Un rapport sur les morts violentes d’enfants au sein des familles a été rendu public en mai dernier par l’IGAS, l’IGJ et l’IGAENR. Ce rapport relève notamment que les néonaticides constituent un phénomène sous-estimé. En effet, parmi les dossiers judiciaires étudiés (45) par la mission, ils constituent plus d’un sixième des décès.
E. PAGANELLI*
En France, un enfant est tué tous les cinq jours par l’un de ses parents ou conjoint (dans une faible proportion). Ce rapport précise un lien très fort existant entre la violence conjugale et les violences commises sur les enfants. La mise en œuvre d’un certain nombre de ces propositions formulées par la mission concerne le cœur de notre métier.
Les 3 inspections générales - l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), l’Inspection générale de la justice (IGJ) et l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche (IGAENR) - ont été chargées d’une mission prévue par le plan interministériel de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux enfants 2017-2019. Cette mission dresse un rapport sur les faits et causes identifiés, et énonce des recommandations, notamment à l’attention des professionnels de santé.
363 enfants sont morts sous les coups de leurs parents entre 2012 et 2016.
Les morts d’enfants au sein de leur famille ne diminuent pas ces dernières années. Avec 72 morts d’enfants en moyenne par an, comparés aux 123 femmes tuées par leur compagnon, ce nombre correspond à plus de la moitié ces décès. D’après les auteurs de ce rapport qui s’appuie aussi sur des travaux antérieurs d’épidémiologistes et de spécialistes de médecine légale et pédo psychiatrique, ce nombre serait sous-estimé, car il ne tiendrait pas compte des meurtres non révélés des nouveau-nés tués à la naissance, et des meurtres d’enfants non repérés. Sur les 45 cas analysés, 9 concernaient des néonaticides, représentant 11 bébés.
Le décès de l’enfant à la suite d’un néonaticide donne lieu à des questionnements systématiques dans les dossiers étudiés sur l’existence ou non d’un déni de grossesse qui entraîne, s’il est retenu, une absence de circonstance de préméditation pour la mère. Dans l’ensemble des dossiers, la grossesse non désirée a été connue tardivement par la mère. Seule une mère a déclaré aimé être enceinte mais a récidivé une fois. Dans deux dossiers, la mère a tenté en vain d’obtenir une interruption volontaire de grossesse (IVG) en rai- son de la tardiveté de sa demande. Dans six des sept dossiers, les enfants n’ont pas de prénom et n’ont pas d’existence légale. Les grossesses n’ont pas été suivies médicalement. Au moment des faits, la mère est incapable de percevoir le nouveau-né comme son enfant. Le rapport note des femmes au parcours de vie chaotique (climat de violence au sein de la famille, absence de domicile, placement à l’aide sociale à l’enfance, …), Il s’agit, dans sept des cas analysés, de faits commis par les mères dans un grand isolement social et psycho-affectif pendant la grossesse, seules au moment de l’accouchement. Ces mères sont parvenues à dissimuler leur grossesse souvent jusqu’à son terme, y compris à leur entourage proche.
Le rapport pointe aussi la question de la contraception. L’étude des dossiers a clairement mis en relief que le sujet de la contraception, sphère de l’intime, demeure tabou et que l’ignorance des femmes en la matière est sous-estimée. Ainsi, cinq des sept femmes avaient déjà subi une IVG, et parfois même plusieurs, avant les faits. Se pose la délicate question de la prévisibilité de ce type de passage à l’acte et donc de sa prévention. Ces femmes, quel que soit leur âge, ne maîtrisent pas leur contraception. Certaines ne comprennent pas l’utilité de la prise de la pilule, alors qu’elles n’ont pas de relations régulières. Plusieurs d’entre elles ont indiqué avoir poursuivi leur grossesse et tué leur enfant parce qu’elles avaient honte de demander une IVG qui établirait leur ignorance en matière de contraception, alors même qu’elles n’étaient pas de toutes jeunes femmes et même parfois déjà mères.
Quelles mesures proposer pour enrayer un phénomène qui ne diminue pas au fil des années ?
La mission propose de prévenir :
Une des propositions est de prévenir la grossesse non désirée pour diminuer la maltraitance d’enfants. Elle recommande de lancer une campagne sur les différents modes de contraception et de mieux accompagner les femmes sur la question de la contraception en privilégiant les femmes vulnérables.
Une autre recommandation est d’accompagner de manière renforcée les parents connus pour leur vulnérabilité durant les périodes cruciales comme la grossesse, l'accouchement et le début de la parentalité, avec le repérage systématique des facteurs de vulnérabilité somatique, sociale, psychoaffective, et leur orientation vers les structures de soutien parents-bébé existantes ou à créer (PMI, CAMSP, CMPP, CMP et services sociaux).
La mission propose de mieux repérer :
La mission note par ailleurs « des professionnels de santé pas assez vigilants ou réactifs ». La plupart des enfants décédés étaient en effet suivis sur le plan médical, à la PMI, en libéral, à l’hôpital et dans presque 2/3 des cas ils avaient été vus, voire examinés par un professionnel de santé. Ainsi, la mission propose la création d’un carnet de santé numérique du mineur accessible aux médecins et autres personnels de santé habilités.
La mission propose de mieux évaluer :
Les auteurs du rapport suggèrent de mettre en place dans chaque département une commission d’experts qui serait chargée d’examiner a posteriori les cas de décès, afin d’analyser « ce qu’il s’est passé, ce qui aurait pu être fait différemment et comment les situations similaires peuvent être identifiées et prévenues ».
La mission propose de mieux s’organiser :
La mission demande à l’éducation nationale, de ré- fléchir à de nouvelles « modalités d’archivage et de transmission des informations préoccupantes » d’une école à l’autre, pour éviter par exemple qu’un enfant dont la situation aurait été repérée par un enseignant à l’école primaire ne fasse plus l’objet d’une quel- conque vigilance une fois entré au collège.
L’intégralité du rapport et des recommandations est disponible en téléchargement sur le site du ministère de la Justice : http://www.justice.gouv.fr/art_pix/2018- 044%20Rapport_Morts_violentes_enfants.pdf
Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°117