Le SYNGOF vous Informe : Démographie médicale en chute libre

Publié le 1652483212000

Quelles mesures pour relever les nouveaux enjeux sanitaires et redonner confiance aux praticiens et aux patients ?

La baisse de la démographie médicale en France, en particulier en gynécologie médicale et obstétrique, est la démonstration de notre système de santé en grandes difficultés, qui perd en compétences, en moyens et en qualité.


M. SCHEFFLER*

propos recueillis par E. PAGANELLI**

E. P : En raison de la baisse démographique, de nombreux confrères ne sont pas remplacés au moment de leur départ à la retraite. Comment peut- on orienter au mieux les patientes ?
M. S : Si nous en avons la possibilité, il faut tenter d’orienter les patientes en première intention vers un confrère gynécologue médical ou gynécologue obstétricien, celui ou celle qui a véritablement fait le choix d’exercer ces métiers complexes et éprouvants, en fonction de la zone géographique et en fonction des besoins identifiés pathologiques de ces patientes et de leur demande. Dans les grandes villes, on peut encore trouver des confrères ou un hôpital, et donc une consultation organisée avec des délais de 2 à 3 mois. Mais en périphérie des grandes villes où il n’y avait plus qu’un seul gynécologue, proche de la re- traite et où il n’y a pas de maternité, il n’y a plus de solution. Dans les villes totalement démunies au plan médical, il faudra chercher plus loin la possibilité de consultation avec la problématique des transports qui tendent eux aussi à disparaître.
Faire appel aux médecins généralistes, diplômés du DIU de GM et GO, qui pratiquent quasi exclusivement la gynécologie, qui continuent à se former au sein de nos collèges et de nos congrès de façon pluriannuelle et qui connaissent bien leurs limites de compétence, peut être une solution. Il faut impérativement qu’ils évoluent à notre contact pour élaborer un réseau de soins des plus performants.
Mais cette solution des médecins généralistes est encore plus exceptionnelle en réalité, tant la baisse de la démographie médicale a été, et est, drastique- ment choisie en pleine conscience et connaissance des conséquences actuelles, par les gouvernements successifs depuis environ trente ans.
Aucun d’eux n’a voulu compter jusque 14 ans, le temps minimal d’études nécessaire à la formation initiale et n’a su ou n’a voulu corriger les erreurs passéistes et indifférentes de leurs prédécesseurs. Tous ont largement été informés, à maintes reprises, par les syndicats, les médecins eux-mêmes, nous-mêmes, et bien sûr par les femmes, de cette politique sanitaire ne pouvant conduire qu’à une dégradation de la qualité des soins, à une insécurité pour nos patientes enceintes ou le devenant. Ce qui nous amène actuellement au renoncement massif des soins tant de la part des patientes que de la part des médecins qui prennent leur retraite prématurément, désertent les salles d’accouchement, meurtris profondément par des successions de maltraitance, tout d’abord fi- nancière et assurantielle pour mieux les soumettre, administrative pour leur dérober leur responsabilité de médecin, éthico-judiciaire pour détruire leur vo- cation et la force humaine de leur engagement, et médiatique, s’appuyant plus sur le commérage que sur la science et sans droit de réponse. Tout ceci s’est exercé à contre-courant des générations antérieures, celles de nos maîtres qui n’y avaient pas été soumis et ne nous y ont pas préparé(e)s.
Depuis la loi Bachelot et la loi HPST, les sage femmes ont en charge les patientes qui ont un parcours physiologique de contraception, de grossesse, d’IVG médicamenteuse et de prévention, actes majeurs de la discipline gynécologique et obstétricale aux conséquences et retombées multiples. Ces choix de nos ministres n’ont pas été discutés avec les représentants de nos professions de gynécologue médical et de gynécologue obstétricien et n’ont pas initialement reçu un accueil favorable.
Rapidement s’est posée la question des compétences de chacun(e) et surtout de la connaissance par chaque soignant(e) de son périmètre d’activité en lien avec le champ de sa formation et de ses compétences.
Aujourd’hui, peu de rapprochements ont eu lieu, figeant les relations interprofessionnelles et cet état de fait est clairement à améliorer, là encore pour sécuriser les réseaux de soins.
Je tiens à souligner qu’une consultation de gynécologie est rarement rapide, l’interrogatoire est précis, l’examen clinique est indispensable, l’information préventive et thérapeutique de la patiente étant les gages de l’avenir de la santé de celle-ci et de sa descendance. La gynécologie est une médecine qui prend du temps et le coût du travail, déjà très excessif en France, est un casse-tête à appliquer à la gynécologie et à l’obstétrique que ce soit à l’hôpital, en clinique ou en activité libérale. De plus, en obstétrique elle a en responsabilité deux vies, celles de la mère et de l’enfant, ce que les assureurs ne manquent de tari- fer dans leur devis mais ce que la sécurité sociale ne nous reconnaît pas dans la tarification de nos actes. Nous assistons en conséquence à une évolution des pratiques de la gynécologie obstétrique vers la PMA et la chirurgie gynécologique exclusive et vers la gynécologie médicale et nombre d’internes exercent leur droit au remord en cours de cursus vers d’autres spécialités devant les difficultés rencontrées au cours de leur formation en raison de la dureté du métier et de l’engagement physique, éthique, familial et financier qui leur paraît impossible.
En conclusion, que ce soit physiquement et financièrement, ce n’est pas au médecin d’assumer in- dividuellement la réponse à ce problème que vous me posez : celui des conséquences des erreurs des politiques de santé successives.

E. P : Qu’est-il fait au niveau des pouvoirs publics pour remédier au problème démographique ?
M. S : Les pouvoirs publics sont extrêmement inquiets, à juste titre, de la situation sanitaire de la France étant donné qu’il manque en effectif dans toutes les spécialités 25% de médecins, et jusqu’à 37% d’anesthésistes… C’est une situation très pré- occupante, alors même que nous approchons des 70 millions d’habitants en France ! et que nous faisons face d’une part à une population qui vit plus long- temps avec des soins plus prégnants et plus coûteux, notamment dans les domaines des fréquents cancers gynécologiques mais aussi des troubles de la fertilité, aujourd’hui avec des prises en charge bien au-delà de 40 ans consécutives aux avancées technologiques, bio- médicales et à l’évolution sociétale, et d’autre part à une population qui est exposée aux IST, aux addictions, à des besoins contraceptifs pour éviter avortements et grossesses poursuivies non désirées, avec risque de maltraitance, et dont la nécessité éducative en matière de santé sexuelle est une véritable urgence.
Depuis la loi Bachelot, les sages femmes sont pré- sentes sur le territoire pour prendre en charge la contraception et le suivi physiologique des femmes en gynécologie et en obstétrique : ceci est une des me- sures prises par les pouvoirs publics pour remédier au problème démographique des médecins, tout en nous incitant à faire évoluer nos professions de gynécologues médicaux et de gynécologues obstétriciens vers des prises en charge de patientes présentant soit un niveau de risque de pathologie, soit une ou plusieurs pathologies associées avec des niveaux différents de complexité. Chacun le sait, tout ceci est bien difficile à codifier, chaque patiente portant en elle, les secrets connus ou à découvrir, de ses faiblesses passées et à venir. Nos consultations sont de ce fait chronophage. Les pouvoirs publics font actuellement la promotion de l’intelligence artificielle et de l’essor des moyens de communication tels que la télémédecine, nous per- mettant de libérer du temps médecin ; technologies dont nous apprendrons à tirer parti très certainement. Depuis un an, sont organisées des réunions de travail à la DGOS dans les domaines de la naissance et de la chirurgie. Le fruit de ces rencontres réunissant les CNP, les sociétés savantes parties prenantes, les soignants et l’administration de l’Etat concourent à produire des lois structurelles et organisationnelles principalement, visant à assurer la qualité des soins et la sécurité des patient(e)s à partir de déterminants. Ces lois seront applicables courant 2020, réorganisant les maternités et les structures de soins sur le territoire.
Depuis environ dix ans, de multiples restructurations au sein des équipes soignantes ont tenté la réorganisation du travail de chacun, en mutualisant les efforts, en modifiant les équipes.
Beaucoup de structures et de petites maternités ont finalement fermé car elles mettaient en péril les parturientes et leurs enfants, le plus souvent par manque de personnel et de moyens assurant la sécurité 365 jours par an.
D’autres maternités fermeront encore, permettant de renforcer les équipes ailleurs avec, nous le souhaitons, l’expertise de toutes les équipes de la naissance. Car ces restructurations ne se sont pas faites sans répercussions négatives : la solitude face au patient, l’isolement des soignants devant l’ordinateur et l’absence de communication interne sur le projet de soin, le défaut d’information des résultats médicaux, la fin de la transmission des savoirs et du rôle des sachants, la course effrénée du travail à produire, dans un ti- ming de plus en plus serré, éloignant chacun(e) de plus en plus de l’objet principal de sa mission, à savoir le bien-être et la sécurité du patient. Tout ceci est pour nous source de questionnements mêlés à l’angoisse devenue quotidienne de l’erreur médicale, faute de moyens et de temps.
Toutes ces situations sont à éviter désormais et des métiers de coordination positive, d’information et d’organisation au plus proche des soignants et des soigné(e)s sont à créer.
C’est ce que nous avons tenté d’exprimer auprès des pouvoirs publics afin que ces nouvelles lois tiennent compte avant tout de l’humain, tant au niveau des patientes que des soignants, et soient adaptables aux plus faibles d’entre nous. J’ajouterai qu’il convient tous les ans d’augmenter par deux au moins, dans les 3 ans à venir, le nombre de postes à l’ECN pour le DES de Gynécologie Médicale et le DES de Gynécologie Obstétrique.

E. P : Le problème n’est pas seulement démographique. Dans un contexte de réduction des dépenses, a-t-on des moyens à la hauteur des enjeux sanitaires ?
M. S : C’est un vrai problème qui fait donc actuellement l’objet de discussions à la DGOS afin de trouver le juste équilibre, la bonne formation et des moyens que pour le moment la France ne semble pas avoir. Je suis assez pessimiste quant aux moyens financiers, car je ne vois aucun problème se résoudre de ce côté-là, mais ne suis pas compétente en ce domaine de micro et macroéconomie.
Cela dit, la santé est un droit constitutionnel et il concerne dans cet exemple le nouveau-né.

E. P : Quelles sont les pistes envisagées pour gérer la transition entre les départs à la retraite et l’arrivée des jeunes praticiens sur le marché ?
M. S : J’ai espoir en la jeunesse qui arrive. Elle doit franchir le cap de l’installation. Nous devons les accompagner pour qu’ils soient rapidement opérationnels. Parmi les solutions proposées, il y a le stage chez le praticien : il est important que dans toutes les disciplines, les internes suivent aussi une formation chez le médecin de ville pour apprendre leur futur métier et se rendre compte de l’activité de ville très différente de celle de l’hôpital.
Il y a aussi les maisons médicales pluridisciplinaires, avec une volonté politique d’encouragement des médecins à s’y installer de manière à ce qu’ils ne ressentent pas l’isolement.
L’autre point à prendre en considération est celui de la santé des médecins eux-mêmes. Ils doivent assumer au cours d’une journée beaucoup de responsabilités avec endurance. Nous devons prendre soin des médecins, parce que c’est comme cela qu’ils pourront prendre soin de la population.
Il convient aussi d’organiser les territoires de santé en mini réseau de soins.
Nous devons également davantage nous appuyer sur les seniors et faire en sorte que leur savoir ne parte pas avec leur départ en retraite. Se servir du compagnonnage, c’est donner ainsi l’opportunité aux seniors de faire gagner du temps à la jeune génération en leur transmettant l’essentiel de leur savoir et pour que, bien formée, elle trouve du plaisir à exercer. On pourra ainsi éviter aux internes et jeunes diplômés les situations de burn-out qui les conduisent parfois à renoncer à leur métier à la fin de leurs études !
Par le biais du compagnonnage, les seniors peuvent encadrer les internes de spécialité, aider les médecins généralistes à faire de la gynécologie et accompagner une sage-femme dans sa formation, pour leur permettre de gagner du temps et d’être rapidement opérationnels.
J’ai pour ma part proposé pour l’obstétrique, dans l’urgence actuelle, qu’il y ait toujours sur un territoire 2 ou 3 équipes d’urgence constituées d’experts, réunissant sage-femme, obstétricien, pédiatre et anesthésiste qui soient prêtes à partir dans une maternité, à distance raisonnable, en cas de besoin, pour que l’on n’ait pas forcément besoin de fermer beaucoup de maternités. Cette solution présente plusieurs avantages : tout d’abord, apporter un savoir-faire ponctuellement et permettre un apprentissage des équipes sur place qui pourraient tirer parti de l’expertise des équipes d’urgence à leur contact. Ce fonctionnement permettrait aussi aux équipes de se connaître entre elles, ce qui est essentiel dans un contexte d’urgence ou de transfert. Cela permet également de connaître les limites des uns et des autres, de ne pas se mettre en difficultés et de bien distribuer les responsabilités aux bonnes personnes au bon moment.
Enfin, il faut cesser de compter au plus juste pour les moyens humains afin que la prise en charge de qua- lité puisse s’exercer dans toutes les régions de France. Car avec les réorganisations pour réduire les dépenses, avec la fermeture des lits et le développement de l’ambulatoire, nous sommes arrivés à des comptes trop justes. Il faut des moyens humains et améliorer la communication et le lien entre les praticiens.

E. P : Les praticiens vous semblent-ils prêts à suivre ces évolutions ?
M. S : J’ai l’impression que les jeunes sont prêts à cela, à aller porter la connaissance dans les petites maternités en périphérie des grandes. Les freins viendraient plutôt des générations intermédiaires qui sont installées dans leur pratique et ont du mal à en sortir. Il faut baser ce genre de mesures sur du volontariat et créer une émulation positive, encourager ces pratiques, pas seulement financièrement. C’est une reconnaissance du travail bien fait, qui vaut d’ailleurs pour tous les métiers. Cela évitera le renoncement dont je vous parlais en introduction. Il se crée actuellement un mouvement d’unité de la part des soignants, peut- être en correspondance avec l’espace de solitude dans lequel la restructuration des hôpitaux les a projetés.

E. P : Etes-vous entendus par les pouvoirs publics ?
M. S : En tant que présidente du CNPGO, j’ai été reçue à la HAS pour exprimer les difficultés d’au- jourd’hui. Je pense avoir été entendue.
Y aura-t-il une traduction de ces messages dans les lois qui arrivent prochainement ? La ligne de conduite devra être claire pour tout le monde, et égalitaire même si sa réalisation se révèle complexe. Les politiques sont à une croisée des chemins très compliquée.

E. P : La jeune génération prend-elle part à ces réflexions ?
M. S : Comme vous le savez, le CNPGO est en pleinrefonte. Avec le Professeur Israël Nisand, nous avons réfléchi à ce nouveau CNP qui aura une structuration de conseil d’administration et de bureau décisionnaires mais qui ouvrira ses Assemblées Générales à toutes les associations qui œuvrent dans le domaine de la gynécologue et de l’obstétrique, de manière à avoir une réflexion sur l’évolution de notre profession qui laisse la parole aux jeunes générations. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons milité pour la création d’un CNP commun aux deux DES de GM et de GO.
Il nous faut y créer des cellules d’intelligences pour innover, pour laisser les idées et les expériences s’ex- primer et trouver des solutions qui pourront être diffusées au niveau national, tant pour la gynécologie médicale que pour la gynécologie obstétrique.

Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°117

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