Et finalement que peut-on en conclure ?

Pr Piessen.– : La prise en charge des adénocarcinomes œso-gastrique au stade métastatique a été bouleversée par l’arrivée de l’immunothérapie. Au stade localisé, elle vient également d’être validée après RCT néoadjuvante chez des patients en persistance tumorale histologique sur la pièce opératoire. Il faut attendre les résultats des études en cours qui vont probablement modifier les recommandations dans les années à venir. En attendant, les résultats de NeoAEGIS suggèrent qu’une stratégie de chimiothérapie périopératoire versus une RCT néoadjuvante suivie de chirurgie permettent d’aboutir à une survie globale à 3 ans non différente.

 

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Publié le 1710851105000