L’interne de gynécologie : Un rôle essentiel dans le dépistage des violences faites aux femmes

Publié le 17 May 2022 à 21:08

L’interne de gynécologique est un soignant en première ligne du dépistage des violences faites aux femmes. La situation de confinement générée par la pandémie de Covid-19 a gravement accru la prévalence des violences faites aux femmes.

Les urgences gynécologiques, accessibles H24 et 7j/7 et avec un nombre de passages importants, sont un lieu de dépistage majeurs. La consultation de gynécologie de part son caractère intime est un moment sensible et propice à la communication. Néanmoins les internes de gynécologie sont soumis à des contraintes de taille : la cadence du nombre des consultations qui s’enchaînent, et le manque de temps.

Ceci est un ensemble de propositions pour intégrer le dépistage des violences faites aux femmes à votre consultation de façon simple.

Bien définir son rôle
Le rôle de l’interne, et il faut bien le souligner, est le dépistage des femmes victimes de violences et l’orientation après avis de son sénior référent. Il est médecin et il ne peut pas prétendre à remplacer un travailleur social ou un psychologue.

Il amène la patiente à se livrer en créant une atmosphère de confiance le temps d’une consultation en urgence : ce qui est un vrai challenge !

Quels sont les signes devant faire penser à rechercher des violences domestiques ?
Un dépistage systématique devrait être fait, car parfois les apparences sont trompeuses : même chez la dame qui consulte pour une mycose à 4H du matin…

Mais certains signes doivent alarmer.

  • Les contractions utérines, et les menaces d’accouchement prématuré doivent bénéficier d’un dépistage systématique des violences domestiques.
  • Les patientes qui consultent de façon répétées aux urgences, particulièrement pour des troubles fonctionnels et sans causes somatiques retrouvées.
  • La mise en évidence de lésions cutanées lors de l’examen clinique (excoriation, ecchymoses).
  • L’aspect de la patiente peut être divers : les violences domestiques touchent autant les milieux défavorisés que les milieux bourgeois.

Qui sont les auteurs ?
Ce sont majoritairement les hommes de l’entourage qui sont auteurs des violences : la plupart des féminicides sont commis par les conjoints. On retrouve une relation de pouvoir et d’emprise sur la patiente avec parfois des hommes qui insistent pour être présents à la consultation, parlent à la place de leur compagne. Encore une fois, tous les milieux sociaux sont touchés.

Quels sont les situations à risque de violences ?
Nous ne saurons rappeler qu’il faut être particulièrement vigilant lors de la grossesse. La période de confinement en période d’épidémie de COVID-19 est une période tout simplement explosive en termes de prévalence des violences faites aux femmes. Notons que la prise de toxiques favorise le passage à l’acte, aussi plus de 90 % des violences domestiques auraient lieu sous l’emprise de l’alcool.

Proposition d’approche lors de l’examen clinique
Vous avez peut-être déjà votre façon de mener un interrogatoire mais nous nous permettons de vous soumettre des idées de questions ouvertes qui pourraient vous inspirer. Ces questions peuvent être le moyen d’introduire le sujet des violences domestiques.

« Comment cela se passe à la maison ? Comment cela se passe avec votre conjoint ? ».

Pour une meilleure communication, il est souhaitable de formuler des questions ouvertes pour ne pas suggérer la réponse à la patiente, mais la laisser libre. Elles peuvent être posées lors de l’interrogatoire ou pendant l’examen clinique, l’échographie… Il est important de rappeler le caractère strictement confidentiel de cette discussion à la patiente. Si la patiente décrit des violences à la maison, il faut en faire part à votre sénior. En fonction, une hospitalisation pour l’éloigner en urgence peut être proposée à la patiente. Elle pourra si elle le souhaite, rencontrer les psychologues et les assistantes sociales du service pour la suite de la prise en charge.

Si la patiente vous dit que tout va bien, il faut tout de même l’informer que vous êtes à sa disposition pour l’aider en cas de besoin. Il faut informer, et conseiller sans rien imposer. Elle doit au minimum connaître les numéros de téléphone d’urgence (3919, 114, 17).

L’important n’est pas forcément que la patiente se livre, mais qu’au moins elle sache qu’à l’hôpital, avec vous, elle est en sécurité et que vous êtes une aide bienveillante.

Faire attention à soi !
Nous ne pouvons ignorer qu’exposés à ses situations aussi difficiles et soumis à un rythme de travail pour le moins soutenu, les internes de gynécologie sont particulièrement exposés aux risques psychosociaux et notamment au burn out et au stress post-traumatique. Nous pouvons parfois nous sentir impuissant face à des dames qui nous confient des situation tragiques et nous demandent de garder le secret. Nous sommes parfois témoins de situations dramatiques qui n’ont pas pu être évitées.

Il est essentiel de débriefer ces situations difficiles avec vos séniors et vos co-internes. Le soutien entre pairs revêt ici un rôle primordial.

Ceci est d’autant plus important si vous avez du mal à penser à autre chose, ou si vous faites des cauchemars. Le stress post-traumatique est probablement sous-estimé chez les internes de gynécologie.

Enfin, en tant que co-internes, il est de notre devoir de nous soutenir les uns les autres. Nous ne saurions qu’insister sur l’éminence de la communication, et le partage de ses expériences entre collègues.

Vous êtes des colosses, mais ensemble vous serez plus forts pour affronter ces situations difficiles !

Références

Dépistage des violences faites aux femmes R. HENRION* (Paris) : recommandations du CNGOF de 2004.

Intimate partner violence. Committee Opinion No. 518. American College of Obstetricians and Gynecologists. Obstet Gynecol 2012; 119:412–7.

A prevalence survey of abuse and screening for abuse in urgent care patients, Obstetrics and Gynecology, 91(4), p. 511-514. MCLEOD, A., BAKER, D. et M.

Reproductive coercion and co-occurring intimate partner violence in obstetrics and gynecology patients. Clark LE1, Allen RH2, Goyal V2, Raker C3, Gottlieb AS2. Am J Obstet Gynecol. 2014 Jan;210(1):42.e1-8. doi: 10.1016/j.ajog.2013.09.019. Epub 2013 Sep 18.

Martini, S., Arfken, C.L., Churchill, A. et al. Burnout Comparison Among Residents in Different Medical Specialties. Acad Psychiatry 28, 240–242 (2004).

Stress symptoms and burnout in obstetric and gynaecology residents. Castelo-Branco C1, Figueras F, Eixarch E, Quereda F, Cancelo MJ, González S, Balasch J. BJOG. 2007 Jan;114(1):94-8.

 

Maryame EL GANI
Interne au CHRU de Tours

Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°19

Publié le 1652814522000