La parole aux internes stigmatisation et PSYLAB

Publié le 26 May 2022 à 16:25


Le PsyLab, ce sont deux psychiatres : Dr Christophe Debien (alias Chris), ancien chef des urgences psychiatriques du Centre Hospitalier régional universitaire de Lille, et son collègue Geoffrey Marcaggi (alias Jeff). Le 11 octobre 2017, nous sommes allés à la rencontre de Jeff, présent à Montpellier à l'occasion de l'ouverture du Congrès National des Internes de Psychiatrie 2017. Cela a été l'occasion d'échanges très riches.

Pour ceux qui sont un peu perdus et qui ne vous connaissent pas, comment vous décririez-vous en 5 mots-clefs maximum ?

Vulgarisation / Déstigmatisation / Culture pop / Cinémaséries-jeux vidéo / Psychiatrie.
A ma connaissance on est les seuls psychiatres mais pas les seuls "psy". Plusieurs chaînes de psycho ont émergé, soit des chercheurs de psychologie sociale, de sciences cognitives, et beaucoup de psychanalystes.

Dans vos vidéos, vous expliquez que votre motivation première dans votre projet était la déstigmatisation des patients et des psychiatres.
Quel état des lieux faites-vous du regard actuel de la société envers la psychiatrie ? Y a-t-il eu des évolutions récentes, qu'elles soient positives ou négatives ?
L'état des lieux est toujours préoccupant. Nous avons des données complètes à ce sujet, notamment grâce à l'enquête santé mentale de la population généraliste qui fait l'état des lieux sur les représentations. On retrouve les mêmes poncifs et les mêmes fantasmes qui sont véhiculés sur la maladie mentale et la dépression.
Il reste du boulot, mais pour autant j'ai l'impression qu'il y a des évolutions positives.
> Par exemple nous on existe, et ça marche. Et ça, jamais on ne l'aurait imaginé... En tout cas jamais Chris, car moi je pensais secrètement que ça allait marcher.

Mais ce n'était pas donné d'avance que deux psychiatres se distinguent, en tout cas de façon microscopique face à d'autres Youtubers (NDLR : personnes qui publient des vidéos sur la plateforme de vidéos en ligne Youtube).

> On parle de plus en plus des usagers, des personnes qui souffent de troubles psychiques. Ces derniers sont de plus en plus présents, et s'expriment davantage notamment sur les réseaux sociaux comme sur Twitter.

Et cette façon de prendre la parole - car on ne leur "donne" pas, ils la "prennent" - va de pair avec l'émergence du concept de pair-aidance qui existe depuis pas si longtemps que ça en France. Donc oui, j'ai l'impression que 2017 est un peu mieux, mais il reste encore beaucoup de boulot.

Avez-vous l'impression que votre chaîne a un impact positif sur cette image ? Avez-vous eu des retours à ce sujet (concernant par exemple des jeunes n'ayant aucun lien avec la psychiatrie) ? Je pense notamment à votre vidéo sur le suicide, qui a fait beaucoup de vues, et qui fait aussi office de campagne de désensibilisation.
On a l'impression que ça a servi à quelque chose, mais on n'a pas d'outil qui puisse nous permettre de l'évaluer.
On s'est dit qu'on allait mettre un interne sur le coup, pour essayer de faire une étude pour tenter d'évaluer cet impact.
De notre côté, on évalue notre impact de manière assez indirecte et empirique, par les statistiques que nous fournit Youtube (nombre de vues etc...), et les commentaires, qui sont massivement positifs. En effet, il y a très peu de "trolls", ou très peu de gens qui n'aiment pas ce que l'on fait. Car effectivement, on n'a le droit de pas aimer ce que l'on fait et ne pas être un troll !

Certaines personnes nous ont témoigné du fait que les vidéos les ont aidé à changer leur regard sur telle ou telle pathologie, qu'ils ont pu également montrer des vidéos à leurs proches pour les aider à comprendre ce qu'ils traversaient. Je pense notamment à la vidéo sur la dépression, où on démonte quelques idées reçues.

Et sur la question du suicide, c'était la vidéo la plus compliquée et la plus touchante à gérer au niveau des commentaires. La plus compliquée parce qu'on a dû gérer des crises suicidaires dans les commentaires. Que fait-on face à quelqu'un qui verbalise des idées suicidaires dans la section des commentaires ? Il y a eu quelques situations un petit peu tendues, sur lesquelles on s'est pas mal pris la tête. Et très touchantes, car on a eu des dizaines de commentaires, des énormes pavés de gens qui racontent leur histoire, et des compliments sur la vidéo, ce qui faisait plaisir. Nous avons été particulièrement touchés par un jeune homme qui avait laissé un long commentaire évoquant son histoire personnelle, un trauma infantile, sa prise de distance avec son père, etc. et son père lui a répondu, également dans la section des commentaires. C'était beau comme tout, magnifique

J'imagine que vous avez de nombreux autres commentaires de patients qui cherchent à poser des questions sur leur histoire personnelle, par le biais de votre chaîne. Comment les gérez-vous habituellement ?
C'était quelque chose que l'on n'avait pas du tout anticipé. Au début de notre projet, on voulait surtout s'adresser aux internes. On s'est dit : on sait parler aux internes et on va faire des vidéos pour eux. Et en fait le grand public a accroché, et ça on ne l'avait pas du tout anticipé.

Ca arrive très régulièrement sur les réseaux sociaux, sur Twitter, beaucoup plus sur Facebook, de recevoir des messages privés de gens qui nous demandent des conseils, etc. C'est devenu la moitié du boulot en fait.

On gère très distanciés. On explique bien qu'on ne fait pas de consultation à distance. On reste dans l'information et l'orientation principalement.

Comment nous en tant qu'internes on pourrait agir pour faire bouger les mentalités ?
Il n'y a pas de raison qu'on soit les seuls à faire de l'information sur internet, que ce soit sur YouTube ou ailleurs. Je pense que les internes qui en ont le désir devraient pouvoir se lancer, faire des podcasts audio... ce qu'on a commencé à faire nous.

Sinon, j'ai eu une idée hier soir, et j'en ai parlé à Chris qui avait l'air partant. Ce serait de créer un serveur DISCORD

Discord est un logiciel gratuit de VoIP conçu pour les communautés de joueurs. (La voix sur IP, ou « VoIP » pour Voice over IP, est une technique qui permet de communiquer par la voix, ou via des flux multimédias : audio ou vidéo, sur des réseaux compatibles IP).
Discord est basé sur un principe de serveurs, que n'importe quel utilisateur peut créer, ajuster et rejoindre gratuitement. Sur ces serveurs, les administrateurs peuvent créer des salons vocaux ou textuels et définir des permissions pour chaque utilisateur sous forme de rôle.

C'est Jean-Luc Mélenchon qui m'a donné l'idée.
Discord à la base est un logiciel qui permet de parler avec tes copains quand tu es en train de jouer aux jeux vidéos avec eux. C'est une espèce de serveur vocal et textuel, une sorte de Skype amélioré avec du texte et de la voix. Plusieurs usages se sont développés à partir de ça. Par exemple La France Insoumise fait pas mal parler d'elle car des militants bénévoles ont créé un serveur Discord qui est devenu très populaire, comptant des milliers d'utilisateurs, une sorte de laboratoire d'idées, de débat et d'échanges d'informations. Et c'est de ce serveur Discord qu'est né l'idée de créer un jeu vidéo de la France Insoumise : "Fiscal Kombat".

Ça pourrait être intéressant de créer un serveur Discord "PsyLab", qui serait un lieu de partage d'informations, de débats, d'échanges, etc. à l'usage du grand public, des professionnels, des usagers... 8 LA PAROLE AUX INTERNES Le Psy Déchaîné N°22 • Mai 2018 • www.affep.fr

A mon avis, l'administration et la régulation représenterait un boulot monstre, et c'est là que des internes, qui ont l'habitude d'utiliser de genre d'outils-là, peuvent intervenir.

Ce projet serait à but d'information et pas de consultation. Pour éviter les dérives, il faudrait instaurer une espèce de charte qui mette en garde sur ce à quoi servira et ne servira pas ce serveur Discord. Je le vois davantage comme une plateforme d'échanges et de débats sur l'éducation à la santé mentale.

Il existe différents salons comme un forum. On peut créer des salons vocaux, avec la possibilité d'être en interaction vocale.

On a l'impression que la presse participe au fait de véhiculer cette image stigmatisante de la psychiatrie. Peut-on agir dessus ?
Il faut soutenir les initiatives existantes. Par exemple à Lille, il existe le programme Papageno, dont une des missions est de former les journalistes à aborder la question du suicide de manière, au moins, à ne pas créer de problèmes et au mieux à sensibiliser à la prévention du suicide.

Les outils existent mais il faut savoir les utiliser. Le plus important est de ne pas faire ce qu'ont peut-être fait nos aînés trop longtemps, créer un vocabulaire pour être sûrs qu'on ne se comprenne qu'entre nous et que ceux qui n'appartiennent pas au "cercle psy" ne nous comprennent pas. Il ne faut pas rester dans un "entre-soi" où "les psys parlent aux psys".

Ça, je pense qu'il faut en sortir et expliquer gentiment aux journalistes qu'il y a mieux à faire.

Est-ce que vous avez envie de rajouter un commentaire concernant la polémique de Gérard Collomb ?

Gérard Collomb, Ministre de l’Intérieur RTL Matin, 18/08/2017, lendemain de l’attentat à Barcelone
«  Vous avez à la fois des attaques planifiées comme celle qui vient de se produire en Espagne et puis vous avez  des gens qui se radicalisent brutalement avec souvent des profils psychologiques extrêmement troublés. Nous sommes en train de travailler avec ma collègue Ministre de la Santé pour essayer de repérer l’ensemble de ces profils qui demain peuvent passer à l’acte. Et donc mobiliser l’ensemble des hôpitaux psychiatriques, des psychiatres libéraux, de manière à essayer de parer à cette menace terroriste individuelle. On pourrait effectivement avoir des protocoles où lorsqu’un certain nombre de gens ont des délires autour de la radicalisation islamique, pouvoir effectivement avoir un échange avec celles et ceux qui les côtoient. ».

Gérard Collomb, Ministre de l’Intérieur RMC/ BFMTV, 22/08/2017, lendemain d’un incident à Marseille
>
"Un certain nombre d'esprits faibles qui voient ce qui se passe, vont passer à l'acte par mimétisme et c'est ce contre quoi il faut se prémunir et il faut travailler".

> "Sur les fichiers des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), nous considérons qu'à peu près un tiers présente des troubles d'ordre psychologique".
> "Il est clair que le secret médical c'est quelque chose de sacré mais en même temps, il faut trouver le moyen qu'un certain nombre d'individus, qui effectivement souffrent de troubles graves, ne puissent pas commettre des attentats".

Nous avons sorti une vidéo à ce sujet, qui a bien marché sur Facebook, bien plus que sur YouTube.

On a été contents qu'elle ait été très partagée. Les bras nous en tombent. On a évoqué la stigmatisation dans la population générale.
On la regrette chez les journalistes. On la regrette encore plus chez des gens qui sont censés nous représenter et dont on peut se dire qu'ils sont censés être plus sensibilisés aux questions de société, ce qui n'est pas le cas.

Je n'ai pas grand-chose à ajouter si ce n'est qu'il faut rester super vigilent.

Avez-vous des chaînes YouTube à nous conseiller concernant la psychiatrie ?
- Sur la question de la psychiatrie il y a PsykoCouac qui parle de sciences cognitives et qui aborde la question des troubles mentaux sous un angle neurocognitif.
- Il y a une chaîne qui parle de psychologie sociale qui est très chouette.
- Sur la question de la santé en général :

Primum non nocere est un neurochirurgien qui fait des vidéos qui parlent de plein de choses différentes. Par exemple, pourquoi Mémé a dû aller aux urgences après avoir mangé des huîtres...

Asclépios est un confrère cardiologue qui fait des vidéos qui parlent pas mal de l'histoire de la médecine, qui sont super intéressantes et qui se colle aussi à des sujets délicats comme les vaccins.

Julien Ménielle avec Dans Ton Corps qui est très populaire, vulgarisé, avec des sujets un peu "clickbait" (NDLR : tape à l'œil) mais sympa quand même. Ce que je trouve le plus sympa sur sa chaîne ce sont les témoignages de personnes qui parlent de leur problème de santé, et c'est réalisé avec pas mal d'élégance et de retenue. Je pense notamment à un épisode sur Aude G. Qui est du comité Golden Moustache, qui parle de sa prosopagnosie. Les témoignages sont hyper touchants je trouve.
> Et dans le domaine des sciences, il y en a tellement...
> Psychiatrie pure et dure à ma connaissance, il y a Bruno Falissard qui met en ligne ses conférences. Mais là on n'est pas du tout dans le format YouTube. Il fait une conférence de 2h qu'il met ensuite en ligne. C'est très intéressant et je pense qu'il faut que les deux existent. L'un n'est pas incompatible avec l'autre. On peut regarder des vidéos de 10-15min, bien montées, hyper réfléchies sur la forme autant que le fond et se mater des conférences de 2h de Falissard et d'autres.
> A ma connaissance il n'y en a pas d'autres qui me viennent. En tout cas en francophone. Parce qu'en anglo-saxon il y a des chaînes scientifiques qui abordent régulièrement la question de la psy, notamment deux qui sont vraiment bien et qui continuent à produire du contenu assez régulièrement : Kurtzgesagt - In a Nutshell qui aborde plein de questions scientifiques, épistémiologiques, etc. et qui à l'occasion aborde des questions psychologiques. Notamment une vidéo sur l'addiction.
> Un collectif des frères Green qui font des chaînes qui s'appellent CrashCourse et SciShow. Je ne sais pas comment ils font pour produire autant. Ils ont une chaîne de philosophie, de physique et une chaîne de psycho qui est super

Vous avez également sollicité les jeunes psychiatres afin qu'il créent d'autres chaînes YouTube pour amplifier et améliorer la communication sur la santé mentale auprès d'un public jeune. Avez-vous des échos quant à votre appel ?
Gérard Collomb ne nous a pas contactés !

Ce qui fait probablement peur c'est la charge de travail. Comment arrivez-vous à concilier votre vie professionnelle, personnelle et votre activité parallèle sur YouTube ?
Ça prend énormément de temps. On y a passé nos week-ends, nos nuits pendant un long moment.

YouTube est une plateforme et rien d'autre. On n'est pas Youtubeur. J'ai aucune envie d'avoir cette casquette. Il se trouve que c'est cette plateforme qui fontionne le mieux, et c'est sur celle-là que les gens vont, donc on est dessus même si on pourrait être ailleurs.

La vidéo est une façon de communiquer, il y en a plein d'autres. Des blogs existent, des podcasts audio et je pense que c'est très bien et ça va revenir à mon avis. L'idée d'écouter quelques chose, sans avoir forcément les yeux rivés dessus, et pouvoir faire quelque chose d'autre en même temps. Il y a quelque chose d'intéressant à faire.

Le fait que ça ait bien marché, que ce soit assez populaire nous offre une certaine légitimité On a créé une association d'intérêt général pour justifier le temps qu'on passe sur le PsyLab comme une activité d'intérêt général.

Chris et moi on est praticiens hospitaliers. Actuellement je suis en disponibilité et je travaille dans une clinique privée parce que je suis de retour dans la région depuis pas très longtemps. Le temps de me poser un peu. Même dans la clinique j'ai réussi à négocier 2 demi-journées dans la semaine pour les dédier au PsyLab.

C'est un projet de start-up. Tu commences sans compter tes heures et puis à un moment, si ça marche, c'est un truc professionnel et donc tu peux justifier comme un truc pro.

On gagne très peu d'argent, surtout via les abonnés qui nous soutiennent par Tipee. Ce qui nous sert à acheter du matériel... En tout cas, en vivre est une mission impossible.

Y'a t-il une incidence sur votre relation avec les patients qui regardent vos vidéos ?
Incidence qui jusqu'à présent n'a jamais été négative !

Je ne m'affiche pas en tant que vidéaste auprès de mes patients. Ils le découvrent en général de manière fortuite. Ou alors c'est l'infirmière qui a cafté. Ça m'est arrivé cette semaine. Une jeune patiente m'a dit "ah j'ai regardé votre chaîne YouTube. Parce que l'infirmière m'a dit que blabla".

Une patiente a regardé notre vidéo sur le syndrome de stress post-traumatique et à la consultation suivante m'a parlé d'un événement traumatogène qu'elle avait subi, et qu'on n'avait jamais abordé jusqu'à présent, parce que elle-même n'avait pas réalisé que cet événement était traumatisant. Elle a regardé la vidéo, qui l'a mise hyper mal, et qui a eu beaucoup d'impact sur elle. D'ailleurs il faut être vigilant à ce qu'on montre dans nos vidéos, les extraits de films etc. Mais du coup elle a intégré un peu ce que c'était que le psychotrauma. L'impact est hyper positif.

Sinon, aucun patient n'a arrêté de venir me voir en remettant en cause mon professionnalisme.

Que pourriez-vous ajouter pour motiver vos jeunes confrères à se lancer ?
Je vais répéter un truc que Bruce Benamran a dit lors de la création de sa chaîne (NDLR : e-penser = chaîne de vulgarisation scientifique) : "Si tu vois pas un truc sur Internet, et si tu te dis que personne n'a parlé de ceci ou de cela, ça veut dire que c'est à toi de le faire, et que le plus important est de trouver un angle d'attaque qui t'intéresse toi".

Il reste plein de choses à faire qui n'existent pas. Il faut juste avoir le désir. Même des gens qui décideraient de parler de psy en faisant des "Let's Play", des live sur Twitch où ils jouent à League of Legend... (NDLR : Jeu en ligne, transmis en streaming à d'autres joueurs).

Je ne sais pas si c'est à moi de motiver les gens, parce que moi il n'y a personne qui m'a motivé. Je regardais des chaînes que j'adorais et j'ai retrouvé Chris aux Antilles, que j'avais auparavant rencontré quand j'étais étudiant à Lille. Du coup cette rencontre a fait le coup du sort : Quelles étaient les chances pour qu'on se retrouve là-bas ? Donc il fallait qu'on fasse quelque chose. Et nous on avait notre angle tout trouvé, qui était le cinéma principalement, et ensuite les séries, les jeux vidéos...
Je ne pense pas que je ferai naître le désir chez les internes. Il faut qu'il y ait déjà quelque chose qui bouillonne en eux.

Y a-t-il des anecdotes drôles de tournage ?
Un bêtisier on pourrait en faire à chaque fois qu'on tourne un épisode parce qu'on n'est pas du tout des professionnels. Le nombre de fois où on s'énerve parce qu'on a bafouillé et qu'on a dû répéter plusieurs fois telle séquence.

Je m'arrachais les cheveux quand je tournais en Guadeloupe car mon voisin avait des coqs de combat qui pouvaient hurler à n'importe quelle heure de la journée. J'ai des rushs (NDLR : La totalité des plans filmés) où j'insulte les coqs parce qu'on les entend au loin lors de l'enregistrement.

Et ça m'embêtait beaucoup de ne pas pouvoir tourner la nuit, car c'est quand même la nuit qu'on est plus tranquille... mais aux Antilles la nuit il y a les grenouilles, qui font beaucoup de bruit !

Ce qui est rigolo c'est qu'une fois sur deux, c'est l'un ou l'autre qui s'occupe du montage de la vidéo. Et du coup, l'autre envoie tous ses rushs, de manière brute, sans sélection. J'ai accès à tout ce qui est enregistré, à tous les ratés de Chris.

Avez-vous des commentaires concernant la réforme actuelle de l'internat, en particulier concernant la psychiatrie ?
Quand j'ai fait mon internat à Caen, on se disait avec mes collègues que l'herbe était plus verte ailleurs. Et quand je suis devenu chef en Guadeloupe (sans vouloir dire du mal du Pr Jehel) heureusement que Paris était dans la maquette. En effet, la formation théorique était très légère. Ce qui avec du recul me fait dire que mon internat à Caen a quand même été très riche. J'ai pu y faire 12 options sur tout mon internat : systémique, de thérapie brève, de l'hypnose, du suicide...

Je suis très partagé quant à cette réforme.

Quand j'étais interne, je voyais beaucoup mes séniors dire qu'il fallait que les internes prennent des initiatives, qu'ils fassent des formations complémentaires, qu'ils "raquent", qu'ils s'investissent. Et en même temps notre salaire ne nous permettait pas de suivre une psychanalyse. Je trouve ça un peu facile de dire ça.

En master de philosophie, l'étudiant a un programme à suivre, on ne le lui suggère pas.

Et en même temps je comprends un peu pourquoi ils disent ça. Il faut que tu ailles là où tu as envie d'aller. C'est pas mal que la réforme de la maquette pose des conditions minimales en termes de qualité de formation théorique, mais aussi pratique et notamment en ce qui concerne la psychothérapie. Des choses concrètes qui aident lorsqu'on est face à un patient.

C'est bien d'exiger un minimum des terrains de stage. Est-ce qu'il faut réformer la maquette pour autant ?

A Caen par exemple, un stage qui ne proposait pas des choses intéressantes pour les internes était souvent boycotté. Le problème derrière était d'avoir assez de terrains de stages pour pouvoir boycotter...

Quel interne étiez-vous ?
Je pense que j'étais plutôt sympa. J'ai participé un petit peu à la vie associative de mon internat de psychiatrie, car c'était un peu cloisonné, à mon niveau. Emmanuel Loeb, qui était interne à Caen a aussi participé à inclure la psychiatrie dans le giron de la médecine.

Mais à mon époque, on restait un peu dans notre coin. On faisait des Cinépsy. J'étais un interne un peu "éponge", curieux. Quand j'étais dans un service et que le chef était un psychanalyste lacanien, je lisais Lacan et consorts. Quand j'étais au CHU, je lisais des articles du "Schizophrenia bulletin" et autres. Curieux et très lecteur. Je suis très triste de voir à quel point je lis cent fois moins maintenant que je suis chef. Il faut être très curieux et lire beaucoup.

Quel chef pensez-vous être ?
Je cherche à stimuler les internes, je leur dis de lire beaucoup. En fait, j'ai une théorie en deux points

> Le 1er point je l'emprunte à mon premier maître, premier chef que j'ai eu quand j'ai commencé mon internat et qui est Patrick Alary. Je crois qu'il est à la retraite maintenant. C'est un psychiatre lacanien. J'ai un peu de côté obscur en moi, un peu de lacanisme en moi. Il me disait "il faut 15 ans pour faire un bon psychiatre". C'est le 1er truc qu'il m'a dit, je venais de commencer mon internat. Je pense qu'il y a un peu de vrai dedans, que l'expérience joue énormément, tant qu'on n'a pas ramassé, on fait comme on peut. Ce qui ne veut pas dire que quand on a 15 ans d'expérience on devient un bon psychiatre évidemment.
 > Ma 2e théorie est que pour devenir un bon psychiatre il faut 3 choses : être un historien, un scientifique et un clinicien. On ne peut pas se contenter d'être un clinicien si l'on ne connaît pas l'histoire de la psychiatrie et si l'on ne sait pas où en est l'état des lieux de la connaissance en santé mentale, en psychologie, en neurosciences, etc. De la même manière que si on passe son temps à lire "Science & Nature", quand on a un patient Borderline devant soi on ne sait pas quoi faire. Il est important de bien connaître l'histoire de la psychiatrie parce que ça permet de relativiser beaucoup de choses sur les guerres intestines des sempiternels questionnements autour de la psychogénèse, de l'organogénèse.

La psychiatrie c'est un "bébé", c'est une spécialité qui est toute neuve. C'est important de se souvenir qu'il y a eu beaucoup de liens entre Freud, Jung, Bleuler... L'approche bleulérienne de la schizophrénie est très organogénétique et pourtant Bleuler a été influencé par Jung car ils travaillaient dans la même clinique. Plus on s'intéresse à l'histoire de la psychiatrie, moins on a envie de se fâcher avec les gens avec qui on n'est pas d'accord.

Avez-vous une anecdote à nous partager (histoire marquante, drôle) durant votre pratique ?
Je trouve qu'en psychiatrie c'est compliqué de les raconter car elles sont très contextuelles. J'ai des expériences de fou-rires avec les patients, avec les équipes, mais qui sont contextuelles, qui sont un peu dures à raconter, et qui ne seraient pas très drôles hors contexte.

Un histoire assez touchante. Lorsque j'ai annoncé que je partais de la Guadeloupe au CMP. (Je suis rentré à Lille en juillet). J'ai préparé tous mes patients, j'ai anticipé 6 mois aupravant. J'ai eu plein de cadeaux sur les dernières consultations. Certains de mes patients me connaissaient bien, car j'ai eu 2 bouteilles d'alcool. D'autres patients m'ont fait m'interroger sur ce que je laissais transparaître, car j'ai eu beaucoup de patients qui m'ont offert de la littérature très religieuse, de nutrition évangéliste.

 La Guadeloupe est un endroit habité par beaucoup de croyances, c'est en majorité chrétien et il y a beaucoup de sectes là-bas. Les témoins de Jéhovah ont du succès, ainsi que les mormons, les sectes japonaises, les évangélistes... C'est un endroit où plusieurs sectes cohabitent.

Des patients différents m'ont offert le même bouquin, donc j'ai plusieurs exemplaires du même livre. Moi je suis un "mécréant", je suis athée jusqu'au bout des ongles. Alors je me suis dit : soit ils n'ont vraiment pas compris qui j'étais quand ils m'ont offert ça, soit j'ai été suffisamment dans l'accueil et dans l'absence de jugement de ce qu'ils étaient qu'ils se sont autorisés à m'offrir ça. C'est un beau cadeau, car quand tu arrives là-bas tu te dis : "comment je vais faire pour ne pas péter les plombs, quand on te parle de Dieu, de sorcières,...". C'est compliqué quand tu es athée, quand tu es matérialiste. Tu apprends à faire avec et t'apprends à accueillir ça. C'est pas ma mission de désévangéliser. J'acceptais les gens comme ils étaient. Du coup, je trouvais ça plutôt sympa comme cadeau

Pour rester sur la question des croyances, aux Antilles il y a ce qu'on appelle les "Morphoisés", qui sont des "shape shifter", c'est-à-dire des gens qui se transforment en animaux. Il existe un bestiaire aux Antilles : vampires, fantômes... J'avais vu un patient délirant avec un infirmier, qui racontait qu'il avait vu un "Morphoisé". A noter que je ne basais pas uniquement mon diagnostic sur ce constat, le patient ayant déjà d'autres troubles par ailleurs et à différents niveaux. Je discute de cela avec mon infirmier antillais. Ce dernier m'a dit : "Moi je ne sais pas, je n'en ai jamais vu. Je connais quelqu'un qui m'a raconté qu'une fois son voisin, un homme grabataire, a été retrouvé un matin sous sa voiture, et que ce soir précédent il avait vu un chien errant...". Tout de suite le lien avait été fait comme quoi le vieux monsieur était un "Morphoisé", qu'il s'est transformé en chien errant, qu'il s'est réveillé sous la voiture comme les loups-garous dans les films. J'ai trouvé ça intéressant que jamais un antillais ne te dira qu'il y croit à fond. Par contre, il connaît quelqu'un qui lui y croit, et d'ailleurs il connaît quelqu'un qui en a déjà vu.

C'est intéressant d'un point de vue ethnopsychologie. Ça te fait poser la question de la différence entre croyances et délires. Rien qu'en connaissant un peu la culture, tu t'aperçois que tu mets en confiance. Si tu lances des indices qui laissent penser que tu connais, que tu en as entendu parler, les gens sont moins réticents à en parler, ça libère la parole. Tout matérialiste que je suis, ce n'était pas ma mission de contrer leurs croyances.

Une question que tu aurais aimé ajouter ou une remarque ?
J'aurais bien aimé savoir ce que les internes pensent de nous !

Eh bien ça tombe bien, nous sommes allés interroger les internes et assistants présents au congrès du CNIPsy, après le discours d'ouverture par le PsyLab. Par la même occasion, on leur a demandé des idées sur comment participer à la déstigmatisation à notre échelle. Et vous, vous avez votre idée ? Eh bien ça tombe bien, nous sommes allés interroger les internes et assistants présents au congrès du CNIPsy, après le discours d'ouverture par le PsyLab.
Par la même occasion, on leur a demandé des idées sur comment participer à la déstigmatisation à notre échelle.
Et vous, vous avez votre idée ?

 Antoine (Grenoble)
"Je ne connais pas. Je suppose que ça aborde davantage l'aspect culturel de la psychiatrie, et peut-être aussi l'aspect psychanalyse éventuellement, plutôt que le côté pharmacologie ? Ça pourrait être intéressant ! Ça peut peut-être contribuer à déstigmatiser la psychiatrie auprès du grand public. En faisant de l'information dans les facultés auprès des promotions qui nous succèdent on peut aider à notre échelle. A travers les stages, l'étudiant doit aussi chercher lui-même à s'y intéresser. En communiquant auprès du grand public : des événements nationaux, des congrès accessibles pas uniquement aux internes mais aussi aux étudiants en médecine voire des personnes totalement étrangères à la médecine. En effet, ça pourrait être pas mal aussi d'organiser des informations aux externes, qu'ils soient plus formés dessus, qu'ils n'aient pas une fausse image de la psychiatrie."

Caroline et Clémentine (Tours)
"On ne connaissait pas cette chaîne. Faire le parallèle avec la psychiatrie peut permettre de rendre l'abord plus sympathique à travers des exemples qui peuvent nous permettre de nous projeter.
La lutte contre la stigmatisation est un travail de tous les instants ! Faire une chaîne YouTube peut être un moyen intéressant.
L'important est de ne pas rester cloisonné à l'hôpital ou à la médecine. La psychiatrie interpelle les gens partout et tout le temps. Si tu te lances dans n'importe quoi qui te tient à coeur, il y a moyen au quotidien de pouvoir en parler aux autres, et ainsi y participer à ta propre échelle. Par exemple, commencer à informer ses proches, en parler avec les autres, endehors de son lieu de travail ou de ses co-internes. Il est important aussi de défendre, de pouvoir trouver sa place dans des associations, si tu veux donner de ton temps et de ton énergie."

Charles (Tours)
"Oui je les connais et c'est super bien, c'est super drôle. Ça vulgarise, c'est accessible à tout le monde. C'est un très bon outil qui va atteindre un public varié, pour nous aider nous en psychiatrie. Ça permet en effet de déstigmatiser à la fois les malades et notre profession."

Clélia (Dijon)
"Je connais le PsyLab : ce sont des psychiatres qui font des vidéos afin de déstigmatiser des malades en santé mentale. C'est bien car la psychiatrie est un monde peu connu, très stigmatisé dans notre société. Du coup, ça ne peut être que bénéfique, en fonction de la façon dont c'est traité bien évidemment. Nous on peut agir par exemple par des événements comme les semaines d'informations sur la santé mentale (SISM) en France. Il faudrait davantage d'événements dans ce sens-là."

Guillaume (Montpellier)
 "Je ne connais pas le PsyLab, mais j'en ai entendu parler. On m'a dit que c'était une chaîne YouTube avec des vidéos faits par des psychiatres sur la psychiatrie. Je pense que c'est plutôt une bonne idée, ça permet d'instaurer un peu plus de lien entre les psys et le reste du monde. Je pense qu'on pourrait aider à la déstigmatisation en informant, en expliquant un peu ce que c'est et comment ça fonctionne dans la vraie vie."

Katarina, Thibaut et Clara (Tours)
"Oui on connaît. C'est une façon très originale de faire connaître la psychiatrie, et pas seulement aux psychiatres, mais aussi aux personnes qui sont hors du domaine. Ça aide à déstigmatiser. ça crée une communication entre les soignants, les usagers, leur famille. Tout cela en utilisant des codes assez "jeunes", comme le cinéma et les jeux vidéos. A Tours on a fait un Cinépsy et une vidéo de la chaîne du PsyLab qui faisait la critique d'un film, dont on a réutilisé le contenu, afin de pouvoir en discuter tous ensemble. Ça peut être un support de travail pour les associations locales d'internes ! On peut participer à la déstigmatisation, déjà peut-être en participant au projet proposé sur Discord : c'est un bon début. Après, pourquoi pas donner ses idées au niveau des associations locales, en intervenant au niveau du grand public, en animant des conférences intéractives pour créer du lien."

Louis et Marie-Laurence (Rennes)
"On ne connaissait pas le PsyLab avant l'intervention de Jeff ce matin. On a compris que c'était un outil qui permettait d'avoir accès aux informations sur la santé mentale et d'en parler autour de soi, de permettre à ce que l'information circule davantage afin d'éviter les préjugés et les stéréotypes. Ça permet de familiariser la population générale à la psychiatrie. L'idée du serveur Discord, un peu moins centré sur YouTube ou d'autres outils de vulgarisation et d'information sont de bonnes idées.
Nous en tant qu'internes, on a un rôle d'explication par rapport aux proches des patients... Une éducation thérapeutique pour qu'ils soient bien au courant de leur maladie, traitements et différentes stratégies thérapeutique. Ça c'est important, c'est un premier travail de vulgarisation.
Et par rapport à nos proches, on peut répondre à leurs interrogations sur notre domaine. Leur répondre que ce n'est pas parce qu'on est psychiatre qu'on est "bizarre", ce n'est pas parce qu'on travaille dans un hôpital psychiatrique qu'on a peur le soir en rentrant. Leur dire que c'est un métier comme un autre. Favoriser la discussion et l'information.
Après dans un sens plus large, aller jusqu'à une chaîne YouTube ou des communications publiques en tant qu'interne, on ne se sent pas encore légitime ou ayant une connaissance insuffisante pour aller chercher le grand public et provoquer les questions. On peut répondre aux questions comme ça, mais faire un travail de prospection n'est pas quelque chose qu'on peut assumer. On est encore dans l'apprentissage, la découverte... Ce n’est peut-être pas encore le moment, on préfère favoriser les actions de proximité."

Nicolas (Montpellier)
Evidemment que je connais le PsyLab et je pense que c'est top ! C'est une façon de vulgariser la psychiatrie en restant assez scientifique, d'amener ça au plus grand nombre et sortir des explications qu'on peut donner, nous psychiatres, un peu trop lourdes, trop formatées, qui finalement ne sont pas accessibles aux gens. Ça permet de montrer aux gens ce que sont les pathologies psychiatriques, mais de manière simple. En plus, il y a pas mal de citations de films, de musiques, donc c'est assez ludique, ça parle aux gens et je pense que c'est la meilleure façon de leur faire passer des messages.
La stigmatisation est un vaste sujet. Au quotidien, on peut nous utiliser les bons mots. Par exemple, pour la schizophrénie, dire plutôt "atteint de schizophrénie", "souffrant de schizophrénie" et pas "schiz" ou "schizo" ou n'importe quoi... Et puis après je pense qu'il ne faut pas hésiter à s'engager, à communiquer avec les médias, qui ont un poids énorme, afin de faire évoluer les choses parce que finalement les familles, les collectifs, les assos sont plutôt seuls par rapport à ça. Les psychiatres ne se mouillent pas trop alors que c'est un vrai niveau de prise en charge, autant qu'une psychothérapie ou une prescription de traitement."

Renaud (Lyon)
"Oui je connais le PsyLab et je trouve que c'est quelque chose qui manquait dans le paysage de la vulgarisation, c'est une super idée. Ça apporte beaucoup de choses aux internes, notamment aux jeunes, qui doivent faire des recherches un peu au hasard sur internet. Si ça peut être amené à se développer et limiter les clichés sur la santé mentale, ce serait tant mieux.
En tant qu'interne, le plus important c'est l'information au grand public. Après il faut trouver les bons médias : YouTube en est un mais il doit sûrement y en avoir d'autres. Ou passer dans les écoles ou des choses comme ça, pourraient être des choses à creuser ?"

Nicolas (Dijon)
Je connais cette chaîne. C'est une bonne chaîne YouTube qui permet une bonne vulgarisation de la psychiatrie et puis surtout d'apporter la psychiatrie au grand public.
Pour participer à la déstigmatisation, il faut déjà commencer à ne pas stigmatiser nous-mêmes les patients. Je pense que c'est quelque chose qui est très difficile. C'est vrai que parfois quand on parle entre nous on ne dit pas forcément des choses très agréables à propos des patients.
Et puis, pouvoir parler de la psychiatrie à son entourage et profiter des semaines d'information sur la santé mentale pour aller à la rencontre du public."

Propos recueillis par
Mélanie TRICHANH
(Dijon)

Compétition et coopération : Liens avec les processus d'apprentissage

Compétition ou coopération, ces thèmes, au cœur de notre actualité, peuvent être étudiés dans des contextes aussi variés que le nombre de situations relevant de l'interaction entre des êtres humains.

Les comportements d'imitation soutenant le processus de mémorisation peuvent se décomposer en trois phases que sont :
L’encodage : la capacité à acquérir de nouvelles informations en provenance de nos sens.
Le stockage : le maintien dans le temps de ces informations.
Le rappel : la possibilité de restituer une information extraite de la mémoire.

J'aimerais à travers ce parallèle et deux exemples, vous illustrez pourquoi un modèle coopératif me semble plus complet, en ce qui concerne la mémorisation, qu'un modèle compétitif.
Vous avez sûrement dû observer, dans des groupes d'enfants, l'intérêt que les petits peuvent avoir pour les grands.
Qui n'a pas déjà vu dans une fratrie les cadets courir après leurs aînés, cherchant à attirer leur attention, les imitant, s'appliquant à faire comme eux.
Ce désir de faire comme répond au mimétisme que l'on retrouve dans la première phase de mémorisation (l'encodage). Ceci est une illustration du besoin humain de s'inspirer de modèles ou mentors.
Le petit d'Homme observe ses aînés et tente de reproduire sur un mode essais/erreur les techniques, les savoir-faire mais également les comportements sociaux et les croyances inter-subjectives qu'il puise dans le groupe humain.
Les plus curieux pourront s'intéresser à l'expérience de Céline Alvarez à l'école maternelle de Gennevilliers.
Ce deuxième exemple vient d'une expérience plus personnelle, qui s'est révélée être ma seconde PCEM1, période durant laquelle je travaillais avec un ami primant.
Quand je prenais le temps de lui expliquer une partie de cours, il me fallait d'abord réfléchir et ajuster mon propos, afin d'adapter ma démonstration à sa bonne compréhension.
J'ai remarqué plus tard que je me souvenais de manière beaucoup plus claire et durable de ces informations.
 La dernière étape du processus de mémorisation que j'expérimentais alors s'appelle le rappel, elle permet au cerveau d'ajuster sa position face au monde extérieur.
Nicolas Boileau nous dit que « Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément », réciproquement, l'action d'expliquer une connaissance permet de mieux l'assimiler.
Dans un processus de coopération, l'un aspire à apprendre de l'autre : Montre-moi comment tu t'appliques à faire ceci ou cela que je puisse me nourrir de ton savoir.
Accompagne-moi, et en même temps, consolide tes propres compétences.
Si je passe devant toi, je prendrai le relais et t'aiderai à mon tour.
J'aime voir ici un processus vertueux où chacun, tour à tour, devient un pont pour l'autre, c'est un processus dynamique et résiliant favorisant le lien social et l'empathie avec le temps. Quand j'imagine un système compétitif :
• Je poursuis un objectif et il se trouve que je t'estime meilleur que moi.
• Je vais donc t'observer, t'imiter tout en cherchant les ressources qui me permettront de te dépasser.
• Je me situerai grâce à un ensemble de signes extérieurs, de repères qui me permettront d'évaluer nos positions l'un par rapport à l'autre.
• Je trouverai sûrement un nouvel objectif personnel à poursuivre sans regarder en arrière.

Non pas que cette restitution soit complètement absente de tout système compétitif, elle n'en est tout simplement pas une condition nécessaire. Alors qu'un modèle basé sur la coopération ne peut pas s'imaginer fonctionner sans cette dernière étape clef.

J'aimerais poser cette question : quelle est la pertinence de sélectionner des étudiants en médecine sur un mode compétitif (PACES et ECNi) quand ils devront exercer une profession éminemment coopérative dans sa nécessité de protéger la vie humaine  ?

Alexandre JEUDY
(Paris)

Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°22

Publié le 1653575154000