Plutôt que de parler d’avancées, il est sans doute préférable de parler d’évolution. La première d’entre elle et non des moindres sur le plan juridique fût de passer du décret fondateur (décret 84-131 du 24 février 1984 portant statut des praticiens hospitaliers) à l’inscription au cœur du Code de Santé Publique le 20 juillet 2005 avec un premier article qui définit qui nous sommes (Article L-6152-1).
Dr Jean-Michel Badet
Membre du bureau
Chargé des CHU
Cette évolution du statut s’est faite à partir d’un socle solide, construit grâce à l’action de nos prédécesseurs, au cours d’un véritable « Grenelle de la Santé » sous l’égide de Francis Peigné, Jean Darnaud et bien d’autres. Ainsi, l’unicité du statut est encore à ce jour une des pierres angulaires de notre profession que d’aucuns n’ont jamais réussi à effriter.
Cette évolution s’est faite par à-coups dans le temps, soit par la manifestation forte de nos revendications, soit plus rarement grâce à une concertation entre nos organisations et les pouvoirs publics, seconde voie dont vous savez qu’elle a toujours eu la préférence de l’INPH.
On peut distinguer dans cette évolution 2 grands axes :
• Le porte-monnaie.
• Le reste.
Pour rappel et à l’intention de ceux qui auraient oublié à l’insu de leur plein gré*
Incontestablement, c’est souvent sur le premier de ces axes que vos organisations syndicales vont recueillir le plus de soutien et à terme le plus de « gratitude » que ce soit en nombre d’adhérents qu’en voix lors des élections professionnelles !
Nous avons par le passé déjà rejeté :
• La part complémentaire variable de rémunération
• Les contrats de praticiens cliniciens
Le porte-monnaie est aussi un moyen de faire reconnaître une ou des activités qui, jusqu’à ce jour étaient considérées comme la normalité de l’exercice.
Du côté du porte-monnaie, le plus simple est toujours resté le plus efficace
C’est ce que nous avons obtenu en 2000, une prime pour celles et ceux qui n’ont pas d’activité libérale, l’IESPE, indemnité d’engagement de service public exclusif. Réservée aux seuls temps pleins elle a été progressivement étendue en particulier aux temps partiels et aux assistants. C’est sur le montant de cette indemnité qu’ont porté entre autres les dernières (décembre 2016) négociations sur le statut avec une revalorisation sous conditions de cette indemnité.
Malheureusement, si nous voulons obtenir des améliorations salariales, seule actuellement, la voie de la « prime » reste ouverte, notre grille de rémunération est calquée sur celle de la fonction publique et ne peut être révisée sans risque pour nos gouvernants de « contagion » à toute la fonction publique.
La revalorisation des gardes et astreintes (début 1993) est un exemple des difficultés que nous pouvons rencontrer pour la mise en œuvre de décisions résultant de négociations, en particulier par la difficulté de la faire accepter par les acteurs sur le terrain. Ainsi, ce n’est que par un « coup de gueule » de la Ministre de la Santé de l’époque Simone Veil que tout rentrera dans l’ordre à la fin de l’année.
Le porte-monnaie est aussi un moyen de faire reconnaître une ou des activités qui, jusqu’à ce jour étaient considérées comme la normalité de l’exercice. L’essentiel de ces évolutions tient aux règles européennes sur le temps de travail et ont en particulier permis de reconnaitre et donc de rémunérer le temps de travail additionnel (pour ne pas dire heures supplémentaires, un gros mot pour un médecin NdR).
Le reste
IL est beaucoup plus structurel et parfois moins bien perçu par le PH de terrain.
A) Pour certaines évolutions, qui touchent l’organisation et aux conditions de travail, cela est plus évident d’autant que ces évolutions vont aussi impacter le porte-monnaie.
• 20 puis 19 jours de réduction du temps de travail (Quelle réforme, parler de la réduction du temps de travail des médecins un autre gros mot ! NdR) en rappelant que sa mise en œuvre fut considérablement retardée par le simple jeu démocratique d’un changement de majorité (2002).
• Un repos de sécurité après une garde qui devient la normalité, le repos quotidien garanti même si aujourd’hui beaucoup de PH ne l’exercent pas.
• La mise en place du compte épargne temps.
D’autres évolutions, portées par d’autres que nous, n’ont abouti par leur complexité qu’à des usines à gaz sans utilité ni pour les PH ni pour les patients. C’est le cas de la part complémentaire variable de rémunération ou encore des contrats de praticiens cliniciens. Ils font la démonstration qu’on ne peut pas contractualiser à l’extrême avec le médecin hospitalier et que l’on ne transige pas avec notre indépendance professionnelle.
B) L’évolution du statut doit se concevoir dans un sens positif, sinon c’est une régression. C’est celle que nous avons subie en 2009 avec la Loi HPST (Hôpital, Patients, Santé, Territoires) malgré des jours de grève, des manifestations dans la rue, malgré aussi un travail de fond pour vous informer et vous faire prendre conscience des dangers de cette Loi (dont on prend toute la mesure aujourd’hui).
• Renforcement du rôle du Directeur qui peut grâce au contenu de l’article L-6143-7 suspendre un praticien, ou en présidant le Directoire dont le président de CME n’est que le vice-président orienter fortement la politique de l’établissement.
• Eloignement des praticiens des centres de décisions par l’organisation en pôles.
• Contractualisation des pôles par un mécanisme descendant très autocratique : Ministère, Agence Régionale de Santé, Direction d’établissement, Directoire, Chef de pôle, responsable de structure interne… pour retrouver au bout de la chaine le praticien de terrain et son patient ?
Combien d’années nous a-t-il fallu pour que le terme de « service », centre de notre activité hospitalière, retrouve sa place au sein des textes officiels en lieu et place de celui de « structure interne » plus adapté au langage technocratique ou au bâtiment travaux publics !
Enfin, parmi ce reste, évoquons les commissions régionales paritaires créées en 2006 et dont les compétences ont été élargies en 2013. Elles ont encore aujourd’hui bien du mal à fonctionner et leur rôle de lieu de conciliation est quasi embryonnaire.
Bien entendu, pour éviter le catalogue à la Prévert, je n’ai pas décliné ici toutes les évolutions statutaires. Allez sur notre site, dans le moteur de recherche tapez statut. Vous en trouverez d’autres.
Quelles évolutions futures souhaitons-nous pour notre statut ?
Bien entendu, ne pas le détruire, lui conserver ce socle fondateur qui en fait toute sa légitimité et sa cohésion avec notre métier, celui de médecin, de pharmacien ou d’odontologiste.
Il faut qu’il évolue en particulier pour permettre de redonner plus de pouvoir médical au sein des établissements, plus d’indépendance des praticiens, plus de démocratie au quotidien.
C’est pour quand ? Pour ces évolutions, il faudra une négociation ou une révolution ?
Le statut des praticiens hospitaliers : vers une contractualisation ?
Un statut se définit comme « l’ensemble des dispositions législatives et réglementaires fixant les garanties fondamentales (droits et obligations) accordées à une collectivité publique ou à un corps de fonctionnaires ou d’agents publics »1. En réalité, le statut peut aussi concerner des agents privés. Il se distingue ainsi du contrat d’engagement d’un agent qui présente un caractère individuel et offre donc moins de garanties qu’un statut uniforme.
Par Maître Eric HALPERN
Avocat au Barreau de Paris
On retrouve ainsi, d’une part, les statuts dit généraux, comme le statut général de la fonction publique institué par la loi du 13 juillet 19832 lui-même décliné pour chacune des trois fonctions publiques (Etat, territoriale, hospitalière)3 et qui s’applique à l’ensemble des fonctionnaires (agents titulaires) et, d’autre part, les statuts particuliers (ou autonomes), comme ceux institués pour la Société nationale des chemins de fer (S.N.C.F.) ou anciennement Electricité de France (E.D.F.) tous deux créés par un décret du 1er juin 1950
Toutefois, il est important de relever que tous les statuts ne s’appliquent pas nécessairement à des agents publics même si, à l’origine, ils avaient vocation à s’appliquer à des organismes ou des entreprises publics. Il en va ainsi du « statut national du personnel des industries électriques et gazières » qui s’appliquaient à l’origine à Electricité de France (E.D.F.) et Gaz de France mais qui aujourd’hui s’appliquent au personnel des entreprises privées du secteur.
Bien que l’administration ait toujours eu recours à des agents contractuels que l’on appelle agents non titulaires, un pas a été franchi en 2005 avec la possibilité offerte dans la fonction publique territoriale de recruter des agents contractuels pour une durée indéterminée6, sans pour autant que le statut de fonctionnaire disparaisse.
Les praticiens hospitaliers à temps plein sont pour leur part soumis à un statut particulier réglementaire institué par un décret n°84-131 du 24 février 1984. Ce texte avait notamment pour objectif de séparer le grade de la fonction. Le statut des personnels enseignants et hospitaliers des Centres hospitaliers universitaires7 a quant à lui été créé par un décret distinct pris le même jour8. Enfin, celui des praticiens hospitaliers à temps partiel résulte du décret n°85-384 du 29 mars 1985.
Le statut des praticiens hospitaliers à temps plein a connu de nombreuses modifications et est aujourd’hui codifié dans le code de la santé publique9 à l’instar des professions paramédicales. Les praticiens hospitaliers s’ils sont des agents publics ne sont pas des fonctionnaires et ne sont ainsi pas soumis au statut général de la fonction publique et plus particulièrement au statut de la fonction publique hospitalière, comme c’est le cas par exemple du personnel infirmier.
Le gouvernement prévoit de réformer en profondeur le système de santé. En effet, le 13 février dernier, la Ministre des solidarités et de la santé et le Premier ministre ont présenté lors d’un déplacement à l’hôpital d’Eaubonne la stratégie du gouvernement pour modifier l’offre de soin. Cette stratégie s’articule autour de cinq grands chantiers :
1) La qualité et la pertinence.
2) Le financement et les rémunérations.
3) Le numérique en santé.
4) Les ressources humaines.
5) L’organisation territoriale
Le Premier ministre y évoquait en particulier un assouplissement des statuts et un recours accru à des contractuels.
Cette réforme laisse ainsi présager de nouvelles atteintes au statut des praticiens hospitaliers et peut-être même sa disparition par l’usage généralisé du contrat.
En effet, il n’est pas inutile de rappeler que les autorités estiment depuis longtemps que le statut des praticiens hospitaliers est rigide, peu attractif notamment pour les jeunes médecins et représente une contrainte pour l’évolution de la médecine hospitalière. Le rapport d’activité 2017 du Centre national de gestion recensait 44.308 praticiens hospitaliers à temps plein en 2017 mais avec un taux de vacance de poste de 27,4 % au 1er janvier 2018.
Pour autant, ce manque d’attractivité est-il vraiment dû au statut des praticiens hospitaliers considéré comme rigide ou à la forte dégradation des conditions d’exercice en milieu hospitalier ?
La loi du 21 juillet 2009 dite H.P.S.T. avait déjà créé le contrat de « clinicien hospitalier » permettant de recruter des médecins hospitaliers pour une durée maximale de six années dans des zones ou pour des spécialités présentant des difficultés de recrutement13. Un rapport remis le 23 juillet 2009 par le député Elie ABOUD dans le cadre de la mission concernant la promotion et la modernisation des recrutements médicaux à l’hôpital public indiquait qu’ « au-delà de la position nouvelle de clinicien hospitalier, il est aujourd’hui nécessaire de faire évoluer de façon novatrice les statuts médicaux et notamment celui de praticien hospitalier ». Les auteurs de ce rapport proposaient ainsi de contractualiser pour chaque praticien hospitalier le temps médical de chacun, la qualité de son travail, conditionnant ainsi une part de son salaire variable et les changements d’échelon.
Le projet actuel du gouvernement pourrait s’orienter à nouveau vers cette contractualisation voire aller plus loin par la remise en cause du statut des praticiens hospitaliers. Or, un contrat, nécessairement individuel, contrairement au statut, ne permettrait plus de garantir nécessairement aux praticiens hospitaliers un exercice professionnel en toute indépendance dans le respect de la déontologie médicale.
Il n’est pas inutile de rappeler que le Conseil national de l’Ordre des médecins estime que l’indépendance implique notamment que « Le médecin doit toujours agir dans le sens dicté par l’intérêt premier du patient et ne peut pas se laisser considérer comme un agent d’exécution au service d’autres intérêts qui deviendraient prépondérants »16. Le Conseil précise que « S’il existe, plus ou moins apparent, au niveau des établissements de santé, le risque de subordination reste important pour la médecine salariée. Ce mode de rémunération a tendance à se développer, y compris sous forme vacataire et pour des raisons de convenance personnelle. Mais la subordination dans la décision médicale est inadmissible. L’absence de clause garantissant l’indépendance professionnelle (clause considérée comme « essentielle » et confirmée par le Conseil d’Etat) est une cause de nullité déontologique du contrat. Dans le domaine privé comme public, tout contrat doit faire l’objet d’un examen minutieux des conditions de rupture et de leur caractère éventuellement arbitraire. »
En effet, un contrat peut être rompu et les conditions de la rupture à l’initiative de l’employeur pourraient porter atteinte à l’indépendance du médecin qui craindrait une telle rupture.
En tout état de cause, le projet de réforme du système de santé sera présenté en septembre prochain, selon les dernières déclarations de la Ministre des solidarités et de la santé17, et permettra de voir si l’on s’oriente pour les praticiens hospitaliers vers une contractualisation et, à terme, vers la fin progressive de leur statut réglementaire tel qu’il existe aujourd’hui.
1. Définition du dictionnaire Larousse.
2. Loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi Le Pors.
3. Loi n°84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, loi n°84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, loi n°86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
4. Décret n°50-635 du 1er juin 195, J.O.R.F. du 7 juin 1950, p.06095.
5. Décret n°46-1541 du 22 juin 1946 approuvant le statut national du personnel des industries électriques et gazières, modifié encore dernièrement par le décret n°2018-214 du 29 mars 2018.
6. Décret n° 2015-1912 du 29 décembre 2015 portant diverses dispositions relatives aux agents contractuels de la fonction publique territoriale, J.O.R.F. n°0303 du 31 décembre 2015, texte n° 315
7. Professeurs des universités praticiens hospitaliers, maître de conférences praticiens hospitaliers, praticiens hospitaliers universitaires, chef de clinique des universités - assistant des hôpitaux et les assistants hospitaliers universitaires dans les disciplines biologiques, mixtes et pharmaceutiques.
8. Décret n°84-135 du 24 février 1984 portant statut des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires.
9. Articles R6152-1 et suivants du code de la santé publique.
10. Décret n° 2010-1139 du 29 septembre 2010 portant statut particulier du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière.
11. Article du journal Le Monde « Le gouvernement promet une réforme globale pour le système de santé », 13 février 2018, par François BEGUIN.
12. Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, JORF n°0167 du 22 juillet 2009 p.12184.
13. Article R6152-1 3°, article R6152-701et suivants du code de la santé publique.
14. Rapport demandé par la Ministre de la Santé Roselyne BACHELOT-NARQUIN et rédigé par Elie ABOUD, François AUBART, Alain JACOB, Bruno MANGOLA et Didier THEVENIN, p.33 à 35.
15. Article R4127-5 du code de la santé publique, article 5 du code de déontologie médicale.
16. Commentaire du Conseil national de l’Ordre des médecins du 11 octobre 2012 sur l’article 5 du code de déontologie médicale.
17. Article du journal Libération « Agnès BUZYN : La réforme du système de santé sera présentée début septembre », 3 juillet 2018, par Eric FAVEREAU.
Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°13