L'imagerie médicale, l'ia et les médecins

Publié le 05 Nov 2019 à 11:00


Des échographies sur Ipad, un IRM superpuissant et demain? Deux radiologues, Thibaut Jacques et Jean-Yves Gauvrit, et un chercheur, Cyril Poupon, nous éclairent sur les innovations à venir en imagerie médicale et la place que devront garder l’éthique et l’humain.

“Si l'IA en imagerie fait le buzz avec plus de 1000 publications scientifiques l'année dernière, il n’y a toujours pas d'applications concrètes et pratiques en radiologie à l'hôpital", constate le Dr Thibaut Jacques, chef de clinique en radiologie au CHU de Lille et responsable de La section Junior à La Société française de radiologie (SFR). Pour lui, la révolution est en cours. Les images sont de plus en plus précises en IRM et en scanner. “Il y a 15 ans un scanner analysait une centaine d'images, aujourd'hui, ce sont des milliers" , remarque le Pr Jean-Yves Gauvrit, neuroradiologue au CHU de Rennes et responsable du comité innovation à la SFR. Les innovations font partie de Uhistoire de la radiologie. Mais il le reconnait, L'IA et le Big Data annoncent de sacrés changements “c’est comme si nous étions sur une chaîne d'informations en continue. L'imagerie médicale nous promet un flot ininterrompu de données, d'images et de challenges à relever" .

Quels bénéfices pour Le patient ?
"Pour chaque innovation, il faut se poser la question du bénéfice pour le patient" , analyse Jean-Yves Gauvrit. Une question d’autant plus importante qu’il n’y a pas d'évaluation du service rendu de l’IA comme c’est le cas pour un nouveau médicament avant sa mise sur le marché. Pour lui, le bénéfice est déjà en marche avec moins d’irradiations et des temps d'examens plus rapides. L'autre avantage pour le patient est la miniaturisation du matériel qui permet à l'imagerie médicale d’être mobile comme les échographies qui se réalisent déjà via un IPad ou des scanners dans des camions pour aller aux devants de patients dans des zones où l’accès aux soins est compliqué.

Vers une médecine personnalisée
"Dans les cinq ans à venir, ce ne sera pas forcément l’aide au diagnostic qui va révolutionner l'imagerie médicale, mais d’abord l’aide à l'optimisation des images à travers une amélioration de la résolution, du contraste, de la dose ou des temps d’acquisition" , affirme Thibaut Jacques. Ce sont les algorithmes de l’IA qui seront alors à l’œuvre.

"Pour l’aide au diagnostic, il faudra d’abord développer de façon robuste un algorithme différent pour chaque problématique clinique ou presque, ajoute-t-il. Si on veut des IA performantes dans l’aide au diagnostic il faudra d’abord les entraîner avec un maximum de données, les valider scientifiquement et connaître les limites de chacune" . Cette révolution est effectivement en cours avec des données qui s’amassent dans le Health Data Hub issues de cohortes de milliers ou des dizaines de milliers de personnes qui se sont ou qui sont en train de se constituer au niveau national, européen ou international. Le but ? Affiner le diagnostic pour une médecine au cas par cas. Toutefois, ces milliards de données, anonymes et sécurisées sont convoitées par les GAFA, aujourd’hui en vain mais pour combien de temps ?

Qui profitera du temps gagné ?
A terme, en prétraitant de grands volumes d’images médicales de façon beaucoup plus rapide que l’humain, l'IA pourrait être une aide aux radiologues en leur dégageant davantage de temps lors de tâches parfois fastidieuses. Jean-Yves Gauvrit comme Thibaut Jacques espèrent que ce temps gagné sera au bénéfice de la relation médecin/patient et non pour interpréter d’avantage d'examens en moins de temps. "L'aide au diagnostic ne doit pas conduire vers une interprétation à la chaîne comme on le voit déjà dans certains pays où les radiologues ne rencontrent déjà plus leurs patients" , s’inquiète le jeune chef de clinique.

À qui la responsabilité d'erreur de diagnostic : L'IA ou le médecin ?
Des images plus précises induisent la découverte d'anomalies qui ne sont pas forcément liées à la pathologie du patient pour laquelle l'IRM ou le scanner fut prescrit. La formation et la place du radiologue est alors essentielle, afin qu’il sache analyser et hiérarchiser ces anomalies et apporte une réponse appropriée au patient pour l’orienter sur la suite de sa prise en charge ou le rassurer sur certaines anomalies "banales" , ce que ne peut pas faire l’IA à ce jour. L’autre question qui se pose est la responsabilité en cas d’erreur. Que se passera-t-il si le médecin se fait induire en erreur par l’IA ? "Cette question de la responsabilité va rapidement transparaître en radiologie et elle est très lourde, reprend Thibaut Jacques. Cela se pose déjà en justice quand le diagnostic de la machine est différent de celui du médecin. Or c’est toujours le médecin qui a le dernier mot et qui en porte donc la responsabilité" . C’est pourquoi les radiologues demandent une formation qualitative et indépendante pour être en capacité de critiquer le diagnostic de l’IA tout en limitant le risque de "deskilling" , la perte de compétence. "Nous sommes habitués à nous former en continu, l'innovation fait partie de nos gènes !" , fait remarquer Jean-Yves Gauvrit qui reste optimiste.

Article paru dans la revue H n°23, Été 2019 (ISNI)

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