Nous avons choisi la Gynéco-obstétrique comme spécialité, le seul domaine en médecine où le Docteur n’est pas exclusivement confronté à la pathologie…
Nous avons décidé de prendre en charge 2 individus, quitte à voir nos responsabilités parfois doublées (en admettant que la responsabilité soit quelque chose de quantifiable)…
Nous avons la chance d’accompagner le départ de la vie, de la scruter au plus profond des organismes, armés de nos sondes échographiques, de l’aider quelque fois à se présenter aux yeux de tous…
J’aime cette spécialité pour toutes ces raisons et bien d’autres encore. Les visages changeants des parents de novo me fascinent et m’émeuvent. Les joues brillantes par le récent trajet des larmes me bouleversent. L’annonce d’une vie à « +1 », pour un couple demandeur depuis plusieurs années, me serre encore le ventre agréablement…
Et c’est alors que me viennent d’autres interrogations : quelle est notre vision de tout ceci, lorsque le 2e petit être a élu domicile chez nous ? La spécialité se féminise (comme la quasi-totalité de la médecine). Alors comment vit-on notre vie de femme, nous, après en avoir suivi/accouché/examiné tant d’autres ?
Est-ce que nous devenons une sorte de super patiente, cape dans le dos et « S » rouge sur nos ventre arrondis, auto-diagnostiquant les complications et en osant le grotesque jusqu'au bout réalisant nos propres échographies ? Sûrement pas !
Je dirai, qu’il en va de même que pour les autres domaines : lorsqu’il s’agit de soi, et plus encore du mini-soi, on délègue, on joue les patientes modèles et on appréhende…
Je dirai, qu’il en va de même que pour les autres domaines : lorsqu’il s’agit de soi, et plus encore du mini-soi, on délègue, on joue les patientes modèles et on appréhende…
C' est une interne incroyable, ceinture noire d’art martial et échographiste chevronnée. Etre maman était son objectif princeps de début de stage (après le mémoire de DIU d’écho bien sûr !). Elle avait tout calculé : avoir cette grossesse ni trop tôt ni trop tard, afin de ne pas se mettre en indispo, de faire les quatre mois plein nécessaires à la validation de ses stages, de ne pas se décaler dans sa promo... Evidemment, la nature fait ce qu’elle veut ! Et ce n’est qu’en toute fin de stage que C. vint me trouver pour une écho précoce. « Je n’ai que 5 semaines de retard mais je voudrais juste savoir si c’est bon »… et c’était bon ! Ce petit sac gestationnel caractéristique, bien emmitouflé dans sa couronne hyperéchogène trophoblastique… il était là ! Les débuts de grossesse ne sont jamais de tout repos en médecine. Sans raison ni contrôle, on évoque la GEU ou la fausse-couche précoce. On sait qu’être médecin ne protège pas des statistiques. Une chance sur 10 de tout perdre. Alors on guette les semaines d’aménorrhée. D’ailleurs, seuls les médecins font leurs calculs d’emblée en semaines d’aménorrhée. Puis le temps passe, et la lumière au bout du tunnel des 3 mois perce au loin. On investit cette petite chose, tandis que le vendre semblant accueillir lui aussi la nouvelle s’arrondit. Plus tard nous poserons tous délicatement notre sonde sur le ventre de C., mesurant la LCC de l’embryon, à peine plus gros qu’un haricot, et le prénommant logiquement Harry. Harry s’avéra être une fille. Les yeux coquins et les joues éclatantes de joie, elle ignorera probablement toute sa vie qu’une équipe de néo-internes l’avait attendue et guettée avec une tendresse infinie pour sa maman…
A. terminait son stage en cabinet d’orthogénie lorsque le test a montré ses deux petits bâtonnets bleus. Elle passe alors un temps minutieux à s’auto-échographier tous les matins avant de démarrer les consultations. C’est bon, tout est en place !
A. débute son stage suivant en « surnombre ». Elle partira avant la fin, et ses co-internes le savent. Alors, lorsque les yeux des autres se tournent vers elle, le 1er jour, pour savoir si elle va prendre son lot d’astreintes en début de stage, elle baisse les siens et s’écrase. « Ne t’en fais pas, lui lance-t-on, si tu es fatiguée, on t’en reprendra ! »… Bien sûr, des promesses en l’air. Ce n’est pas simple l’internat enceinte m’a-t-elle confiée. Il y a la fatigue, le stress, la culpabilité de ne pas en faire autant que les autres, le sentiment d’être à part…. Les astreintes cumulées sur les mois d’hiver ont bien usé ses batteries. Son rayon de soleil ? Les infirmières. Exigeantes envers les autres, elles ont toujours su rester douces avec A. Une bonne revanche pour ces petits oiseaux en tunique blanche qui détiennent toute notre disponibilité en d’autres circonstances ! A. s’est posée beaucoup de questions durant ses 7 premiers mois… à défaut de ne s’être posée tout court ! En arrêt de travail anticipé, elle profite à présent sereinement de son 8e mois.
Des anecdotes comme celles-ci, nous en avons tous à partager. Il n’est pas rare de recevoir la visite d’une consœur aux urgences gynécologiques. Du simple burn-out à l’anxiété maladive en passant par la « bobologie » de femmes enceintes, il y demeure toujours une part inconsciente de nous qui s’identifie à elles. Mais malgré cela, seul le dialecte médical qui inonde notre discours (trop heureux de pouvoir s’exprimer) nous trahit. Avec ou sans l’apostrophe « Dr », elles restent des ventres ronds comme tous les autres, aussi singuliers que tous les autres.
Florie PIROT
Interne GO Paris
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°12