
Pourquoi et comment accompagner les familles vers une éducation sans violence
La loi interdisant les violences dites éducatives ordinaires a été votée au Sénat le 2 juillet à l’unanimité, elle a été promulguée le 11 juillet au Journal Officiel. Quarante ans après la Suède, la France devient le 56e État à bannir les châtiments corporels. Lu à la mairie lors des mariages, l’article du code civil précisera aux futurs époux que « l’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques ». Cet article figurera aussi sur les carnets de santé a déclaré récemment le secrétaire d’État à la protection des enfants : M. Adrien Taquet. Cette loi doit être accompagnée de mesures et d’actions entrant le cadre du plan des 1000 jours : accompagnement des femmes enceintes et des couples dès le 4ème mois de la grossesse jusqu’au deux ans de l’enfant.
Histoire récente de la loi
Depuis la proposition de loi par la pédiatre et députée Edwige Antier en 2009, cette loi a été longtemps résumée en « loi anti-fessée », minimisant, décrédibilisant, ridiculisant ses militants.
Proposée à multiples reprises sous forme d’amendement en 2014, 2015, elle est votée en 2016 sous l’impulsion du député François Michel Lambert et de la ministre Laurence Rossignol puis annulée par le conseil constitutionnel la considérant comme un « cavalier ».
Cette loi est à nouveau portée par la députée Maud Petit en février 2018 puis par Laurence Rossignol en mars 2019. Elle est enfin votée à l’assemblée en novembre 2018 et votée le 2 juillet au Senat à l’unanimité.
Cette loi est globale, elle interdit toutes les violences éducatives ordinaires : coups, gifles mais aussi humiliations, insultes, brimades ou moqueries. Elle dissocie l’autorité parentale et l’utilisation de telles violences admises qui, pendant des siècles, étaient considérées comme un droit et une nécessité « éducative » appelée « droit de correction » des parents.
C’est une vraie révolution, une prise de conscience de la santé des enfants, un changement de regard sur les enfants et sur le développement des enfants, c’est une reforme sociétale majeure.
Définition des Violences éducatives ordinaires
- L’ensemble des pratiques coercitives et punitives utilisées pour « éduquer » les enfants.
- Violence verbale : moqueries, propos humiliants, cris, injures...
- Violence psychologique : menaces, mensonges, chantage, culpabilisation... et/ou
- Violence physique : gifles, pincements, fessées, secousses, projections, tirage de cheveux, tapes sur les oreilles...
- Elles visent à faire obéir l’enfant par la peur ou par la douleur, lui faire arrêter un comportement, lui faire apprendre quelque chose, s’épargner le regard de l’entourage, soulager l’emportement ou la peur de l’adulte.
En effet, en France aujourd’hui encore 87 % des enfants subissent ces pratiques punitives et coercitives auxquelles les parents ont recours « à titre éducatif ».
50 % des parents qui frappent leurs enfants le font avant l’âge de deux ans.
Les êtres les plus fragiles, en développement, sont les moins protégées et ont le moins de droit.
En tant que médecins et pédiatres, nous avons appris la théorie de l’attachement, l’immaturité du cerveau, la dépendance, et les besoins de l’enfant.
Nous avons appris l’importance de la présence, de l’affection, des câlins, de la tendresse, du jeu, de l’interaction, de l’exemplarité, de la prévisibilité, de la stimulation à apporter à l’enfant pour l’aider à grandir harmonieusement.
Nous pouvons par notre lien privilégié avec les parents, les familles et les enfants, transmettre et aider à faire disparaitre ces pratiques pour le bien-être des enfants et de notre société.
Le développement de l’enfant et ses besoins
Dans l’espèce humaine, la durée du développement du cerveau après la naissance est particulièrement longue. Cette période d’immaturité et de dépendance vis-à-vis des adultes permet et même favorise l’apprentissage.
Depuis la naissance, le cerveau de l’enfant croît, se développe, et triple de taille en trois années. Le nouveau-né humain doit développer de nombreuses fonctions : la station debout, la marche, le langage parlé, l’habileté manuelle, les relations avec autrui, la conscience de soi et des autres...
Faire peur, faire mal, inonde l’enfant d’hormones de stress, à une période cruciale et peut altérer certaines parties de son fonctionnement cérébral.
Il n’y a pas de petit coup, pas de petite claque, pas de petite fessée. Un enfant a besoin d’amour, de tendresse, d’attention, de jeux, d’exemplarité, de protection, en raison de sa vulnérabilité et de son développement
En ce sens, le cadre de la famille, celui de l’école ou de tout autre lieu d’accueil se doit d’être sécurisant et entouré d’un climat de confiance.
Transmettre aux parents et aux éducateurs les résulats des études sur ces pratiques
"Ni la fessée ni aucune autre punition corporelle, ni aucun cri, n’a comme effet un meilleur comportement de l’enfant dans la durée."
Nous avons appris grâce à de nombreux auteur.e.s les effets néfastes des violences dites éducatives ordinaires sur le développement et le comportement d’un enfant et de l’adulte qu’il va devenir.
L’étude de l’Université d’Austin, Texas, méta-analyse parue en 2016, regroupe 75 études réalisées sur une période de 50 ans portant sur 13 pays et 160.000 enfants.
Elle révèle que les punitions corporelles favorisent l’agressivité, une baisse de l’estime de soi, des difficultés d’adaptation, de l’anxiété, une baisse des performances, un comportement antisocial. De nombreuses études notamment celle de Gershoff (2012) démontrent que la valeur éducative de la claque ou de la fessée est une fausse croyance. Ni la fessée ni aucune autre punition corporelle, ni aucun cri, n’a comme effet un meilleur comportement de l’enfant dans la durée.
L’OMS sur la violence et la santé (novembre 2002) établit une relation forte entre les violences subies dans l’enfance et de nombreuses pathologies physiques et mentales :
- Agressivité envers les pairs et/ou les éducateurs.
- Échec scolaire et difficultés d’apprentissage.
- Troubles émotionnels ou du comportement, délinquance.
- Diminution des capacités cognitives et de l’estime de soi.
- Mauvaises relations avec les parents.
Informer les parents sur les effets néfastes des violences éducatives ordinaires et la maltraitance émotionnelle est essentiel de notre rôle.
En effet, ces comportements des parents rabaissent l’enfant. Les critiques et les paroles violentes lui font peur et lui procurent un sentiment d’humiliation et de honte, l’isolement et le rejettent. Ils lui font perdre de l’estime de luimême et diminuent son assurance.
De nombreux auteurs tels que Dr Anne Laure Van Harmelenn, Dr Aimie Hanson, Dr Akemi Tomoda, Dr Bruce Mac Ewen, rapportent l’impact sur des zones essentielles du cerveau tels que le cortex préfrontal, l’amygdale cérébrale ou l’Hippocampe, des châtiments corporels.
Accompagner les parents vers un changement de pratiques
C’est dur d’être parent, et nous n’avons pas appris à l’être. Consciemment ou inconsciemment nous reproduisons ce que faisaient nos parents qui nous aimaient et qui pensaient faire aussi bien que leurs parents.
Les parents ont recours à la violence pour plusieurs raisons :
- L’interprétation erronée du comportement des enfants.
- Les exigences des adultes non adaptées à l’âge de l’enfant.
- Par le fait de croire aux vertus éducatives de la douleur, si légère soit-elle.
- Les injonctions sociales.
- Reproduction du schéma que nous-mêmes avons subi, la violence éducative ordinaire étant enfants, et la reproduisant ainsi un schéma de génération en génération.
- Par méconnaissance des besoins des enfants et de leur développement.
La majorité des parents est bienveillante et souhaite que leur enfant grandisse harmonieusement et devienne un adulte épanoui. Cependant :
- Etre parent, c’est très difficile.
- Personne n’a reçu de formation.
- Il n’y a pas de repos.
Il faut aider les parents lors de nos consultations sans les culpabiliser par des conseils bienveillants, les sensibiliser au développement des compétences socio-émotionnelles de leurs enfants.
Les progrès de la recherche soulignent l’importance d’une bienveillance éducative et de la non-violence des parents et de l’entourage envers l’enfant, notamment sur le développement global du cerveau et sur certaines zones essentielles telles que le cortex préfrontal, orbito-frontal, l’hippocampe et l’amygdale cérébrale.
De nombreux travaux tels que ceux de Rianne Kok, Haaron Cheik, Joan Luby, Martin Teicher, témoignent de l’augmentation de la substance grise du cerveau et épaississement du cortex préfrontal lorsque l’éducation est sans violences. Ces structures sont importantes pour l’acquisition de l’enfant de :
- La Capacité de se calmer, de prendre les bonnes décisions, sans agresser l’autre, sans fuir, sans être sidéré.
- Le développement de son empathie.
Une interdiction de la violence éducative ordinaire a eu comme conséquence en Suède, depuis son instauration il y a 40 ans, une diminution du nombre d’enfants maltraités, une diminution de la délinquance, de troubles d’addiction et de conduite, une diminution des tentatives de suicide parmi les jeunes, et une diminution franche du nombre de décès par maltraitance grave.
Etre empathique, apaiser son enfant, l’aider à exprimer ses émotions à un impact très fort sur le développement du cerveau de l’enfant. Permettre le développement de ses compétences socio-émotionnelles : reconnaître ses émotions, pouvoir les exprimer améliore les relations aux autres, permet de comprendre l’autre et de résoudre les conflits. Des études ont montré que le développement de l’expression des émotions sont corrélées à de meilleurs résultats scolaires.
Nous, professionnels de santé, médecins généralistes et pédiatres, avons un rôle majeur à jouer pour accompagner cette loi, aider au changement de comportement éducatif et permettre ainsi aux enfants de grandir harmonieusement et de devenir des adolescentes et adultes épanoui.e.s, empathiques et pacifiques.
Dr Gilles LAZIMI
Médecin généraliste du centre municipal de santé,
Responsable des actions prévention santé de la ville de
Romainville en Seine-Saint-Denis,
Maître de conférences en médecine générale à
l’Université Pierre et Marie Curie
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Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°17

