
Quelle prise en charge ?
Jusqu’en 2008 et les résultats de l’étude HYVET1 (HYpertension in the Very Elderly Trial), les bénéfices d’un traitement anti-hypertenseur chez le sujet âgé étaient controversés. Depuis qu’ils sont connus et validés scientifiquement, se posent les questions de la cible tensionnelle à rechercher, des classes médicamenteuses à mettre en place… Les données exposées dans ce texte vous apporteront quelques éléments de réponse.
Un peu d’épidémiologie tout d’abord pour situer l’importance de
considérer l’HTA
Prévalence évaluée à plus de 70 % après 80 ans, sans différence entre les hommes et les femmes2.
• HTA principalement systolique3 (liée à l’élévation de la rigidité artérielle) responsable d’un risque accru d’accident vasculaire cérébral et de coronaropathie.
• Facteur de risque cardiovasculaire majeur avec, selon la Framingham Heart Study2, un risque cardiovasculaire absolu attribuable à l’HTA de 24.7 % à 6 ans chez le sujet de plus de 80 ans versus 3 % chez le sujet de moins de 60 ans.
• Au-delà de 80 ans, risque linéaire entre la pression artérielle et la mortalité4 avec un risque de mortalité vasculaire multiplié par 128 au-delà de 80 ans pour une pression artérielle systolique de 160 mmHg.
• Le risque relatif de troubles neurocognitifs majeurs lié à l’HTA est de 2,8. L’HTA pourrait contribuer à l’expression anticipée d’une maladie d’Alzheimer encore infraclinique. L’étude Syst-Eur a démontré un net bénéfice du traitement antihypertenseur sur l’incidence des troubles neurocognitifs majeurs5.
• En France, il est estimé que 50 % des hypertendus sont contrôlés avec un seuil qui s’abaisse à 30 % chez les hypertendus de plus de 75 ans !
Pourquoi avoir attendu 2008 pour traiter ?
En 1963, pour Jean LENEGRE, « il faut considérer l’hypertension du vieillard comme le vieillard luimême : la respecter ».
En 1978, le British Medical Journal indiquait dans son éditorial : « Les traitements antihypertenseurs ne doivent probablement pas être administrés chez les patients âgés tant que leur pression artérielle n’est pas supérieure à 200 / 100 mmHg ».
Entre 1991 et 1997, plusieurs études contre placebo et en double aveugle (SHEP, STOP, MRC old, SYST-EUR) démontrent le bénéfice d’un traitement anti-hypertenseur chez le sujet de plus de 60 ans que ce soit sur l’AVC, l’infarctus du myocarde ou la mortalité totale.
Cependant, la méta-analyse de Gueyffier en 19996 vient bouleverser les résultats des études précédentes en confirmant bien le bénéfice du traitement sur la survenue d’AVC ou d’événements cardiovasculaires mais avec une augmentation de la mortalité toute cause, liée au traitement.
Retour sur deux études incontournables dans le domaine
HYpertension in the Very Elderly Trial1
•
Publiée en 2008 dans le New England, HYVET est le premier essai à démontrer le bénéfice du traitement antihypertenseur après 80 ans.
• Méthodologie très rigoureuse :
étude randomisée, contrôlée, double aveugle, contre placebo, menée dans 195 centres répartis dans 13 pays différents.
• Randomisation de 3845 hypertendus de plus de 80 ans en deux groupes :
• Groupe traitement recevant un traitement par INDAPAMIDE 1.5 mg ± PERINDOPRIL (2 ou 4 mg) pour un objectif tensionnel d’une pression artérielle systolique inférieure à 150mmHg et une pression artérielle diastolique inférieure à 80 mmHg.
• Groupe placebo.
• Résultats :
• A deux ans, la cible tensionnelle était atteinte chez 19,9 % des patients du groupe placebo vs 48 % des patients du groupe traitement (p<0,001).
• Les autres résultats principaux sont rapportés dans le tableau ci-dessous.
- Réduction de 21 % de la mortalité (p=0.02) avec un nombre de sujets à traiter [NNT] de 40 pendant 2 ans pour éviter un décès.
- Réduction 30 % des AVC (p=0.06) avec un NNT/2 ans à 94.
- Réduction de 64 % de l’insuffisance cardiaque.
- Avec un bénéfice rapide du traitement dès 6 mois, sans effet indésirable notoire (absence de modification significative de la kaliémie, du taux d’acide urique ou de la créatininémie).
Notons cependant les critères d’exclusion de cet essai, représentés par l’existence de troubles cognitifs
importants, un AVC hémorragique dans les 6 mois, une insuffisance cardiaque (nécessitant un traitement spécifique pouvant influer le profil tensionnel) ou rénale évoluée (créatininémie > 150 μmol/L). Se posent donc les questions de la population gériatrique à laquelle appliquer ces thérapeutiques ainsi que la cible tensionnelle à atteindre.
A randomized Trial of Intensive versus Standard Lood-Pressure Control : résultats de l’étude SPRINT
Essai ouvert, randomisé et contrôlé, mené dans 102 sites aux Etats-Unis et Porto Rico.
• Evaluation de l’intérêt d’un traitement antihypertenseur intensif avec pour cible une pression artérielle systolique inférieure à 120 mmHg.
• Le critère d’évaluation principal, composite, était d’évaluer le bénéfice d’une telle cible thérapeutique sur le risque d’événement cardiovasculaire (incluant infarctus du myocarde, AVC, décompensation cardiaque aiguë, décès d’origine cardiovasculaire).
• Ont été inclus les sujets de plus de 50 ans ayant une PAS comprise entre 130 et 180 mmHg et un risque cardiovasculaire élevé. Les personnes diabétiques étaient exclues.
• Résultats :
• 2.8 antihypertenseurs en moyenne sont nécessaires pour atteindre la cible tensionnelle visée,
• Réduction significative de 25 % du critère composite (p < 0,001) avec un NNT à 61, de 38 % du risque d’insuffisance cardiaque (p = 0.002), 27 % du risque de décès toute cause (p = 0.003) avec un NNT à 90… (les principales données sont dans le tableau ci-dessous).
• Ces « bons » résultats sont à mettre en balance avec la survenue d’événement indésirables graves, significatifs pour l’hypotension (HR 1.67, p = 0.001), le risque de syncope (HR 1.33, p = 0.5), la survenue d’anomalies électrolytiques (HR 1.35, p = 0.02) ou d’insuffisance rénale aiguë iatrogène (HR 1.66, p < 0.001).
• Forte par la taille de son échantillon (9361 sujets randomisés) et son pourcentage de plus de 75 ans (28.2 %), cette étude a pour principale faiblesse d’avoir sélectionné les patients hypertendus les moins graves et les moins fragiles.
• Il est alors conclu par les auteurs que viser une pression artérielle systolique inférieure à 120 mmHg chez les patients non diabétiques à haut risque cardiovasculaire diminue le taux d’événements cardiovasculaires majeurs mortels ou non, ainsi que le risque de décès toutes causes mais, compte tenu d’événements indésirables trop importants, le risque dépasse le bénéfice dans la population gériatrique.
Bénéfices et risques du traitement anti-HTA
La méta-analyse menée par D.A. Butt & PJ. Harvey publiée en 2015
dans le Journal of Internal Medicine7 apporte de nombreux éléments intéressants :
• Concernant le risque d’événements cardiovasculaires, une réduction significative de la mortalité, du risque d’événements cardiovasculaires et du risque de survenue d’AVC ont été mis en évidence dans la plupart des études analysées.
• Pour le risque de survenue de troubles cognitifs, la plupart des études contrôlées contre placebo ont échoué à démontrer un effet protecteur, à l’exception de l’étude Syst-Euro8. Cet essai clinique randomisé est le seul à avoir démontré une réduction significative du risque relatif de survenue de troubles neurocognitifs majeurs de 50 %, sous traitement par nitrendipine vs placebo. Une méta-analyse de 20109 retrouvait également une diminution d’incidence, cette fois-ci de 9 %, avec un effet plus manifeste pour les traitements par ARA II.
• Concernant le risque de chute, le traitement anti-hypertenseur l’augmenterait à court terme alors que sur le long terme les études fournissent des résultats contradictoires.
• Sur le risque de survenue de diabète « de novo », la plupart des études et/ou méta-analyses s’accordent sur le fait que les traitements par IEC ou ARA II en réduisent l’incidence. En revanche les traitements par béta-bloquant et diurétiques thiazidiques seraient associés à la survenue d’un diabète (ce qui s’explique respectivement par l’inhibition de la sécrétion pancréatique d’insuline et la diminution de sensibilité périphérique à l’insuline).
• Enfin sur le risque de cancer, les résultats des différentes études analysées sont trop contrastés pour statuer.
Quels traitements choisir ?
Le choix du traitement anti-hypertenseur devra prendre en compte les potentielles comorbidités dont souffre le patient. Les données exposées ici sont le fruit du travail de la HAS publié en septembre 2016 et intitulé « Prise en charge de l’hypertension artérielle » :
• Cible tensionnelle retenue : PAS < 150 mmHg sans hypotension orthostatique (PAS diurne en automesure tensionnelle ou par Mesure Ambulatoire de la Pression Artérielle sur 24h).
• Il est retenu de ne pas dépasser 3 molécules anti-hypertensives après 80 ans, la lutte contre la iatrogénie étant impérative.
• En cas d’insuffisance rénale, il est nécessaire d’adapter la posologie des médicaments au débit de filtration glomérulaire en utilisant la formule de Cockcroft.
• Il est recommandé de débuter un traitement pharmacologique diurétique thiazidique, inhibiteur calcique, IEC ou ARA II par une monothérapie au mieux en monoprise.
• Les ß- peuvent être utilisés comme antihypertenseurs mais semblent moins protecteurs que les autres classes vis-àvis des AVC.
• Le choix de l’anti HTA doit être adapté en fonction des comorbidités :
• Diabète à partir du stade de microalbuminurie ou insuffisance rénale = IEC ou ARA II.
• Insuffisance rénale ou protéinurie = IEC ou ARA II.
• Insuffisance cardiaque = IEC (sinon ARA II), béta bloquant, diurétique.
• Patient coronarien = IEC, béta bloquant.
• Post AVC = Diurétique thiazidique, IEC (sinon ARA II) ou inhibiteur calcique.
Guillaume DUCHER, Julie DUBUC,
Christ AMPION, Ronan ALLAIN
Bibliographie
1. Beckett NS, Peters R, Fletcher AE, et al. Treatment of Hypertension in Patients 80 Years of Age or Older. N Engl J Med 2008;358(18):1887–98.
2. Lloyd-Jones DM, Evans JC, Levy D. Hypertension in Adults Across the Age Spectrum: Current Outcomes and Control in the Community. JAMA
2005;294(4):466.
3. Franklin S. Systolic blood pressureIt’s time to take control. Am J Hypertens 2004;17(12):S49–54.
4. Staessen JA, Gasowski J, Wang JG, et al. Risks of untreated and treated isolated systolic hypertension in the elderly: meta-analysis of outcome trials.
Lancet Lond Engl 2000;355(9207):865–72.
5. Forette F, Seux M-L, Staessen JA, et al. The prevention of dementia with antihypertensive treatment: new evidence from the Systolic Hypertension in
Europe (Syst-Eur) study. Arch Intern Med 2002;162(18):2046–52.
6. Gueyffier F, Bulpitt C, Boissel JP, et al. Antihypertensive drugs in very old people: a subgroup meta-analysis of randomised controlled trials. INDANA
Group. Lancet Lond Engl 1999;353(9155):793–
7. Butt DA, Harvey PJ. Benefits and risks of antihypertensive medications in the elderly. J Intern Med 2015;278(6):599–626.
8. Forette F, Seux ML, Staessen JA, et al. Prevention of dementia in randomised double-blind placebo-controlled Systolic Hypertension in Europe
(Syst-Eur) trial. Lancet Lond Engl 1998;352(9137):1347–51.
9. Levi Marpillat N, Macquin-Mavier I, Tropeano A-I, Bachoud-Levi A-C, Maison P. Antihypertensive classes, cognitive decline and incidence of dementia:
a network meta-analysis. J Hypertens 2013;31(6):1073–82.
Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°17

