La maltraitance de la personne âgée

Publié le 24 May 2022 à 07:31


Une problématique qui concerne en premier chef le médecin généraliste !

Cas clinique
Nous voyons en consultation Mme M, 87 ans, au sein d’un CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale).
Elle a été prise en charge par les médiateurs de rue qui ont été alertés par une association d’entre-aide suite à son appel de détresse.
Nous connaissons bien Mme M qui a fréquenté, l’année précédente le CHRS, où nous travaillons.
A cette époque l’assistante sociale de la structure avait trouvé un appartement à cette charmante patiente qui avait les moyens financiers de louer un petit studio (elle est retraitée de l’enseignement).
Aussi, lors de cette consultation, Mme M a eu l’air quelque peu gênée du fait de sa présence au sein du CHRS où nous officions.
Nous profitons de la consultation pour l’examiner, et nous remarquons la présence de plaies traumatiques au niveau du visage (cliché 1).
Elle nous explique que ces lésions font suite à une chute dans la salle à manger survenue au décours de son séjour chez sa fille.
Elle profite de cette consultation pour nous expliquer les raisons qui l’ont conduite à revenir dans le CHRS.
Après son départ vers le studio tant convoité, sa fille lui a proposé de l’héberger gracieusement, et elle a tout bonnement résilié le bail de son appartement.
Cependant, la cohabitation avec son petit fils a été très difficile, et elle reconnaît avoir été frappée et insultée ; raison de son départ.
Sept jours plus tard, nous revoyons Mme M qui est déprimée.  Ayant renoué la relation de confiance que nous avions établie l’année précédente, elle nous explique qu’outre les violences subies par son petit fils (les lésions observées la semaine précédente étaient survenues suite à des gifles), ses économies placées sur un compte bancaire ont été utilisées à son insu par sa petite fille.

La maltraitance de la personne âgée

Introduction
La maltraitance de la personne âgée est un sujet souvent tabou, ou rarement évoqué.
De ce fait, les données épidémiologiques concernant cette problématique restent très parcellaires. L’OMS reconnaît cependant que près de 1 personne âgée sur 6 est victime de maltraitance en 2019 (1).
En France cette situation concerne près de 5 % des plus de 65 ans, et 15 % des plus de 75 ans (2).
Au total, près de 600 000 personnes âgées seraient maltraitées (2). Plus inquiétant, c’est de noter qu’en 2018, une augmentation de 13 % du nombre de cas de maltraitance a été enregistrée par rapport à l’année précédente (2). Par ailleurs, alors que nous sommes souvent sensibilisés par les médias par des affaires concernant des soignants ayant molesté des résidents au sein d’EHPAD, nous devons nous rendre à l’évidence que cette problématique touche près de 80 % des personnes âgées logeant à domicile. De ce fait le médecin traitant est le premier témoin de maltraitance, et son rôle auprès de ces patients fragiles demeure prépondérant. Ce rôle est d’autant plus important que le nombre des plus de 60 ans augmente au fil des années. Ainsi, il va doubler entre 2015 et 2050 avec 2 milliards en 2050 de plus de 60 ans (1).
Enfin, il ne faut pas oublier que ces actes passent souvent sous silence, ou ne sont pas pris en compte par l’entourage proche pourtant conscient de cette situation.
De ce fait, seuls 20 % des cas de maltraitance sont signalés (3).

Comment définir la maltraitance ?
Suivant l’OMS la maltraitance est définie comme « un acte unique ou répété, ou l’absence d’intervention appropriée, dans le cadre d’une relation censée être une relation de confiance qui entraîne des blessures ou une détresse morale pour la personne âgée qui en est victime » (4).
Plusieurs types sont classiquement décrits (5) :

La maltraitance psychologique
Dans cette situation on peut objectiver des symptômes dépressifs (sommeil perturbé, dévalorisation personnelle, culpabilisation, idées suicidaires, troubles de l’humeur).
Il peut s’agir d’une peur, d’une méfiance vis-à-vis des autres, un retrait de toute vie sociale, une demande de changement de lieu de vie.
Il peut également s’agir d’une infantilisation de la personne âgée qui est souvent responsable d’une dépendance vis-à-vis de l’auteur de ce type de comportement.

La maltraitance physique
Plusieurs situations peuvent être observées dans ce contexte. Ainsi il peut s’agir d’hospitalisations fréquentes avec des notions de chutes pas très bien expliquées par le patient. La personne âgée peut avoir des manifestations cliniques témoignant de blessures hétéro-infligées (gifles, agressions sexuelles, plaies diverses favorisées par certains instruments ou liens).

On peut également mettre en évidence au niveau clinique des signes en faveur d’une déshydratation, d’une perte de poids excessive. La présentation du patient peut être peu adaptée avec une tenue très négligée, ou une hygiène corporelle déficiente.

La maltraitance financière
Dans ce cas on peut observer des difficultés financières difficilement explicables, mai aussi des retraits bancaires importants ou répétitifs.
Il peut également s’agir d’un comportement inadapté de la personne âgée concernant un bien avec cession ou un don inexpliqué.
On peut objectiver également des escroqueries concernant des produits inutiles ou à des prix très élevés.

La maltraitance médicale
Elle peut concerner une administration trop généreuses de certains médicaments pour calmer le patient, mais aussi une privation de soins (non renouvellement d’ordonnances), ou l’absence d’écoute concernant une plainte somatique (cas de la douleur arthrosique).

La maltraitance civique
Il peut s’agir dans ce cas d’une sauvegarde de justice abusive, d’une interdiction de fréquentation des amis.

Quelles sont les éléments cliniques qui doivent interpeller le clinicien sur cette situation ?
Il est souvent difficile de dépister la maltraitance chez une personne âgée car les manifestations cliniques sont souvent pauvres, ou dans certains cas elles ne sont mises en avant par les victimes (3).

Cette situation est souvent secondaire à la honte éprouvée par ces personnes vulnérables, mais aussi par crainte de représailles faisant suite à un signalement (3).

Dénoncer une maltraitance, c’est aisé, mais la mise en place de mesures de protection cela est plus complexe et nécessite du temps.

Le tableau 1 permet de repérer certains éléments qui doivent conduire à mettre en évidence une situation de maltraitance (6).

La personne âgée victime de maltraitance
Les éléments médicaux

  • La dépression (amimie, auto-culpabilisation, troubles du sommeil) avec parfois des idées suicidaires, l’anxiété, les conduites addictives.
  • Le changement de comportement avec une agressivité, un désintérêt vis-à-vis de certaines activités (en relation souvent avec un état dépressif ), plaintes diverses et récurrentes.
  • Les chutes ou les hématomes inexpliqués, un amaigrissement non explicable organiquement, des hospitalisations fréquentes.
  • Cliniquement la gravité de la situation doit interpeller dès lors que des traces de coups sur le corps sont objectivées.

Les éléments sociaux

  • L’insalubrité des lieux de vie de la personne âge, ou les conditions très précaires concernant son logement.
  • Les privations multiples, et l’impossibilité de déplacement.

Rôle de l’entourage

  • Entourage inexistant ou indifférent à la situation de la personne âgée présentant parfois un handicap fonctionnel mental ou moteur.
  • Problèmes de conflits familiaux.
  • Négligences actives ou passives.
  • Insultes, humiliation, maternage excessif avecinfantilisation.
  • Contention inadaptée et trop importante.
  • Violences physiques.
  • Refus ou abus de traitement.

Tableau 1 : Éléments cliniques et sociaux qui doivent interpeller le praticien en ce qui concerne une éventuelle maltraitance

Quelles démarches doit-on effectuer en cas de maltraitance ?

Démarches que peut effectuer l’entourage
Deux types de démarches peuvent être entrepris dans ce cadre (5-7) :

  • Soit en appelant le 3977. Il s’agit d’une plateforme gérée par ALMA (« Allo Maltraitance ») qui est une association nationale d’écoute des personnes âgées ou handicapées.
  • Soit en effectuant un signalement au Procureur de la République, et aux services de la Gendarmerie ou de la Police.
  • Soit en effectuant un signalement auprès du tuteur ou du curateur en charge de la personne.

Démarches que doit effectuer le professionnel de santé
Plusieurs types de démarches doivent être entrepris (5-8)

  • En cas de forte suspicion de coups et blessures volontaires, il est nécessaire d’établir un certificat de coups et blessures (tableau 2). Il permet de fixer l’incapacité totale de travail (ITT). Ce certificat est transmis aux autorités judiciaires.
  • Le professionnel de santé peut décider d’une hospitalisation en urgence pour assurer la protection du patient âgé.
  • Un signalement peut par ailleurs être effectué auprès du Procureur de la République et du Conseil de l’Ordre des Médecins. 

Je, soussigné (qualité du médecin doit être clairement identifiée).
Certifie avoir examiné le (date en toute lettre) à (heure et lieu de l’examen précisés).
Mme (identité du patient et date de naissance doivent être transcrites de manière exacte) demeurant (adresse qui est identifiée).
Cliniquement il présente (une description exhaustive des lésions est impérative).
On rajoute les conséquences physiques morales engendrées par la maltraitance.
L’ITT est de (il faut savoir que le nombre de jours d’ITT est l’élément le plus important de ce certificat.
En effet, si l’acte de maltraitance est inférieur à 8 jours on va le classer en contravention, et s’il est supérieur à 8 jours il s’agit d’une contravention).
Tableau 2 : Certificat d’ITT

Conclusion
La maltraitance est un acte qui atteint toutes les couches sociales et toutes les personnes âgées indépendamment de leur culture et de leur religion.
La souffrance engendrée par cette situation est le plus souvent très peu exprimée par les victimes.
Aussi tout professionnel de santé a le devoir de signaler toute maltraitance. Il est important de noter qu’une absence de signalement peut conduire à une amende allant jusqu’à 45 000 € (5).
En ce qui concerne notre patiente, la gestion de sa situation sociale, mais aussi médicale a été confiée à une unité de psychiatrie.
Cette démarche a rapidement permis d’effectuer un signalement auprès du Procureur de la République, et des démarches pour protéger aussi bien financièrement que physiquement cette patiente ont pu être entreprises.

Auteurs
Pierre FRANCES
Médecin généraliste
1 rue Saint Jean Baptiste 66650 Banyuls sur mer

Robert GAUBERT
Psychiatre
66000 Perpignan

Véronique DORION
Médecin légiste. CH Saint Jean 66000 Perpignan

Thibaud MOSSET
Interne en médecine générale
34000 Montpellier

Mathieu DUHAMEL
Externe
34000 Montpellier

Bibliographie

  • Maltraitance des personnes âgées. https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/elder-abuse.
  • Rodat O, Berrut G, Clement R, Bresson C. Données épidémiologiques et regards portés sur la maltraitance de la personne âgée.
    https://cutt.ly/MmSbftU
  • Kaplan DB, Berkman BJ. The Oxford handbook of Social work in health and aging. Ed. Oxford University Press 2015.
  • La maltraitance des personnes âgées. https://www.who.int/ageing/projects/elder_abuse/fr/.
  • Que faire en cas de maltraitance ? https://www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr/que-faire-en-cas-de-maltraitance.
  • Maltraitance des personnes âgées à domicile : restons vigilants… http://www.clicmetropolenordouest.fr/wp-content/uploads/2016/02/Maltraitance.pdf.
  • Le 3977. https://solidarites-sante.gouv.fr/affaires-sociales/personnes-agees/maltraitance-des-personnes-vulnerables/article/le-3977.
  • Purdhomme C. Urgences : 2019. Ed Maloine 2020.
  • Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°30

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