
Projet de Loi n°2462
Ou
Projet de Loi relatif à l'accompagnement des malades et de la fin de vie
Déposé le 10 Avril par Catherine Vautrin en Conseil des Ministres et actuellement en suspens étant donné la situation politique actuelle de dissolution de l'Assemblée Nationale.
Grégoire MOUTEL, PUPH en Médecine Légale et Droit de la Santé, spécialiste des questions d'Éthique en Santé, nous a rencontré·es afin de parler du Projet de Loi sur l'accompagnement des malades et de la fin de vie.
Auditionné sur le sujet de la fin de vie à l'Assemblée Nationale, nous lui avons demandé quel est son rapport avec le Droit de la Santé : “Depuis une trentaine d'années je m'occupe de questions sur comment les lois en Droit de la Santé sont adaptées ? Comment faut-il les faire évoluer ? Comment les lois régulent les pratiques professionnelles ? Comment les professionnel.les doivent mieux les comprendre ?”. Il a pu travailler sur des sujets comme “le don d'organes, la procréation médicale assistée, la génétique prédictive et bien évidemment un gros volet autour du droit des patients en général”.
Pour ce qui touche à la fin de vie, il a déjà été amené à travailler en réanimation sur le prélèvement d'organes et son refus de la part des familles : “Cette pratique est régie par le principe de consentement présumé, c'est-à-dire que tout citoyen est donneur. Mais c'est difficile de ne pas tenir compte de l'avis des familles. C'est de l'éthique de décision”.
À propos du Projet de Loi relatif à la fin de vie, il nous explique qu'il est constitué de deux volets :
• Améliorer l'accompagnement en Médecine Palliative ;
• Accompagner les patient.es dans une aide active à mourir.
Améliorer l'accompagnement en Médecine Palliative
Pourquoi faire tout un volet sur les soins palliatifs dans une loi sur la fin de vie ?
“Avant de débattre du recours à une sédation profonde et continue, actuellement autorisée par la loi, et de l'euthanasie ou du suicide assisté, qui eux ne sont pas autorisés par la loi, il faut que tous les patients bénéficient d'un accompagnement de Médecine Palliative de qualité.”
Pr MOUTEL nous explique “[qu']en France, seulement 60 à 70 % des patients nécessitant un accompagnement palliatif en bénéficient faute de moyen, faute de structure, faute de formation et ça malgré un plan de développement déjà existant. On ne couvre pas tous les besoins”.
“Il y a encore des gens qui meurent mal”.
Améliorer l'accompagnement en Médecine Palliative, c'est améliorer la formation des professionnel.les de Santé. Mais comment ? Un DES de Soins Palliatifs ? Améliorer la FST déjà existante ?
En réalité, “il existe deux débats : créer un DES de Médecine Palliative, pour avoir des équipes référentes, et, à côté, faire que tout le monde ait la culture et les bases de la Médecine Palliative.”
Un nouveau DES permettrait de former des “spécialistes qui soient référents de Médecine Palliative, comme il y en a en Cardiologie, Médecine Générale... Il faut des spécialistes de la Médecine Palliative parce qu'il y a des compétences et des structures à organiser comme les protocoles à mettre en place, monter des unités de Médecine Palliative, avoir des lits dédiés dans les établissements de santé. Il faut donc des équipes référentes.”
Pour autant, il faut que les soins palliatifs fassent partie à part entière de la “culture générale de notre formation : le cardiologue verra des insuffisances cardiaques terminales, le néphrologue de la dialyse terminale, le neurologue des maladies neurodégénératives ou des SLA. C'est exactement la même chose qu'avoir une formation minimale en tout : physiologie, pharmaco, tout ce qui est transversal !”
Cette double casquette permettrait d'améliorer la couverture des soins palliatifs : former les futur.es médecins notamment ceux et celles particulièrement “touché.es par la mort comme en cancérologie, en réanimation, en neurologie” avec des “DU ou des formations complémentaires en Médecine Palliative” et former des médecins spécialistes en Médecine Palliative afin de créer “des structures et des équipes de soins palliatifs pour venir aider les équipes hospitalières mais aussi les collègues de ville, qui sont souvent oubliés”.
Comment peut-on expliquer les 30 à 40 % de patient·es qui ne peuvent pas bénéficier de soins palliatifs ?
Il y a plusieurs explications : “Le Covid a montré les lacunes des soins palliatifs en EHPAD mais aussi au domicile pour les patients [atteints de maladies chroniques]. Beaucoup de gens atteints de maladies chroniques ne veulent pas mourir à l'hôpital et donc il y a beaucoup de besoins en Médecine Palliative qui ne sont pas couverts non plus à domicile. De manière générale, tout cela recouvre les problèmes des déserts médicaux : les régions en déficit de recrutement dans toutes les spécialités le sont aussi pour la Médecine Palliative. Il y a donc des territoires nationaux où il n'y a pas assez de structures. C'est un vrai enjeu”.
Mais le développement des soins palliatifs est déjà un projet politique depuis plusieurs années ?
“En France, on a une particularité, on est capable de voter des lois sans mettre les moyens derrière. C'est un beau sujet franco-français”.
La Médecine Palliative s'est “déjà développée ; il y a 10 ans, elle était de 20 à 25 % et aujourd'hui nous sommes sur la couverture que je vous mentionnais tout à l'heure de 60 à 70 %. Pour autant, il reste encore au moins 30 % donc environ une personne sur trois qui ne dispose pas d'un accompagnement en Médecine Palliative alors qu'il en a besoin.”
Il faut en réalité se “méfier de l'effet d'annonce qui n'est pas suivi d'effets. Il faut continuer à revendiquer auprès du politique que derrière les annonces et les lois, il faille des moyens. Quand on vote une loi avec des objectifs, il faut faire un plan de développement qui soit à moyen terme, parce que si on met 10 à 15 ans, ça ne voudra rien dire au vu des roulements politiques et des calendriers. Un plan de développement doit être raisonnable sur 2 ou 3 ans”.
Une idée de la future construction du DES de Soins Palliatifs ?
Aujourd'hui, “il y a un collège des enseignants de Médecine Palliative (maîtres de conférences et professeurs universitaires). Ils développent un programme qui pourrait asseoir un DES, mais aussi les formations à la médecine palliative pour toutes les disciplines médicales concernées. Certains pensent que c'est un vrai risque de former des médecins qui ne seraient que médecins palliatifs toute leur vie, certains pensent que la FST serait peut être plus cohérente.”
Pourtant cette FST existe déjà ?
Oui elle existe déjà, mais elle tend à être accessible à plus de spécialités, “pour les neurologues, les infectiologues, les gériatres, les cardiologues, les cancérologues…”, car toutes les spécialités peuvent être concernées par la fin de vie.
Quel est le risque d'un DES de Médecine Palliative ?
Il y a d'abord la question de l'installation : “J'ai déjà le même problème en Médecine Légale. Il y a un nombre de structures restreintes pour s'installer par la suite.”
Puis, au vu du contexte et de l'évolution du débat de société, “vers le suicide assisté, les directives anticipées amenant à réaliser des euthanasies, est-ce que ça ne serait pas ce corps de profession qui serait uniquement sollicité pour faire ces gestes ? Et dans ce cas, ça serait difficile à porter.”
Finalement le Pr MOUTEL pense que : “la FST est le meilleur moyen pour répondre aux besoins des patients”.
Accompagner les patient.es dans une aide active à mourir
Commençons par “un peu d'historique. On reprend la Loi Leonetti parue en 2005, elle a subi quelques modifications depuis et a permis de mettre en place une procédure qui aboutit à ce qu'on appelle la sédation profonde et continue. Il s'agit d'un traitement médicamenteux, en perfusion le plus souvent, qui peut être déclenché quand on est dans une situation d'obstination déraisonnable et que la mort du patient est attendue à court terme. Ce n'est pas une loi sur l'euthanasie puisque c'est une loi qui va accompagner, voire potentiellement accélérer, le décès attendu du patient. Elle est mise en place en premier lieu pour soulager le patient. Le traitement n'est pas mis pour tuer mais pour soulager le patient, avec pour corollaire le double effet qu'il peut accélérer la survenue du décès attendu”.
Aujourd'hui, il existe un nouveau “débat de société qui est : qu'est-ce qu'on peut faire pour des gens qui ne sont pas en fin de vie à court terme, mais qui estiment que leur vie ne vaut plus le coup d'être vécue ?”
On parle de changer le délai ? Court terme ? Moyen terme ? Comment le définir ?
En effet, dans le projet de loi, il est question de moyen terme et “il est important de le définir. Certains vont dire que c'est 3 jours, d'autres 3 semaines ou encore 3 mois. Si on peut faire l'analogie avec la loi sur l'IVG, on a défini 14 SA. Dans une grossesse c'est plus simple. Ici, la situation se recoupe avec le pronostic médical. Vous le savez mieux que moi, le pronostic médical n'est jamais certain. Donc, on va se baser sur des éléments statistiques ou d'estimation de ce que sera ce moyen terme.”
On entend beaucoup dans le débat public l'exemple de la Sclérose Latérale Amyotrophique (SLA), avec des patient·es qui disent “je ne veux surtout pas me voir me dégrader, je veux mourir tout de suite”. Il faudra “se poser la question quand le patient commencera à se dégrader, perdre du poids”, mais pas au moment de l'annonce. Le délai ne correspond pas forcément et le pronostic médical reste difficile à définir. “Est-ce qu'on est dans la case du moyen terme évoqué dans la loi ? On n'y est pas encore. Il y a encore débat”.
Qui prendra la décision ?
“Ce n'est pas encore tranché. Le texte final on ne l'a pas. Les débats c'est : est-ce que ça peut être un médecin seul ? Le généraliste qui connaît son patient ? Le neurologue seul ? Objectivement, il y a toujours en termes d'éthique un risque à la décision solitaire parce qu'on peut se tromper et que c'est dur à porter, à assumer. Donc l'éthique plaide plutôt pour la décision collégiale”.
Et si on parle de collégialité, laquelle sera-t-elle ? “Médecin traitant + expert d'organe + expert indépendant ? Il faut la déterminer ! Est-ce que ce sont des instances de collégialité clinique (c'est-à-dire [au contact] du patient) ou de collégialité territoriale (comme les CPDPN [Centres Pluridisciplinaires de Diagnostic PréNatal] pour les interruptions médicales de grossesse à partir des DPN) ?”
“Mais derrière il y a aussi la question du contrôle, pour être sûr qu'il n'y ait pas de dérive”. Il s'agit d'un nouvel argument pour la décision collective car “la décision individuelle, même d'un médecin (même si ce sont des gens parfaits !), dans un sens comme dans l'autre, peut mener à une dérive : certains pourraient ne pas donner suite à la demande légitime d'un patient ou d'autres pourraient exercer avec des recours abusifs à l'aide active à mourir”.
Qui fera le geste final ?
Il y a des nuances en fonction de qui fait le geste final. “Pour le suicide assisté, c'est le patient qui réalise lui même le geste, alors qu'on lui donne les éléments pour le réaliser : une prise médicamenteuse orale, ou encore un cathéter implanté avec un pousse-seringue à sa disposition et c'est lui qui fait le geste.”
Mais, il est aussi évoqué dans les débats que le geste pourrait être fait par autrui. “On ne sait plus si c'est un suicide assisté par quelqu'un ou une euthanasie.” Et qui pourrait être cette personne ? “Le patient accompagné d'un proche ? Le patient accompagné d'une structure associative de bénévoles comme ça se passe en Suisse. Mais ça peut être aussi le professionnel de santé, ici le médecin”. Il s'agit encore d'une question à définir.
Et si le médecin ne veut pas faire le geste ? Existe-t-il une clause de conscience ?
“Elle sera dans la loi”.
On retrouve plusieurs raisons à son existence. Grégoire MOUTEL nous parle du cadre de la spiritualité : “On peut être pour ou contre par rapport à notre religion. Mais j'aime rappeler que, même si je suis attaché à cette clause, on doit agir selon les convictions du patient et pas en fonction de ses propres convictions”.
Le deuxième volet est “plus important et porte sur la pénibilité extrême de ce geste et sa réalisation pratique. On peut être pour l'euthanasie, pour soi aussi, mais entre “être pour” et “réaliser le geste”, y compris éventuellement plusieurs fois dans sa carrière ou dans une année, il y a une grande différence. C'est loin d'être anodin.”
Quelles peuvent être les conséquences de la clause de conscience ? Si on prend l'exemple de l'IVG, cette clause oblige à la redirection et parfois dans des territoires déjà lésés dans l'accès aux soins, ce droit est mis en péril.
“Comme l'éthique est complexe, ça pose un vrai sujet, car si trop de gens utilisent la clause de conscience ça peut aller à l'encontre du droit des patients.”
Dans les solutions imaginées, “on ne veut pas créer de lieu spécialisé où les gens iraient mourir. On fait le pari que tous les professionnels de santé seront formés et que chacun dans son domaine pourra gérer avec la collégialité, l'esprit d'équipe ou encore la structure de décision régionale.”
“Mais si trop de professionnels font usage de la clause de conscience, le nouveau cadre ne fonctionnera pas. Comme on ne supprimera pas la clause de conscience (car on ne peut contraindre les professionnels)”, il faudra peut-être alors réfléchir de nouveau au cadre d'application de la loi et “peut-être revenir sur nos pas et créer des centres spécialisés dédiés au suicide assisté et à l'euthanasie ? Mais ce n'est pas le choix actuel.”
Comment préserver la santé mentale des soignant·es et le poids lié à cette nouvelle prise en charge ?
On retrouve plusieurs pistes. Tout d'abord avec des “décisions collectives, avec un staff pluridisciplinaire et la collégialité comme elle existe dans la loi actuellement. En ville, il faut structurer quelque chose de collectif, car le poids de la décision ne peut pas être individuel. Et même après, dans la réalisation de l'acte, il faut que ça soit collectif. En réanimation par exemple, dans le cadre de la sédation profonde et continue, on le fait tous ensemble, même si une seule personne fait le geste, les infirmières, les proches peuvent être présents. Il y a une dimension collective”.
“Et la deuxième chose importante c'est le débriefing, le suivi psychologique. Beaucoup de gens sont pour l'évolution de la loi, mais attention, il faut aussi protéger les soignants. Donc l'accompagnement psychologique, comme pour les équipes de gynécologie qui font de l'orthogénie, est essentiel. Former et accompagner, c'est important. C'est là d'ailleurs que les équipes ressources de Médecine Palliative peuvent participer à la décision et à l'accompagnement”.
Les mineur·es sont exclu·es de l'aide active à mourir
C'est très compliqué juridiquement ! D'un point de vue éthique, il faut demander le consentement aux parents : “il faut donc demander à des parents un consentement pour tuer leur enfant”. Pour autant, Pr MOUTEL reste étonné car “les mineurs sont tout aussi concernés par le sujet ! Ils ont aussi des dégénérescences d'organes, des pathologies mortelles, que ce soit des tout petits mais aussi des enfants entre 15 et 18 ans.”
Doit-on attendre la barrière des 18 ans pour prendre cette décision ? Doit-on définir un cadre hors de l'autorisation parentale ?
Il faut être capable de donner son consentement !
Comment faire pour les patient·es souffrant de troubles neurocognitifs ? Ils et elles ne seront pas capables de donner leur consentement.
“La solution, elle existe déjà. Il s'agit des directives anticipées. Elle existe déjà pour la sédation profonde et continue. Est-ce qu'on l'étend à l'aide active à mourir ?”
“Pour cela, elles doivent être extrêmement bien rédigées. Dans ce contexte, il est demandé que les professionnels aident à leurs écritures, or nous ne sommes pas formés.”
Les directives anticipées doivent-elles être appliquées à la situation de l'aide active à mourir ?
Le constat principal est que le manque de formation en Médecine Palliative pose problème.
Merci au Pr Grégoire MOUTEL de nous avoir accordé un moment afin de discuter de ce Projet de Loi, véritable débat de société.
Interview par
Lou MERZAUX
Via enregistrement

