Nouveau pôle société de l’AERIO

Publié le 22 Feb 2024 à 17:46
Article paru dans la revue « AERIO / RIO » / RIO N°6


L'écriture inclusive : une méthode adaptable et éthique

Elise DOMINJON
Interne d'oncologie médicale

 

Jeanne DUVAL
Interne d'oncologie médicale

 La RIO vous propose une énigme découverte dans le podcast Les couilles sur la table présenté par Victoire Tuaillon (1) : “Un père et son fils partent en vacances. Ils ont un accident. Le père meurt, le fils est amené à l'hôpital. Un médecin de garde se présente et dit : je ne peux pas l’opérer. C’est mon fils.”

Comment est-ce possible ?
Vous pourrez retrouver la réponse à la fin de l’article.

L’écriture inclusive, ou langage épicène, désigne un ensemble de pratiques linguistiques qui cherchent à promouvoir l'égalité de représentation entre homme et femme, via un choix conscient de mots, syntaxe, grammaire ou typographie.  L’écriture inclusive peut prendre des formes diverses : l’utilisation de la combinaison “personne + adjectif” ou bien la manière de désigner un groupe par sa fonction (ex : “les personnes soignées”, “la patientèle”, ou “les patients et les patientes” ou “les patient.e.s”). L’objectif n’est pas de créer une nouvelle norme de langage définitive mais d’ajuster notre façon d'écrire pour une meilleur inclusion et représentation de tous les genres/personnes (2).

Plusieurs auteurs ont publié sur l’utilité de cet effort de rédaction, comme Eliane Viennot, historienne en langage (3), Sandrine Zufferey, Pascal Gygax et Ute Gabriel, psycholinguistes du genre (4).

Dès le début des années 2000, les psycholinguistes ont prouvé que le langage, les mots utilisés et surtout l’association de certains mots entre eux, par leur utilisation répétée (exemple : femme + maison) influencent véritablement notre façon de penser et de percevoir le monde  (5) (6). Il en est de même pour les soignant.e.s. On peut penser que si le mot « docteur » est toujours entendu et prononcé au masculin, nous ne l’associerons jamais spontanément à une femme, même si elles représentent deux tiers du corps médical.

Pourtant, le mot doctoresse n’est pas un néologisme, mais un mot existant depuis des centaines d’années que la société a fait disparaître au fil du temps (3).

Puis, les scientifiques se sont penchés sur l’impact direct du langage sur les discriminations de genre au niveau économique et politique (7). En premier lieu, on peut considérer qu’il existe trois types de langues vis-à-vis du genre (table 1).

Type 1 Type 2 Type 3 Existence du neutre pour les objets, les métiers…, et du genre masculin et féminin  Le masculin l’emporte sur le féminin Absence de genre Ex : anglais Ex : français, allemand Ex : turc, fi nnois, chinois

Table 1. Trois systèmes linguistiques vis-à-vis du genre

Figure 1. Composition du Global Gender Gap réactualisée chaque année pour chaque pays

Le Global Gender Gap est un indice de mesure mondial de l’écart d’égalité entre les genres. Il évalue les pays sur la façon dont les ressources et les opportunités sont réparties entre les femmes et les hommes (figure 1). Un rapport présentant le score de chaque pays est publié actualisé chaque année.

Une étude (7) a comparé le lien entre le Global Gender Gap et les types de langues parlées dans 111 pays. L’analyse multivariée montre une forte corrélation (p<0.001) entre la langue utilisée et cet indice d’égalité homme femme. Le langage type 1 semble encourager plus d'égalité que le type 3, lui même plus que le type 2. Nous notons que les langages agenrés sont marqués par le biais masculin, c'est-à-dire que nous imaginons majoritairement des personnes masculines derrières les pronoms ou métiers neutres dû à nos constructions.

À la lumière de ces différents éléments de réflexion, l’ensemble du bureau de l’AERIO a décidé d'intégrer l’écriture inclusive à la RIO. L’inclusion de tou.te.s est primordiale dans le monde médical pour proposer le meilleur soin possible. Les patient.e.s sont de genre, de sexe, de catégorie socio-professionnelle multiples qu’il nous faut savoir reconnaitre et représenter afin de naviguer entre universalisme médical et effacement des particularités sociologiques de chacun et chacune (8). Nous serions ravis d’avoir vos retours et d’échanger avec vous sur le sujet.

Réponse : Le médecin de garde est simplement la mère de l’enfant.

Références

  • Masculin neutre : écriture inclusive, podcast Les couilles sur le table, Victoire Tuaillon, 2021.
  • Inclusivement, Guide d’écriture pour toutes et tous, bureau de valorisation de la langue française et de la francophonie, Université de Montréal, 2019.
  • Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin, Eliane Viennot, préface de Diane Lamoureux, 2014.
  • Le cerveau pense-t’il au masculin ?, Sandrine Zuff erey, Pascal Gygax et Ute Gabriel, 2021.
  • Generically intended, but specifically interpreted: When beauticians, musicians and mechanics are all men, Gygax et al., 2008.
  • Actualisation La représentation mentale du genre pendant la lecture: état actuel de la recherche francophone en psycholinguistique Gygax et al., 2013.
  • The gendering of language : a comparison of gender equality in countries with gendered, natural gender and genderless language” Jennifer L. Prewitt-Freilino, T. Andrew Caswell & Emmi K. Laakso, 2021.
  • Ce que la médecine fait aux corps des femmes, Aurore Koechlin, 2022.
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    Publié le 1708620377000