
A SYSTEMATIC REVIEW OF THE EVIDENCE FOR DEPRESCRIBING INTERVENTIONS AMONG OLDER PEOPLE LIVING WITH FRAILTY1
La polymédication, définie comme la prise de plus de 5 médicaments par jour, concerne 50 % des patients de plus de 85 ans. Elle est associée à un sur-risque d’évènements indésirables, de déclin fonctionnel, de décès, et s’accroit avec la fragilité. Les gériatres pratiquent au quotidien la « déprescription » médicamenteuse, concept décrit depuis le début des années 20002. Cependant, les méta-analyses effectuées à ce jour étaient faites chez des patients non nécessairement fragiles ou avec un indice de fragilité mal évalué (sur des critères d’âge ou de lieu de vie notamment). Cette revue a donc voulu évaluer la sécurité et l'impact de la déprescription médicamenteuse chez des patients âgés identifiés fragiles par des outils de mesure reproductibles.
Méthode
La recherche bibliographique faite sur plusieurs bases de données, selon la méthodologie consensuelle Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses (PRISMA), a recherché les articles évaluant la déprescription médicamenteuse et sa sécurité. Parmi les critères retenus pour sélectionner les études, il était nécessaire que les patients inclus aient un âge médian de plus de 65 ans, et une fragilité identifiée chez au moins 50 % des patients de l’étude. Cette fragilité devait être identifiée selon un score ou échelle validé comme : Le phénotype de Fried, le score PRISMA-7, le Clinical Frailty Scale… Les études dans lesquelles la déprescription faisait partie d'une intervention multidimensionnelle ont été exclues. Le critère de jugement principal était la sécurité de l’intervention, définie en termes d'événements indésirables, d'hospitalisation et/ou de mortalité toutes causes confondues. Sur les 2322 articles identifiés (publications jusqu’en 2020), 6 ont été retenus, avec une qualité jugée bonne selon les critères en vigueur. Finalement, la méta analyse n’a pas été possible tant les données étaient hétérogènes, les auteurs ont donc réalisé une synthèse narrative des résultats.
Résultats
Au total, 657 patients ont été inclus dans les 6 études (2 essais contrôlés randomisés, 2 études de comparaison avant/après et 2 études de cohorte interventionnelle prospective), entre 2014 et 2018, en soins primaire ou hospitalier, avec un âge moyen des participants de 79 à 85 ans. Le Clinical Frailty Scale était l’outil de mesure de fragilité le plus couramment utilisé.
Les médicaments les plus fréquemment déprescrits dans les études (principalement en se basant sur les outils comme le STOPP, Beers ou STOPPFrail), quel que soit le contexte, étaient les benzodiazépines, les antidépresseurs, les neuroleptiques, les opiacés, les statines, les inhibiteurs de la pompe à protons et les médicaments cardiovasculaires (aspirine, autres antiplaquettaires, bêtabloquants, digoxine).
La sécurité de la déprescription a directement été évaluée dans 3 études. Dans une étude menée en soins primaire, après 3 et 6 mois, les effets indésirables (évalués à l’aide du score UKU-SERS) ont diminué respectivement d'une différence moyenne de 2,8 (p < 0,05) et de 4,2 (p < 0,05). De plus, les effets indésirables des médicaments psychotropes ont diminué de manière significative d'une différence moyenne de 1,8 (p < 0,05) après 3 mois, et d'une différence moyenne de 2,24 (p < 0,05) après 6 mois.
Ces baisses de points sur le score UKU-SERS sont cliniquement pertinentes, mais ces résultats ne sont pas retrouvés dans les autres études. Dans les deux autres études, en milieu hospitalier, on y retrouve une baisse des effets indésirables majeurs (p <0.05) sans pour autant avoir de différence sur les réhospitalisations ou la mortalité. Les recommandations de déprescriptions ont été suivies dans 88 % des cas.
Dans les résultats secondaires, il y a eu une baisse significative de 2 à 3 médicaments, notamment des médicaments inappropriés. On observe également une baisse de la détérioration fonctionnelle dans les groupes interventions (70 % pour les groupes contrôles contre 35 % pour les groupes interventions, p < 0,001), une amélioration thymique (-2 points sur la GDS, p<0,05) et une amélioration cognitive sur le Mini Mental State Examination (MMSE) mais dans une seule étude. Le taux de chutes et de ses complications est globalement inchangé (données contradictoires). On ne note pas de différence sur la qualité de vie. Enfin, ces interventions semblent avoir eu un impact sur le plan médico-économique. Dans les études avec un pharmacien dirigeant le projet, il y a eu une économie de 94,28 $ par 100 jours-patients et dans les études avec équipe pluridisciplinaire une économie mensuelle par patients de 61,74 $.
Quel intérêt pour les gériatres ?
Cette revue a mis en évidence le manque de littérature chez le sujet âgé fragile et l’hétérogénéité des études conduisant à de nombreuses difficultés d’interprétation. Ici, les patients étaient bien identifiés comme fragiles, ce qui correspond à nos patients du quotidien en gériatrie. Les données de cet article vont dans le sens de ceux déjà publiés, et viennent confirmer la sécurité de la déprescription guidée par l’estimation de l’espérance de vie et les outils validés chez le sujet identifié comme fragile. La démarche pluridisciplinaire en incluant le patient et le médecin traitant permettent d’obtenir une bonne acceptation des modifications thérapeutiques. La liaison ville-hôpital est d’ailleurs un point essentiel dans les futures politiques de santé.
Les effets bénéfiques sont bien démontrés sur la baisse des prescriptions médicamenteuses inappropriées. En revanche, les résultats cliniquement pertinents peinent à être démontrés sur les chutes, la cognition, les réhospitalisation/décès et la qualité de vie. Des études avec une meilleure homogénéité de patients et une méthodologie plus rigoureuse permettront probablement de répondre à ces questions. En attendant, les gériatres et pharmaciens peuvent poursuivre l’analyse des ordonnances et la déprescription avec les outils validés puisque les données actuelles montrent la sécurité de cette pratique.
Références
- Ibrahim, Kinda et al. “A systematic review of the evidence for deprescribing interventions among older people living with frailty.” BMC geriatrics vol. 21,1 258. 17 Apr. 2021.
- Woodward MC. Deprescribing: achieving better health outcomes for older people through reducing medications. J Pharm Pract Res. 2003;33(4):323–328.
Dr Thomas RENONCOURT
Gériatre, CHU Amiens
Pour l’Association des Jeunes Gériatres
Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°27

