
La médecine et santé au travail vue par les internes de médecine générale : impact d'un stage de découverte
Sylvain Chamot1, Thomas Plee2, Marion Delzard3
1 Coordinateur local du DES de médecine et santé au travail dans les Hauts-de-France, subdivision d'Amiens, Université de Picardie Jules Vernes, [email protected]
2 Interne en médecine et santé au travail, Université de Picardie Jules Vernes, Amiens
3 Médecin généraliste, ancienne Cheffe de clinique universitaires de l'Université de Picardie Jules Vernes, Amiens
La médecine et santé au travail est une spécialité médicale souvent méconnue des étudiants en médecine. Une étude menée durant le semestre d'hiver 2023-2024 auprès d'internes en médecine générale (IMG) amiénois (n=46 sur environ 100 IMG par promotion) a cherché à évaluer leurs représentations de cette discipline et l'impact d'un stage de découverte sur leurs perceptions.
Ce stage est organisé sur 2 jours durant le premier stage chez le praticien de médecine générale des IMG. Il nécessite la coordination d'équipes de 3 Services de Prévention et de Santé au Travail Interentreprises (SPSTI), à savoir PRESOA, MEDISIS et l'ASMIS, et du service de santé au travail de la MSA Picardie. Le contenu du stage est centré sur l'accompagnement des équipes médicales et paramédicales et si possible sur la participation à une action en milieu de travail. Il est obligatoire pout tous les IMG et systématiquement réalisé pendant la première année d'internat et précédé d'un cours d'environ 1 heure présentant le stage et les grands principes de la médecine et santé au travail.
Une formation initiale jugée insuffisante
L'enquête révèle que la quasi-totalité des IMG interrogés n'avait jamais effectué de stage en médecine et santé au travail durant leur externat. Cela n'est pas surprenant, car si à Amiens, grâce à une forte mobilisation des services, environ 36 externes bénéficient d'un stage de découverte (selon des modalités similaires à celles des internes de médecine générale), cela ne représente que 16 % de chaque promotion (et tous ne choisissent évidemment pas médecine générale à Amiens).
Plus préoccupant, la majorité des IMG estime ne pas avoir été suffisamment formée à cette spécialité durant leurs études, jugeant leur niveau de connaissance insuffisant, voire très insuffisant pour les trois quarts d'entre eux. En tant qu'enseignant, il s'agit là d'un constat amer car environ 5 % de chaque promotion se déplace en cours lors du second cycle. Il ne s'agit en définitive pas d'une remise en question des interventions, mais tout simplement du contenu du programme de connaissances demandé pour l'ECN qui est centré sur la technicité et le curatif. La prévention n'y trouve qu'une place minuscule, abstraite, et les risques professionnels ne sont que très peu abordés. Ainsi un externe peut tout à fait passer l'ECN sans avoir jamais entendu parler des effets sanitaires des pesticides par exemple.
Un changement de fond dans ce domaine serait le bienvenu, ce d'autant que près d'un interne sur cinq (19,6 %) déclare avoir envisagé de choisir la médecine et santé au travail comme spécialité après l'ECN. Il repose malheureusement sur des éléments conjoncturels qui échappent à la volonté des enseignants de médecine et santé au travail, qui regrettent cet état de fait.
Un stage qui transforme les perceptions
Avant le stage, les représentations des IMG sur la médecine et santé au travail étaient mitigées :
• 1/3 avait une opinion négative.
• 1/2 n'avait pas d'opinion tranchée.
• Une minorité avait une image positive.
Le stage a eu un impact très positif sur ces perceptions. Après ce stage, la majorité des IMG exprimait une opinion positive de la MST, et cette amélioration était statistiquement significative (p inférieure 0,01).
Utilité perçue pour la pratique future
Initialement, presque tous les IMG pensaient que ce stage leur apporterait des connaissances utiles pour leur future pratique de médecin généraliste. Après le stage, cette proportion a légèrement diminué, passant à environ 75 %. Bien que cette baisse soit statistiquement significative, elle reste modérée et montre que la majorité des IMG reconnaît toujours l'intérêt de cette expérience pour leur formation.
Importance de la collaboration interprofessionnelle
L'étude s'est également intéressée à la perception de l'importance de la relation entre médecin généraliste et médecin du travail pour le bien-être du salarié. Avant le stage, deux tiers des IMG estimaient cette relation importante. Cette perception est restée globalement stable après le stage, soulignant la reconnaissance par les futurs médecins généralistes de l'importance d'une collaboration étroite avec les médecins du travail.

Figure 1. Évolution de la perception de la médecine et santé au travail avant et après le stage de découverte des internes de médecine et santé au travail (n=46)
Profil des internes envisageant une reconversion
L'enquête a également cherché à identifier d'éventuelles caractéristiques spécifiques parmi les internes qui envisageraient une reconversion en médecine et santé au travail (15,2 %, un chiffre supérieur à nos estimations). Deux points intéressants émergent :
1. Ces internes estiment avoir été mieux formés à la MST durant leur cursus initial que leurs collègues.
2. Paradoxalement, ils avaient tendance à considérer la relation médecin généraliste - médecin du travail comme moins importante pour le bien-être du salarié avant le stage. Aucune différence significative n'a été observée concernant leur perception globale de la médecine et santé au travail ou l'impact du stage sur celle-ci.
Conclusion
Le stage de découverte a eu un impact largement positif sur les perceptions qu'ont les IMG de la médecine et santé au travail, soulignant l'intérêt de telles expériences pratiques. À terme, 15 % des IMG interrogés pourraient envisager une reconversion vers notre spécialité, ce qui est un signal encourageant.
Une meilleure intégration de la médecine et santé au travail dans le cursus médical initial est nécessaire pour renforcer l'attractivité de notre discipline avant même l'ECN, constat malheureusement ancien et sur lequel nous avons actuellement peu de prises au niveau du programme.
Une piste d'amélioration de l'attractivité de notre spécialité serait de généraliser ces stages de découverte à l'ensemble des externes en médecine, mais la mise en application apparaît périlleuse en pratique étant donné le volume d'étudiants que cela concernerait. C'est cependant ce genre d'initiative qui a permis par exemple à la médecine générale de passer progressivement de 20 % de places non pourvues après l'ECN en 2004 (appelé concours de l'internat à l'époque) à 0 % en 2021. Aussi, il apparaît intéressant que cette solution soit discutée.
Remerciements
Nous souhaitons chaleureusement remercier l'ensemble des services de santé au travail participant à l'accueil des étudiant en médecine dans l'ex-Picardie, à savoir, PRESOA et sa filières PRESOA BTP (ex SMIBTP), MEDISIS, l'ASMIS et la MSA Picardie.

