Actualités : La financiarisation de l’exercice de la radiologie

Publié le 04 oct. 2022 à 13:42

 

La financiarisation de la radiologie : ce nouveau « mal » qui nous guette ! Depuis quelques années, le risque que l’IA remplace le radiologue a fait place au risque de la financiarisation de la profession… Mais au fait qu’est-ce que la financiarisation de la radiologie ? Est-ce un mal ou un bien ? un risque ou une opportunité ? tout est question de point de vue, d’éthique, de sens que nous souhaitons apporter à notre métier, de perspective, d’adaptation, … Je vous propose après une première partie de définition du terme et du contexte de la Santé, de traiter en seconde partie le risque lui-même avec une analyse a priori (exemple HAS) et enfin de voir en troisième partie ce que le Collège et les internes doivent intégrer pour s’adapter au monde qui bouge, qui innove et que nous devons suivre, précéder, anticiper ou subir. Définition et contexte.

Derrière l’expression de « la financiarisation de la radiologie_», plusieurs éléments doivent être précisés. La radiologie est une spécialité médicale qui utilise de nombreux appareils médicaux pour offrir des soins aux patients, que ce soit en dépistage, diagnostique ou thérapeutique par radiologie interventionnelle. L’investissement nécessaire à l’obtention de ces équipements (entre 500k€ et 2M€ en général par équipement), les locaux nécessaires, les contraintes réglementaires de sécurité, … ont conduit les cabinets médicaux à se regrouper pour mutualiser les achats, les risques, partager des savoir-faire et offrir des soins variés, synergiques avec les demandes et les besoins qui sont devenus plus nombreux, plus précis. Les radiologues ont innové depuis toujours que ce soit dans les soins mais aussi dans les organisations. Aujourd’hui la radiologie est présente pour soigner de nombreuses pathologies, à tout âge, en urgence ou en programmé. D’examens complémentaires, la radiologie structure les soins médicaux et chirurgicaux ; les autres spécialités en sont dépendantes, en sont parfois jalouses, souhaitent prendre notre place lorsque l’offre radiologique n’est pas au niveau avec de sérieux soucis de pertinence, de compétences et de mauvaises pratiques.

La médecine de demain sera numérique, elle sera 6P (préventive, prédictive, participative, personnalisée, précise, et pertinente). La radiologie comme la biologie et la génétique jouera un rôle fondamental. Cela attire des convoitises par des groupes financiers mais aussi des groupes de cliniques. Outre la rentabilité, les investisseurs parient sur la médecine de demain. Pour bien comprendre les enjeux, nous devons analyser l’ensemble de la situation des soins en France. Notre modèle de soins repose sur la sécurité sociale qui établit des tarifs d’actes, de consultations, de remboursements de diverses prestations, … Nos ARS sous le joug de notre ministère de la Santé s’évertuent à mailler notre territoire avec des régimes d’autorisation de soins (et encore d’équipement pour le moment malgré nos demandes répétées de considérer notre profession comme assurant des soins diagnostiques et interventionnels). De fait, notre système est très jacobin avec surveillance de tout le monde et encadrement fort des pratiques. Le système est malade entre un système public qui n’est pas autonome et un système privé qui tente de s’échapper de contrôle trop sérieux avec libéralisation des prix… des choix s’imposent pour notre gouvernement, choix qui ont été repoussés depuis des années. Va-ton vers davantage de libéralisation pour financer un système en déficit ? Va-t-on vers une « nationalisation  » ? Personne à cette heure ne peut le dire et pourtant le système craque de plusieurs côtés.

La radiologie n’échappe pas à ce tiraillement avec les rachats de structures par des fonds d’investissement ou des cliniques. Ils profitent de la fragilité du système actuel, du cash important généré par les tests COVID en biologie, de l’absence de placements sûrs en banque en ce moment, de la difficulté de revente des parts aux jeunes qui sont en attente d’éclaircissements de la situation. Les sommes mises en jeu sont colossales mais sont-elles réellement à la hauteur de notre métier de demain? Peut-on acheter notre savoir et nos pratiques au travers le rachat d’équipements et de locaux ? Sommes-nous identiques à la biologie? Que pouvons-nous faire ?

Gestion du risque

La financiarisation peut être source de progrès mais aussi source de productivisme, de rationalisation exagérée, de gestion à l’indicateur économique plutôt que soignant. Pour cela, une analyse des risques a priori peut être proposée en considérant la financiarisation comme étant une menace, un risque de mauvaise pratique, de dysfonctionnement, … Les risques ont été bien repris par une note de l’académie nationale de médecine en 2022* dont voici quelques points.

Le premier risque tient à la perte de la maîtrise de la gouvernance et de la gestion, perte du contrôle des droits financiers, perte de la qualité des soins délivrés aux patients. Le deuxième risque tient aux contrats d’exercice, souvent imposés entre les médecins et les sociétés, les assujettissant à un arsenal de clauses sur les modalités d’exercice, à des obligations (itinérance sur des sites distincts, durée obligatoire d’exercice au sein de la société pour percevoir le solde du prix de cession, gardes et astreintes, plateformes imposées d’exercice, exclusivités d’exercice dans le ou les établissements choisis par le groupe, sanctions si les objectifs quantités ne sont pas atteints, nombre et types d’examens ou de vacations), voire à des limitations ou interdictions de communication. Le troisième risque concerne les professionnels, mais aussi les patients. Les contrats, à multiples étages sur le fond et la forme, induisent une dérèglementation professionnelle avec des risques avérés de perte d’autonomie décisionnelle, et d’orientation de l’activité vers des examens rentables, simples et modélisés aux dépens de l’urgence. Ils peuvent porter atteinte au libre choix des patients du fait de la signature de clauses d’exclusivité entre la société et certaines cliniques privées ou plateformes de téléradiologie (y compris à l’étranger). Ce risque compromet l’indépendance des professionnels, pourtant garantie par l’article R. 4127-5 du code de la Santé Publique. Il peut porter grandement atteinte à la liberté de choix du patient dans son accès à un spécialiste conseillé par son médecin, notamment en radiologie interventionnelle. Il peut en n affecter la propriété même des données des patients. Des risques éthiques et déontologiques sont à craindre.

L’analyse des risques a priori consiste à considérer les risques à chaque étape des soins en médecine. Pour la radiologie, nous établissons des cartographies de gestion des risques en lien avec une chronologie des soins délivrés : prise de rendez-vous, validation de l’indication de l’examen, accueil du patient, préparation du patient, choix du bon protocole, réalisation de l’acte, complément éventuel, interprétation, compte rendu, explication et conduite à tenir. À chaque étape, des risques apparaissent et sont prévenus par la mise en place de barrières pour éviter leur survenue. Dans le cas de la financiarisation, il s’agit de bien réfléchir aux risques potentiels et surtout à l’intérêt de faire entrer des financiers dans sa structure. Souvent, l’argument de la massification des moyens est mis en avant ; faire peur car trop petit a toujours été un bon moyen pour faire bouger les lignes. Il reste à savoir si le danger est réel, si le regroupement est nécessaire, utile, synergique… et les risques que cela comporte : perte de pouvoir décisionnel, perte des autorisations, perte des personnels, perte de son indépendance, perte de la qualité au travail, pas de choix dans les innovations, …

Rôle du CERF et des internes

La financiarisation semble inéluctable dans certains cabinets ; elle a commencé. Le rôle du Collège qui a en charge votre formation ne doit pas se cantonner à vous former en tant que soignant, médecin et super radiologue clinicien. Vous serez amené, que ce soit en public ou en privé, à manager des équipes, à gérer des projets, à travailler avec d’autres spécialités, à discuter avec des directions hospitalières, de clinique, avec des investisseurs ! Vous êtes tous des « chefs d’entreprises » et l’exercice isolé de la radiologie n’existera plus. Vous devez apprendre à travailler en équipe, une équipe soudée, unie, polyvalente, pluri-professionnelle voire pluridisciplinaire, pour assurer des soins 24/7/365. Le radiologue est le protecteur des patients qu’il soigne et doit tout mettre en œuvre pour pouvoir exercer son métier avec une qualité et une sécurité exemplaire.

À travers les module PRO1 et PRO2, le Collège assure un enseignement transversal avec des enseignants du public et du monde libéral. Cependant, pour m’y consacrer personnellement, le constat est le peu d’intérêt des internes pour le monde professionnel ; les internes doivent apprendre beaucoup de techniques de radiologie (radiographie, scanner, IRM, échographie, radiologie interventionnelle), dans toutes les surspécialités… L’internat de radiologie demande beaucoup d’investissement en sus des qualité médicales et humaines qui ont été acquises pendant l’externat ; les internes, bien que très bien classés à l’ECN (EDN demain) connaissent beaucoup de choses mais doivent encore connaître davantage. Les premières années sont bien chargées en cours par e-learning et ateliers de simulation divers, sans compter le terrain. Ce n’est qu’une fois acquis toutes les connaissances de base et de certaines spécialités que l’interne s’intéresse au mangement, à la vie extérieure… comme la recherche ou l’enseignement, le monde libéral demande du temps pour en comprendre tous les rouages. Cela fait peur et nous assistons actuellement à une hésitation d’installation de beaucoup d’internes devant la méconnaissance des enjeux, un monde qui bouge et donc qui fait peur, des valeurs de parts qui fluctuent… bref la téléradiologie, les remplacements dans les îles sont des refuges que beaucoup prennent pendant les premières années après la sortie de l’internat ou de l’assistanat. Sur un plan personnel, cela est sans doute épanouissant. Sur un plan de la discipline, c’est catastrophique. En ne s’impliquant pas dans l’organisation de son métier de demain, en restant passif, le radiologue cautionne ce système financier qui a tendance à racheter tous les cabinets qui ne trouvent pas de remplaçants ou en difficulté.

La profession milite pour que la radiologie soit considérée comme une spécialité de soins à part entière. Bien au-delà des équipements, nous délivrons des soins radiologiques dans le cadre de dépistage, d’activité diagnostique, de radiologie interventionnelle, de suivi… Nous devons évoluer comme les autres disciplines vers un régime d’autorisation de soins radiologiques et sortir du concept technique des autorisations par équipement ou de plateau technique. La radiologie travaille dans des unités de radiologie diagnostique et/ou des unités de radiologie thérapeutique en utilisant des équipements. La valeur ajoutée est bien celle du médecin et non des équipements. C’est un leurre de laisser penser que d’autres spécialités peuvent exercer notre métier ; le CERF se bat pour une formation de haute qualité qui ne peut être résumé à connaître des rudiments d’IRM ou de scanner ou d’échographie_; ce n’est pas en 6 mois de temps, comme le pensent certaines spécialités, que nous pouvons apprendre tous les soins radiologiques qui passent par la pertinence, le choix et optimisation des acquisitions, l’interprétation et les conduites à tenir après les examens réalisés. Nous devons offrir un projet médical et soignant couvrant la proximité et l’expertise dans tous les domaines. L’équipe radiologique est notre garant de survie et c’est pourquoi nous sommes rentrés dans l’accréditation des équipes, accréditation accordée par la HAS, pour bien mettre en avant la valorisation des soins et des Hommes plutôt que des normes de structures ou d’équipements. La maîtrise des organisations avec l’évaluation par les pairs (ODPC-RIM) est un point clé de la bonne utilisation des soins délivrés.

Le Collège est très impliqué avec le Conseil National Professionnel de la Radiologie sur tous ces aspects. Il assure les cours de la formation initiale jusqu’à la Vie professionnelle pour former les radiologues à la bonne compréhension du milieu extérieur, aux enjeux de travailler ensemble, de la qualité, de bien communiquer avec le patient car ce sera lui qui validera notre valeur ajoutée +++ Il milite pour la qualité des soins assurés par des professionnels compétents, formés, impliqués dans leur exercice au quotidien comme l’atteste leur investissement dans l’accréditation des équipes qui valide les obligations DPC (Développement Professionnel Continu) et en 2023 la CPP (Certification Périodique des Professionnels de Santé).

" Nous devons évoluer comme les autres disciplines vers un régime d’autorisation de soins radiologiques et sortir du concept technique des autorisations par équipement ou de » plateau technique. "

Pr Jean-Paul Beregi
Président du CERF

Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°46

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