Par Matthieu DELAYE
Le microbiote pourrait-il expliquer la meilleure réponse à l’immunothérapie observée chez les patients obèses ?
Article commenté : Obesity, cancer, and response to immune checkpoint inhibitors: Could the gut microbiota be the mechanistic link?. Delaye M et al. Pharmacol Ther.
L’obésité a longtemps été considérée comme un facteur de mauvais pronostic des cancers, notamment à cause des comorbidités associées, des complications opératoires plus fréquentes et de la production hormonale par le tissu adipeux (pour les cancers hormono-dépendant)... Cependant, les données récentes semblent modérer ce propos. Premièrement, la définition même des patients obèses pose question. Une définition uniquement basée sur l’IMC est réductrice et ne différencie par exemple pas la population particulière des patients obèse-sarcopéniques, à haut risque de toxicité de traitement et de mauvais pronostic. Deuxièmement, plusieurs études ont montré que les patients obèses avaient une meilleure réponse et survie sous immunothérapie (cohorte rétrospective dans le mélanome, analyse secondaire poolée de plusieurs essais cliniques dans le cancer bronchique ...). Plusieurs hypothèses sont formulées dans les articles, mais ne reposent sur aucune donnée: meilleure exposition aux anticorps monoclonaux car moins métabolisés au niveau hépatique du fait de la NASH chez les patients obèses, « dysfonction immunitaire » chez le patient obèse que l’immunothérapie reverserait ...
L’idée de cet article est née il y a deux ans, lors d’une revue de presse de l’AERIO. Nous avions discuté successivement de deux articles : le premier présentait les résultats d’une analyse secondaire d’un essai clinique d’immunothérapie, qui trouvait qu’un IMC élevé était associé à des meilleurs résultats, et notamment une meilleure survie globale des patients de l’essai, donc dans la lignée des articles présentés ci-dessus. Le second, était un vaste article de revue systématique de la littérature, qui récapitulait les données concernant les profils de microbiote digestif associés ou non à la réponse aux immunothérapies. De plus en plus de données suggèrent en effet que certains profils de microbiote et même certains taxa sont associés à des meilleures réponses aux immunothérapies. Il a longtemps été discuté si ces observations étaient uniquement incidentielles : microbiote uniquement témoin d’un état immunitaire prédisposant la réponse à l’immunothérapie ou microbiote véritable acteur de la réponse immunitaire ? Aujourd’hui, les données mécanis-tiques et les premières données cliniques sont plutôt en faveur de la seconde hypothèse.
Ainsi, les patients obèses semblent mieux répondre à l’immunothérapie, et le microbiote digestif semble pouvoir influencer la réponse à l’immunothérapie ; sachant qu’il était décrit depuis plusieurs années que les patients obèses avaient un profil de microbiote particulier, nous nous sommes demandés s’il existait des arguments dans la littérature pour penser que la meilleure réponse à l’immunothérapie observée chez les patients obèses ou en surpoids pouvait être expliquée par leur microbiote particulier.
Pour cela, nous avons d’abord résumé les hypothèses mécanistiques qui supporteraient l’hypothèse évoquée. Un des mécanismes potentiel concerne la leptine. En effet, le micro-biote pourrait moduler les taux
de leptine qui sont associés à l’expression de PDL1 et à la production de macrophages pro-inflammatoires. De plus, certaines bactéries surreprésentées chez les patients obèses pourraient moduler les ratio LT CD4/LT helper et moduler les réponses Th1 et Th17. Enfin, il existe une réactivité croisée des cellules T avec certaines bactéries présentes dans le microbiote des patients obèses.
Ensuite, nous avons croisé les données descriptives du micro-biote dans les travaux étudiant le microbiote des sujets obèses avec les données des études étudiant le microbiote des répondeurs/ non répondeurs aux immunothérapies. Si certaines espèces sont bien retrouvées à la fois chez les patients obèses et les répondeurs à l’immunothérapie (Lactobacillus spp, B. fragilis...) c’est l’inverse pour d’autres espèces (Blautia hydrogenotorophica ou Ruminococcus obeum associées à l’obésité et à une
mauvaise réponse à l’immunothérapie). De plus, les bactéries pour lesquels l’association avec la réponse aux immunothérapies est la mieux documentée (Akkermansia muciniphila et Faecalibacterium prausnitzii) sont plutôt surreprésentées chez les patients normopondérés que chez les patients en surpoids.
Enfin, nous avons cherché des données cliniques supportant l’hypothèse, mais dans les essais qui mettent en évidence la meilleure réponse des patients obèses à l’immunothérapie il n’y avait pas d’étude du microbiote, et les essais étudiant l’influence du microbiote sur la réponse à l’immunothérapie ne rapportaient quasi jamais les IMC des patients.
Ainsi, il existe un rationnel mécanistique pour lier obésité, microbiote et réponse à l’immunothérapie ; mais le croisement des données de microbiote des patients obèses et des patients répondeurs à l’immunothérapie sont contradictoires et les données cliniques actuellement trop limitées.
Il est en revanche certain que les patients obèses représentent une population particulière sur le plan pharmacologique et immunitaire, et que l’explorer plus en avant permettra probablement de mieux décrypter les paramètres et mécanismes influençant la réponse à l’immunothérapie. Il est également certain que le microbiote est acteur important de l’immunité et de la réponse aux traitements. Son étude est en revanche complexe et à haut risque d’erreur, et les efforts récents de standardisation des analyses et d’études mécanistiques permettront probablement de corriger le tir.
Quant à nous, nous espérons que des équipes se saisiront de notre hypothèse et pourront nous dire dans quelques années si nous avions tort ou raison.
Article paru dans la revue « Association pour l'Enseignement et la Recherche des Internes en Oncologie » / AERIO RIO HORS SERIE N°3