Actualités : Ma vie d’interne : retours sur les états généraux de la dermatologie

Publié le 29 sept. 2025 à 10:00
Article paru dans la revue « FDVF-RJD - La Revue des Jeunes Dermatologue » / FVDF-RJD N°3

Le 3 avril 2025, les quatre grandes instances de la dermatologie française – la SFD, le CEDEF, la FFFCEDV et le SNDV – se sont réunies pour organiser les tout premiers États Généraux de la Dermatologie, au Ministère de la Santé. Cet événement inédit, rassemblant praticiens hospitaliers et libéraux, associations de patients et certains médias, avait pour objectif de débattre collectivement de l'avenir de notre spécialité. Ayant été invitée afin de porter la voix des jeunes dermatologues, la FDVF vous propose un résumé de cette journée.

Les besoins sanitaires réels et ressentis de la population générale

Coup d'envoi lancé par le Pr Marie Aleth Richard (Marseille) sur le caractère indispensable de notre spécialité devant près de 25 % des français se déclarant atteints d'au moins une dermatose. L'impact sur la qualité de vie de la population est à prendre en compte puisque 33 % des patients rapportent souffrir d'une limitation dans leurs activités quotidiennes, 50 % dans leur activité professionnelle (à l'origine d'arrêts de travail à répétition) et 46 % d'anxiété ou de dépression secondaires à leur pathologie. La demande croissante de consultations et de soins dermatologiques s'explique par l'augmentation de la prévalence de certaines dermatoses, le développement de traitements innovants, les politiques de sensibilisation aux cancers cutanés et la majoration de l'importance de l'image de soi dans les nouvelles générations. Du fait du vieillissement de la population, nous faisons face à une forte augmentation d'incidence des cancers cutanés. Ces constats nous invitent à repenser nos politiques de santé publique. Le dépistage de masse est de plus en plus contesté car non bénéfique en termes de mortalité dans les études scientifiques et entraînant une sursaturation des consultations de dermatologie.

Présentation des instances

Place ensuite à la présentation de chaque instance par son président : la Société Française de Dermatologie (Pr Gaëlle Quéreux, Nantes), le Syndicat National des Dermato-Vénérologues (Dr Georges Reuter, Strasbourg, remplaçant le Dr Luc Sulimovic), le Collège des Enseignants en Dermatologie de France (Pr Caroline Gaudy, Marseille), la FFFCEDV (Dr Marc Reverte, Sainte- Maxime), le Conseil National Professionnel de Dermatologie et Vénéréologie (Pr Frédéric Caux, Paris).

Puissance d'une discipline, le socle

Lors de son intervention, le Pr Wolkenstein (Paris) a soulevé différentes problématiques rencontrées dans notre spécialité telles que la difficulté d'accès aux soins dermatologiques, la « désuniversitarisation » des CHU ou encore l'attractivité croissante de la médecine esthétique. La France compte actuellement seulement 5,9 dermatologues pour 100 000 habitants et ce nombre est voué à diminuer dans les prochaines années. Il est donc l'heure de « prévoir la mise en place d'une stratégie pour l'avenir ».

Notre pratique, nos réseaux

Le dermatologue libéral, nouveaux enjeux de la pratique

Les Dr Cristèle Nicolas (Île-de- France) et Véronique Bonnet (Guyancourt) nous ont partagé leur quotidien en tant que dermatologues libéraux. En détaillant leur emploi du temps, elles démontrent que la pratique libérale nécessite de porter plusieurs casquettes et de trouver assez de temps à consacrer à chacune de leurs activités (consultation, interventions chirurgicales, télé-expertise, gestion du cabinet, comptabilité…). Afin d'améliorer la prise en charge des patients et d'optimiser le temps du praticien, elles proposent des pistes pour le futur. Le développement des réseaux de télé-expertise est notamment évoqué afin de discerner les patients nécessitant une consultation dermatologique de ceux pouvant être pris en charge par leur médecin traitant. Est également proposée, la formation d'assistants médicaux dans le but de participer à certains actes diagnostiques et thérapeutiques sous la responsabilité du praticien. La prise en charge d'adaptation des cabinets afin de disposer de plusieurs salles de consultation simultanément permettrait d'augmenter le nombre de patients pris en charge quotidiennement. Enfin, la réduction des prises en charge uniquement esthétiques leur apparaît pertinente. Il est cependant important de ne pas délaisser complètement ces pratiques au risque de les voir attribuer à des professionnels (ou non professionnels) insuffisamment formés.

Prévention des cancers cutanés, exemples d'actions des dermatologues libéraux

Les Dr Georges Reuter (Strasbourg) et Caroline Biver-Dalle (Saône) ont ensuite présenté les différentes campagnes conduites au niveau national et international par des dermatologues libéraux (SNDV et FFFCEDV) pour la prévention des cancers cutanés : semaines de prévention et de dépistage des cancers cutanés par le SNDV, “Juin Jaune” en Franche Comté par le FFFCEDV et “Mai Violet” pour la sensibilisation du grand public sur les dangers des UV.

La dermatologie hospitalo-universitaire, organisation, force et fragilité 

Le Pr Saskia Oro (Paris) rappelle que la France est un des rares pays à disposer d'unités d'hospitalisation continue de dermatologie. La pluridisciplinarité, le travail d'équipe, la qualité de la formation, la prise en charge de patients complexes, des urgences, de maladies rares ainsi que la recherche constituent les grandes forces de la dermatologie hospitalo-universitaire. Cependant, son attractivité est en baisse pour des raisons plurifactorielles. De nombreuses failles sont citées comme la fermeture de lits d'hospitalisation, l'allongement des durées de séjour pour des problématiques sociales (patients âgés, sans ressource, isolés), la méconnaissance du grand public des spécialités de la dermatologie hospitalière, la prise en charge de pathologies non dermatologiques que les autres professionnels de santé ne prennent pas en charge (ex : soins d'ulcère, pieds diabétiques). Les solutions proposées sont de majorer l'attractivité hospitalière, de développer la télé- expertise et les infirmiers en pratique avancée, d'augmenter les liens avec la médecine libérale pour permettre une bonne prise en charge en sortie d'hospitalisation, et de créer des consultations “avancées” en libéral pour les situations complexes nécessitant du temps mais pas une hospitalisation systématique.

Les besoins et les données

Données démographiques

L'état des lieux démographique présenté par le Dr Isabelle Le Hir-Garreau fait l'office du Grand Sujet de cette édition que nous vous invitons à retrouver page 29.

Outils conventionnels modificateurs de la pratique

Le SNDV rappelle que la télémédecine peut être une des solutions contre les déserts médicaux à condition de l'intégrer à la journée du praticien par des temps dédiés et une valorisation suffisante, afin de ne pas risquer l'épuisement des soignants. Les Équipes de Soins Spécialisés (dont un exemple a été présenté par le Dr Laurence Ollivaud) et les assistants médico-techniques sont de nouveau cités comme des aides à valoriser.

La médecine esthétique, de la formation diplômante à la pratique du quotidien

Selon le Dr Isabelle Rousseaux (Lille), 66 % des dermatologues réalisent des actes de médecine esthétique. Pour 64 % d'entre eux, cela représente moins de 10 % de leur pratique. 5 % des spécialistes exercent plus de 90 % de leur activité en médecine esthétique. Ces dernières années, l'avantage financier attire de plus en plus les libéraux (toutes spécialités confondues). Selon les statistiques, la médecine esthétique est exercée à plein temps par environ 10 000 médecins généralistes contre un millier de chirurgiens plasticiens et environ une centaine de dermatologues. Il y a nécessité de réguler cette activité à la fois pour des raisons éthiques que pour un souci de compétences cliniques. Depuis 2024, un DIU de médecine esthétique a été créé, pour protéger les patients, en réservant la pratique de la médecine esthétique à des professionnels correctement formés. Les professionnels de santé ne disposant pas d'un DES de dermatologie ou de chirurgie plastique devront à présent obligatoirement valider cette formation pour conserver le droit d'exercer des actes de médecine esthétique. Les modalités d'inscription sont restreintes à 60 candidats par an sélectionnés de façon nationale et anonyme.

Répondre aux besoins et aux enjeux d'avenir

Actions et formations des médecins généralistes à la dermatologie courante par la FFFCEDV

Les Dr Céline Graveriau (Lyon) et Dr Françoise Truchot (Lyon) soulignent l'importance d'un lien entre médecins spécialistes et généralistes. La formation de ces derniers est indispensable afin d'éviter l'orientation systématique des patients vers un dermatologue pour des lésions bénignes. Ils participeraient ainsi au dépistage dermatologique et permettraient de désengorger les consultations des spécialistes. Des tables rondes entre médecins généralistes et dermatologues sont également proposées afin d'optimiser la prise en charge des patients et valoriser le travail d'équipe. Les réseaux de télé-expertise comme “DermaLyon” ou « Onco-Breizh » sont de bons exemples de projets confraternels permettant un accès aux soins rapide pour les urgences onco-dermatologiques rencontrées par des médecins généralistes.

Intégrer l'écoresponsabilité en dermatologie

Le Dr Anne-Céline Davaine (Morlaix) insiste sur l'empreinte carbone colossale du domaine de la santé, responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Bien que la majeure partie de ces émissions soient dues à l'industrie pharmaceutique, chaque praticien peut participer à la réduction de son impact environnemental notamment en suivant les recommandations éditées par le groupe Envi'Derm de la SFD sur les cabinets éco-conçus. Comment structurer une équipe de soins, l'exemple de la Bretagne : Le Dr Nicole Cochelin (Montfort-sur-Meu) nous a expliqué comment elle a structuré son équipe de soins coordonnés.

Projet de dermatologie itinérante, Mobil'Derm

Le Pr Marie Beylot-Barry (Bordeaux) a présenté le projet, soutenu par la SFD, de dermatologie itinérante. Une caravane se déplacera pour effectuer des consultations au plus proche des populations souffrant de la carence en dermatologues. Ce projet débuterait en Nouvelle-Aquitaine.

La parole donnée aux jeunes

La FDVF était présente lors de cette séance de discussion autour de l'avenir de notre spécialité. Représentant plus de 1000 jeunes dermatologues, notre association fut au centre des échanges et des débats lors de la table ronde clôturant cette journée. Ce sont Angèle Lallement (Présidente) et Olivier Philip (Vice-Président Formation et Représentation) qui ont pris la parole pour présenter aux instances les résultats du sondage inédit, auquel vous avez participé en mars 2025, concernant vos choix de carrière, vos motivations et votre vision de l'avenir de la dermatologie. Nous vous présentons ici les données issues des 333 réponses obtenues.

Des attentes claires

Parmi les enseignements forts :
• La dermatologie est choisie pour sa transversalité (89,8 %), sa richesse clinique (82,6 %), la qualité de vie attendue (79,3 %) et la possibilité d'un exercice mixte à la fois libéral et hospitalier (73,3 %). L'attrait pour la médecine esthétique, souvent fantasmé, est en réalité très minoritaire (5,4 %).
• Devenir dermatologue passe par la réalisation d'un post-internat pour 96,4 % des jeunes, tant pour permettre une mise en responsabilité progressive (compléter leur formation (93,8 %), avec parfois la peur de s'installer immédiatement en libéral (34 %)), que pour valoriser leur exercice futur (accès au secteur 2 (79,4 %), ou avoir accès à une carrière hospitalière (32,7 %) ou universitaire (5 %)).
• Des revendications statutaires émergent, notamment une harmonisation des congés (87,7 %) et des salaires (75,7 %) entre CCA et assistants, une meilleure clarté contractuelle (47,7 %) et un accès identique au secteur 2 pour tous (54,1 %).

Vers une dermatologie engagée et diversifiée

La pratique future envisagée est celle figurant ci-joint (Fig.1).
Les jeunes dermatologues, projetant un exercice libéral, ne souhaitent plus s'installer seuls en cabinet (2,5 %) mais plutôt avec plusieurs confrères dermatologues (59 %) ou au sein de maisons de santé pluridisciplinaires (16 %). Seule une minorité de répondants compte effectuer des remplacements de manière prolongée avant de s'installer (10,8 %).
La carrière hospitalière est motivée par l'exercice d'une surspécialité (32,9 %) ou, au contraire d'une activité de dermatologie variée (37,8 %). De plus, l'encadrement de travaux universitaires (10,7 %) ou la pratique d'une activité de recherche clinique (13 %) en renforcent l'attrait. Il ne semble pas y avoir de différence majeure entre le désir d'exercice en CHU (33,2 %) ou en CH non universitaire (41,4 %).

Concernant la répartition d'activité parmi les domaines de la dermatologie :
• La dermatologie inflammatoire est plébiscitée par 94 % des jeunes pour occuper supérieure ou égale à 20 % de leur temps de travail.
• L'oncodermatologie représentera supérieure ou égale à 20 % de leur activité pour 67 % des interrogés notamment pour répondre aux enjeux de santé publique. Un fort engagement est à noter avec 19 % des répondants se voyant y consacrer plus de 40 % de leur activité.
• La dermatologie interventionnelle est également bien intégrée dans les projets professionnels (supérieure ou égale à 20 % d'activité pour 63 % des répondants).
• La dermatologie infectieuse/vénéréologie et la dermatologie pédiatrique sont souvent annexées à une activité principale.
• La dermato-allergologie et l'activité “plaies et cicatrisation” semblent être considérées comme des surspécialités de recours.
• 50 % des interrogés désirent intégrer la médecine esthétique à leur pratique. Parmi eux, 90 % compte y consacrer inférieur à 10 % de leur activité et aucun n'envisage y accorder plus de 30 % de son temps d'exercice.
• La télé-expertise s'impose comme un levier concret d'avenir pour répondre aux enjeux de démographie médicale avec 86 % des répondants souhaitant y participer.

Pour finir, nous avons souligné le désir des jeunes médecins de “soigner, sans s'oublier” en présentant le temps de travail envisagé dans le diagramme ci-dessous (Fig.2).

En conclusion

Ces États Généraux marquent une étape fondatrice dans le dialogue transgénérationnel et entre les différentes instances et acteurs de soin en dermatologie. La FDVF continuera à porter la voix des jeunes dermatologues et à oeuvrer pour une spécialité à la hauteur des défis à venir. Il nous reste à proposer collectivement des solutions concrètes aux décideurs publics, en vue d'accompagner notre spécialité vers un exercice médical efficace, humain et de qualité. La seule limite de ce temps dédié serait d'en rester là…

Olivier PHILIP
Docteur Junior en Dermatologie à Lille
VP Représentation et formation
2024-2026

Mariam DERIOUICH
Interne de Dermatologie à Caen
VP Représentation et formation
2024-2026

Kim BERNARD
Interne en dermatologie à Paris
Secrétaire générale de la FDVF
Co-rédactrice en chef de la Revue
des Jeunes Dermatologues

Publié le 1759132839000