Actualités : Modification de la forme galénique en gériatrie :

Publié le 17 mai 2022 à 20:50



COMMENT ADAPTER NOS PRESCRIPTIONS À CERTAINES SPÉCIFICITÉS DES PERSONNES ÂGÉES ?

La galénique, la face plus ou moins cachée de la prise médicamenteuse
Dans l'intégralité des segments du métier de gériatre (Court séjour, SSR, EHPAD, Equipes mobiles, réseaux, consultation, …), la ré-évaluation des traitements et de la iatrogénie fait partie du coeur de l'expertise gériatrique (1). Sensibilisé au risque iatrogène, en particulier pour les classes pharmacothérapeutiques confusogènes ou pourvoyeuses de chutes, le médecin gériatre connaît des outils adaptés pour éviter les prescriptions médicamenteuses inappropriées et sait s'appuyer sur l'expertise conjointe du pharmacien, notamment via la conciliation médicamenteuse, pour en limiter les risques. Toutefois, parmi les risques identifiables figure un risque lié à la galénique, qui tient, heureusement, à être de mieux en mieux pris en compte.

Le choix d'une forme galénique (forme pharmaceutique finale du médicament) pour la mise à disposition d'un traitement tient compte, pour chaque principe actif, dans une indication donnée, des données liées à la fabrication (stabilité physico-chimique, incompatibilités), à la pharmacocinétique (biodisponibilité, demi- vie d'élimination), à la pharmacodynamie (durée de l'effet, effet-dose), au marketing (couleur, facilité de conditionnement, facilité de production) et de plus en plus, de l'acceptabilité du traitement, donnée importante de l'observance du traitement (2).

De plus, le terrain de la population à qui le traitement est destiné et son contexte d'utilisation (urgence, milieu hospitalier, domicile, …) contribuent également à choisir une forme galénique de référence qui déterminera également une voie d'administration de choix (orale ou entérale, injectable Intraveineuse, Sous-cutanée, Intra- musculaire, voie pulmonaire/ aérosol, voie transdermique, voie transmuqueuse, voie rectale, …).

Pour l'administration des médicaments chez le sujet âgé comme chez le sujet plus jeune, les comprimés et cachets par voie orale sont privilégiés au quotidien pour des raisons historiques, de rapidité de préparation comme d'administration (puisque ne nécessitant en théorie qu'un peu d'eau), d'efficacité dans la prise médicamenteuse (prise complète possible de plusieurs médicaments d'une gorgée) et de tolérance (simple et indolore a priori, ne présentant pas les effets indésirables des injections comme douleurs, infections ou nécessité de conserver un dispositif implantable) (3).

Des difficultés fréquentes chez les personnes âgées
Nous pouvons également trouver, outre un conditionnement parfois peu facile à utiliser pour une personne présentant des troubles visuels ou articulaires touchant les mains (Photographie 1), comme un blister à "peler" (Photographie 2), des formes galéniques difficile à manipuler (Photographie 3). De plus, parfois la présence d'une barre au milieu d'un comprimé ne signifie pas qu'il est bisécable en 2 parties égales, juste que sa découpe sera facilitée pour faciliter l'avalabilité de la totalité du comprimé.

Toutefois, cette situation semble prendre insuffisamment en compte le risque lié à un syndrome gériatrique fréquent (4) : les troubles de déglutition. En effet, on retrouve des taux de prévalence en population générale âgée de plus de 70 ans estimée à 27 %, augmentant avec l'âge à 33 % chez les plus de 80 ans (5), pouvant atteindre 41 % chez les personnes âgées hospitalisées (6) voire 51 % chez les patients institutionnalisés (7).

Aussi, les services de gériatrie sont-ils particulièrement confrontés à des pratiques de broyage ou d'écrasement des formes orales sèches (comprimés, cachets, …), chez 63 % des personnes avec des troubles de déglutition, à l'ouverture des gélules, chez 24 % des patients et à l'utilisation d'une poudre orale ou d'une solution buvable dans 13 % des situations (8).

Cette pratique conduit donc à la présence, sur de nombreux chariots de soins d'ustensiles peu communs dans d'autres services (Photographie 4) : marteau, pilon et divers vecteurs alimentaires (compote, jus d'orange, yaourt, …).

Attardons-nous un peu sur cette pratique (8) en conditions réelles : dans 42 % des situations, le broyage n'était pas conforme avec la forme galénique (exemple forme LP), concernait 71 % de l'ensemble du traitement, mélangé dans le mortier puis dans la cuillère de compote (sans nécessairement tenir compte de la stabilité physico-chimique du traitement actif (médicament détruit par le pH gastrique, sensible à la lumière, risque de variation de dose/ effet) ni de son innocuité pour les soignants (possibles exposition par aérosol ou composés irritants), le mortier était nettoyé selon les standards d'hygiène entre chaque patient dans 12 % des cas et le traitement était préparé en avance et stocké à l'air, sans protection dans 16,5 % des cas.

Différentes formes orales
Il a récemment été analysé les caractéristiques de palatabilité et d'avalabilité des traitements administrés par voie orale dans plusieurs services de gériatrie et EHPAD, en comparant les différentes formes galéniques (2) : La forme liquide buvable est moins bien tolérée lorsqu'elle n'est pas aromatisée, mais si la présence d'arôme améliore l'acceptabilité, cela n'en fait pas non plus une galénique totalement acceptée chez les personnes présentant des troubles de déglutition.

On retrouve également des adaptations galéniques avec l'usage du paracétamol chez les personnes présentant des troubles de déglutition : les formes en comprimés orodispersibles était plus utilisées (et mieux supportées) que la forme en gélule, mieux supportée en l'absence de trouble de déglutition (9).

Enfin, il a été montré dans cette population que des cachets de taille < 8mm avaient un meilleur profil d'acceptabilité que les cachets plus gros (10).

A la place de ces formes orales sèches, les formulations buvables peuvent en théorie être utilisées faiblement diluées avec un liquide réactif (jus d'orange) à température ambiante (en dehors des poudres pour solution à diluer, qui nécessitent un respect scrupuleux du mode de préparation). Certaines peuvent être également diluées avec de l'eau gazeuse.

La question se pose avec au moins autant d'acuité lorsque les traitements habituellement donnés par voie orale doivent être administrés via une sonde de gastrostomie ou naso-gastrique.

La présence de pharmacies à usage interne (PUI) reconditionnant les formes orales sèches en sachets individuels permet de faciliter la distribution de consignes directement sur le conditionnement (ne pas écraser, ne pas donner par sonde). De plus, un échange avec les pharmaciens permet souvent de trouver des alternatives ou des combinaisons de traitements pour limiter le nombre de formes à prendre voire éventuellement de faire en sorte que le "marché local" de la pharmacie puisse s'enrichir de formes adaptées.

La présence de matériels d'écrasement sécurisé réduit les risques d'exposition ou de troubles musculo- squelettiques des soignants (mais au prix de nombreuses manipulations) et assure un minimum d'hygiène et de sécurité chimique au traitements, sous réserve qu'ils soient administrés juste après leur broyage. Toutefois, cela ne règle pas le problème de l'usage de la voie orale en situation de salivation faible et/ou d'hygiène buccale insuffisante. Par exemple, la forme orodispersible (soit en comprimé, soit en film), après avoir réalisé un soin de bouche pour faciliter la salivation correcte de la bouche.

Voies muqueuses et cutanée
Dans ces cas, l'utilisation de la voie rectale peut être une alternative dans certaines situations, avec le consentement du patient. Les classes thérapeutiques sont rares (antalgiques, anti-émétique, résine hypokaliémiante, …) et souvent des alternatives peuvent exister.

Il existe aussi des traitements transmuqueux, comme par exemple, des sprays nasaux de FENTANYL, mais dont l'usage auprès de personnes atteintes de troubles neurocognitifs majeurs à un stade évolué peut être rendu complexe.

Il existe enfin pour des cas encore plus rares, des traitements par voie transdermique. Ces derniers traitements présentent l'avantage de leur facilité d'administration, mais la diffusion peut être modifiée par l'hypersudation ou l'hyperthermie.

La voie injectable
Si l'adage "tout ce qui est injectable est buvable" semble assez séduisant de prime abord (sauf pour la transfusion), il n'est pas totalement exempt de questionnements sur l'efficacité réelle des traitements administrés par cette voie, en particulier avec des traitements avec une marge thérapeutique étroite.

Toutefois, la modification de voie d'administration la plus fréquente pour les traitements injectables est le recours à la voie souscutanée. Voie de choix par sa simplicité sans avoir l'inconvénient d'une perfusion "garde-veine", elle partage avec la voie intra-veineuse la possibilité d'un risque infectieux.

L'usage de cette voie est largement corroboré par des sociétés savantes, dont la SFAP et on retrouve d'ailleurs sur son site des supports. Des listes de traitements peuvent également se retrouver (https://bit.ly/2JaJg6l) ou (https://bit.ly/2y8lpls) pour un certain nombre de traitements fréquemment utilisés.

Quels outils au quotidien ?
La démarche de prescription doit nécessairement répondre à une approche gérontologique globale, visant à dépister (et traiter autant que faire se peut) les troubles de déglutition. La recherche de fausse route lors de la prise alimentaire ou médicamenteuse peut démarrer dès l'entretien du patient, ce d'autant accompagné par un aidant qui assiste à la prise médicamenteuse.

En secteur institutionnel ou hospitalier, l'évaluation du risque de fausse route par le test au verre d'eau et l'évaluation régulière des équipes de soins permet de faire intervenir l'orthophoniste et d'adapter la texture alimentaire, mais ne conduit pas toujours à une réévaluation de l'ordonnance selon l'angle de la galénique.

Pour ce faire, l'outil DICTIAS (11) peut guider la démarche de réévaluation globale, en répondant aux questions suivantes, sous forme d'acronyme : le Diagnostic est-il bien établi ? (ce qui permet également de se poser la question d'une plainte potentiellement liée à un évènement iatrogène.

L'Indication est-elle bien justifiée (notamment par un examen complémentaire conclusif) ?

Le traitement présente-t-il une Contre-indication (allergie, terrain particulier, …) ? La Tolérance estelle meilleure chez le patient par rapport à une alternative (soit de classe thérapeutique soit de galénique) ? Ce traitement expose-t-il à des Interactions médicamenteuses (Inducteur enzymatique par exemple) ? des Ajustements posologiques sont-ils nécessaires (du fait d'un poids "extrême" ou d'une insuffisance rénale), le Suivi

et la Sécurité du traitement sont-ils possibles (par exemple, un patient refusant les prises de sang ne peut être traité par Anti-Vitamine K).

De plus, de nombreux logiciels métiers de prescription permettent d'identifier directement sur le module de prescription (voire sur le conditionnement final) les formes galéniques que l'on peut écraser/broyer. On peut trouver également des outils numériques pour vérifier l'adéquation de la galénique au terrain : citons l'outil de l'OMEDIT Haute Normandie (https://bit.ly/33KWTCx), de l'OMEDIT Lorraine (https://bit.ly/2QIDCMX) ou l'outil de la pharmacie des Hôpitaux Universitaies de Genève1 (https://bit.ly/3bpCBkz), qui proposent des alternatives.

Cette réflexion s'accompagne nécessairement d'une prévention quaternaire et d'une information au patient et son entourage. 

Sur un plan éthique
En effet, le conflit entre la nonmalveillance (ne pas provoquer de fausse route par nos traitements) et la bienveillance (donner un traitement dans son indication) nous conduit à l'éthique de la discussion pour légitimer la pratique de modification de forme ou de voie d'administration des traitements (cf. la réflexion éthique comme partenaire des pratiques, Gazette du Jeune Gériatre, n°19).

Ce choix ne peut se faire qu'après une analyse rigoureuse de la démarche de prescription, pour chercher préférentiellement : Le médicament est-il toujours indiqué ? Une autre galénique existet- elle ? Pouvons-nous broyer ?

Cette discussion méritant d'être naturellement portée à la connaissance du patient et/ou de son entourage, afin de faciliter la prise médicamenteuse dans le milieu écologique. L'apparition de troubles de déglutition signe souvent un tournant dans l'évolution des maladies neurodégénératives et il est ainsi fondamental d'anticiper à la fois l'aggravation possible et la mise en oeuvre de soins palliatifs.

Le recours à des pratiques d'altération de la forme est déjà, dans une certaine mesure, un traitement palliatif et justifie l'usage de ressources et de compétences paramédicales en plus de la simple préparation et administration des traitements, ce qui peut être un facteur limitant dans certaines situations, notamment d'anosognosie des troubles.

Des perspectives de recherche en galénique pourraient s'avérer pertinentes, par l'utilisation de nanoparticules, qui permettraient de faciliter l'absorption des traitements ou par l'utilisation d'un vecteur stabilisant universel pour les traitements, voire leur intégration directe à un aliment préparé à texture adaptée.

La modification de forme galénique en gériatrie est fréquente, mais nécessite, pour que son usage soit à la fois efficace et bien toléré, une formation de l'ensemble des professionnels et l'éducation thérapeutique des patients et de leur entourage. Cela passe, outre par une approche gérontologique globale, questionnant les traitements médicamenteux, par une coopération interprofessionnelle étroite, en particulier avec les pharmaciens et les professions paramédicales et de poser la question de la prévention quaternaire voire des soins palliatifs. Cela nécessite de valoriser les temps de coordination, dans une logique de parcours de soins souvent complexes et de renforcer les moyens de la filière gériatrique.

Références

  1. Jeandel C. Le Référentiel Métierde la spécialité de Gériatrie. In: Livre Blanc de La Gériatrie Française. 2ème. Paris; 2011:300.
  2. Belissa E, Vallet T, Laribe-Caget S, et al. Acceptability of oral liquid pharmaceutical products in older adults: palatability and swallowability issues. BMC Geriatr. 2019;19(1):344. doi:10.1186/s12877-019-1337-2
  3. Fodil M, Fillette A, Trivalle C. Considérations portant sur l’écrasement des comprimés en gériatrie. NPG Neurol - Psychiatr - Gériatrie. 2013;13(73):35-40.doi:10.1016/j.npg.2012.07.013
  4. Baijens LW, Clavé P, Cras P, et al. European Society for Swallowing Disorders – European Union Geriatric Medicine Society white paper: oropharyngeal dysphagia as a geriatric syndrome. Clin Interv Aging. 2016;11:1403-1428. doi:10.2147/CIA.S107750.
  5. Serra-Prat M, Hinojosa G, López D, et al. Prevalence of oropharyngeal dysphagia and impaired safety and efficacy of swallow in independently living older persons. J Am Geriatr Soc. 2011;59(1):186-187. doi:10.1111/j.1532-5415.2010.03227.x
  6. Cabré M, Almirall J, Clavé P. Aspiration pneumonia: management in Spain. Eur Geriatr Med. 2011;2(3):180-183. doi:10.1016/j.eurger.2011.03.004. 7. Lin L-C, Wu S-C, Chen HS, Wang T-G, Chen M-Y. Prevalence of impaired swallowing in institutionalized older people in taiwan. J Am Geriatr Soc. 2002;50(6):1118-1123. doi:10.1046/j.1532-5415.2002.50270.x
  7. Caussin M, Mourier W, Philippe S, et al. L’écrasement des médicaments en gériatrie : une pratique « artisanale » avec de fréquentes erreurs qui nécessitait des recommandations. Rev Médecine Interne. 2012;33(10):546-551. doi:10.1016/j.revmed.2012.05.014.
  8. Ruiz F, Vallet T, Dufaÿ Wojcicki A, et al. Dosage form suitability in vulnerable populations: A focus on paracetamol acceptability from infants to centenarians. Surbhi S, ed. PLOS ONE. 2019;14(8):e0221261. doi:10.1371/journal.pone.0221261.
  9. Belissa E. Acceptabilité des traitements chez les patients âgés de 65 ans ou plus, suivis à l’hôpital ou en EHPAD. 2017.
  10. Belmin J. Optimiser l’utilisation des médicaments chez les sujets âgés. In: Gériatrie Pour Le Praticien. Masson. Paris; 2009:611-620.

Dr Matthieu PICCOLI et Dr Ines PERQUY
Pour l'Association des Jeunes Gériatres

  1. Le site de la pharmacie des Hôpitaux Universitaires de Genève (https://pharmacie.hug-ge.ch/infos-medicaments/recommandations-d-utilisation) regorge de ressources sur l'utilisation des médicaments

Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°23

Publié le 1652813415000