
Nous n'entrons pas dans les études de médecine par hasard. Nous choisissons d'être médecins. Nous savons que les études ne sont pas aisées. Nous savons que les journées de stage seront chargées. Mais nous ne savions pas que nous en souffririons à mettre notre santé en danger. C'est pourtant le constat de notre dernière enquête sur la santé mentale menée par l'ISNI, l'ISNAR-IMG et l'ANEMF. La santé est un droit. L'ISNI défend et défendra la santé mentale de tous les internes. Il est temps de nous entendre et de faire bouger les lignes.
8 ans après la première étude (2017) et 4 ans après la seconde (2021), la santé mentale des étudiantes en médecine et des internes continue d'être préoccupante. À l'heure où l'accès aux soins est une priorité des françaises et que le manque de médecins est criant, on constate que 10 % des médecins en formation pensent quotidiennement à arrêter la médecine. Pire encore, 21 % ont eu des idées suicidaires pendant les 12 derniers mois.

Maltraitance : Humiliation et VSS
Les humiliations comprennent les moqueries, l'usage de surnoms méprisants et le fait d'être rabaissé ou humilié dans le cadres des études. Les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) incluent les situations dans lesquelles une personne impose à autrui un ou des comportements ou propos (oral ou écrit) à caractère sexiste et/ou sexuel.

Une des spécificités de nos études réside dans la rencontre entre une charge universitaire importante et une implication concrète dans un système de soins en difficulté croissante : une grande partie de notre apprentissage pratique se fait au sein des structures hospitalières, principalement les CHU. Ce double statut, d'étudiante et d'agente de la fonction publique hospitalière, augmente incontestablement les facteurs de risques psychosociaux auxquels sont exposées les étudiantes en médecine.
Nous cumulons les 6 risques psycho-sociaux
Les étudiants en médecine, dont les internes, cumulent six risques psychosociaux : l'intensité et du temps de travail, l'exigence émotionnelle, le manque d'autonomie, des rapports sociaux au travail dégradés, des conflits de valeur et une insécurité de la situation de travail. Sur ce dernier point, nous insistons sur l'instabilité pendant l'internat où nous changeons de lieu d'exercice tous les six mois. Au-delà de l'aspect logistique du logement, du transport, cela implique aussi une rupture sociale continue sans parler du suivi des soins. Tous les six mois il faut retrouver un médecin traitant, un chirurgien-dentiste, une sage-femme, des médecins spécialistes ad hoc, etc.
Les 6 facteurs de risque psycho-sociaux
Illustration par des citations issues de l'enquête

L'immobilisme des politiques publiques
Missionnée par nos deux ministères de tutelle, le Dr Donata Marra dans son rapport paru en 2019 constatait l'urgence à agir pour la santé mentale des étudiantes en santé. Si de nombreuses promesses gouvernementales ont vu le jour par la suite, force est de constater que les financements nécessaires à leur application sont encore attendus six ans plus tard. Pour exemple, la lente création de la Coordination Nationale d'Accompagnement des Étudiantes en Santé (CNAES). Créée en 2019, la CNAES n'est connue que par 4,1 % des médecins en formation. Elle était pourtant présentée comme une réponse à nos problématiques par le gouvernement. Au-delà de la méconnaissance des médecins en formation de ce dispositif, c'est bien un immobilisme et une inefficacité de ces structures que nous déplorons, mettant directement en danger les personnes en détresse.
Dans la lignée du mouvement Me Too Hôpital, la nécessaire lutte contre les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) via notamment la levée de l'omerta les entourant est urgente. Aujourd'hui la confiance dans le traitement des signalements et la protection des étudiantes et internes qui signalent n'existent pas.
Nous, syndicats de futures et jeunes médecins, nous sommes saisis de ces sujets à travers des contributions dès 2021 avec la Contribution sur les VSS rédigée par l'ISNAR- IMG, les 38 propositions de l'ANEMF pour la lutte contre les VSS au sein des études de médecine en 2024, le guide de lutte contre les VSS par l'ANEMF en 2023, mis à jour en 2024.
Nous regrettons la léthargie, suite à un énième remaniement, du Plan “Lutte contre les Violences Sexistes et Sexuelles à l'Hôpital” 2024 évoqué en mai 2024 par le précédent ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention, M. Frédéric Valletoux. La Conférence des Doyens rappelait le mardi 08 octobre 2024, à l'occasion de sa quatrième conférence de concertation sur les risques psychosociaux et les VSS, qu'une « tolérance zéro serait de mise » et qu'il était temps de « passer à l'action ». Nous ne pouvons que rejoindre ce constat. Nous continuerons à nous mobiliser, convaincues de l'importance de ces luttes dans la construction d'un secteur de la santé protecteur des soignantes et des patientes.
Et si on formait tous les responsables de stage comme en MG ?
D'autres décisions institutionnelles tendent à majorer les facteurs de risques psycho-sociaux auxquels sont soumis les étudiantes et internes en médecine. La course à l'allongement des maquettes des différentes spécialités (10ème année de médecine générale, 11ème année de psychiatrie… ) en est un exemple marquant. Il est important de rappeler que la construction des maquettes pédagogiques des internes doit se faire dans l'intérêt supérieur de leur formation. Les internes n'ont pas vocation à pallier au manque de médecins dans certains territoires, ni à servir de variable d' ajustement à un hôpital à bout de souffle.
D'autre part, la grande majorité des praticiennes accueillant des étudiantes et internes en stage ne sont pas formées à la détection et au dépistage de la souffrance au travail des étudiantes.
C'est particulièrement vrai pour les responsables de stages hospitaliers, puisqu'actuellement aucune disposition réglementaire n'encadre cette formation. Ce manque de formation est préjudiciable aux étudiantes, mais également à leurs responsables qui n'ont pas les outils pour les accompagner. Une exception existe néanmoins pour les responsables de stages extra-hospitaliers (ou ambulatoires) de médecine générale qui, depuis 2021, doivent être formées à l'accompagnement des étudiantes. Cette formation est renforcée en juillet 2024 en y ajoutant les principes et les structures de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, en plus de la prévention des risques psycho-sociaux chez les étudiantes.
Les propositions de l'ISNI
Nous exigeons :
• Une application stricte de la réglementation prévoyant 2 demi-journées hebdomadaires de travail universitaire et personnel, pour permettre aux internes de se conformer aux exigences de formation sans sacrifier leurs congés annuels, repos de gardes ou leurs nuits.
• Une formation à la pédagogie, à la prévention des violences sexistes et sexuelles et aux déterminants de la santé mentale des étudiantes en médecine dans le parcours de formation des maîtres de stage universitaires et des praticiennes hospitalierères.
• Favoriser le développement de terrains de stages ambulatoires également pour les spécialités hors médecine générale afin de faire découvrir aux internes l'ensemble des aspects possibles de leur futur exercice.
• Développer dans l'ensemble des spécialités les échanges entre pairs formalisés, sur le modèle de l'internat de médecine générale.
• L'application stricte de la réglementation en vigueur concernant le temps de travail, par la mise en place dans chaque centre hospitalier d'un dispositif de décompte horaire du temps de travail des internes.
• Mettre en œuvre les aménagements de stages pour les étudiants et internes qui en ont le droit en lien avec leur situation personnelle (grossesse, handicap… )
• Recruter rapidement le personnel hospitalier qualifié indispensable au fonctionnement des services de soins pour limiter le glissement de tâches, partiellement responsable de la surcharge de travail et du manque de formation auquel font face les étudiantes.
• Investir enfin les moyens financiers nécessaires dans le système de soins français pour permettre à chaque agente d'exercer sa profession en accord avec ses valeurs, dans l'intérêt des soignantes et des patientes.
• Travailler d'avantage avec les structures représentantes d'étudiantes et internes en médecine qui ont toujours été force de propositions pour co-construire les réformes (par exemple sur la R2C et la 10ème année de médecine générale).
• Poursuivre la démarche actuelle de valorisation des activités extra-universitaires tout au long du cursus médical, en favorisant notamment l'accès à l'activité physique, dont l'impact positif sur la santé mentale est démontrée.
• Mettre en place une formation standardisée des étudiantes et enseignantes en santé mentale sur la prévention des risques psychosociaux, à l'image de la formation « Premiers Secours en Santé Mentale » déjà existante dans plusieurs facultés, ainsi qu'au développement des compétences psychosociales.
• La sensibilisation à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans la formation des étudiantes et enseignantes.