
J. G. Hall regroupe sous le terme général d'arthrogrypose plus de 400 pathologies spécifiques.
A. STAHL*, P.TOURAME*, C. TOURAME
Au cours des cent dernières années, l'arthrogrypose a englobé progressivement un nombre croissant de syndromes qui avaient pour point commun la présence de contractures congénitales dans plusieurs territoires corporels. L'atteinte porte le plus souvent sur les membres mais peut s'étendre à la colonne vertébrale, à la nuque et à la face. C'est un terme descriptif dépourvu de signification étiologique. Ce n'est donc pas un diagnostic spécifique mais plutôt une constatation séméiologique, qui s'appliquerait à 300 affections différentes, selon une estimation faite par M. Bamshad et al. en 2009. Cinq ans plus tard, J.G. Hall regroupe sous le terme général d'arthrogrypose plus de 400 pathologies spécifiques. Leur manifestation peut être sporadique, elle peut relever d'une mutation génétique, de facteurs tératogènes, d'anomalies chromosomiques, d'une lésion dans le système nerveux central ou périphérique, d'altérations des muscles ou des plaques motrices. A l'heure actuelle, plus de 150 mutations géniques ont été identifiées dans les syndromes regroupés sous le terme général d'arthrogrypose (J.G. Hall, 2014). Toutes les formes sont associées à une diminution des mouvements du fœtus in utero. On observe une relation directe entre le début précoce de l'akinésie fœtale et la gravité des contractures.
La première description de l'arthrogrypose est attribuée à Adolph W. Otto qui a publié en 1841 un traité de tératologie en Latin, où il décrit un enfant porteur à la naissance d'extrémités recourbées, de coudes bloqués en flexion, de mains botes, de pieds déformés et d'une scoliose. Un dessin de l'enfant montre nettement ces anomalies (figure 1).
L'antériorité devrait revenir à Ambroise Paré qui a décrit en 1573 un enfant qui pourrait être atteint d'amyoplasie. Parmi les précurseurs, il faut citer P. Redard (1893) pour sa contribution à l'étude des contractures congénitale
Une représentation de pieds bots se trouve dans un exemplaire du Canon de la Médecine d'Avicenne (980-1037).
On attribue à H. Rosencranz (1905) l'introduction du terme d'”arthrogrypose”, complété par celui de “Arthrogryposis multiplex congenita” pro posé par W.G. Stern en 1923 et qui est considéré comme un synonyme. En 1932, W. Sheldon décrit l'amyoplasie congénitale, terme qui souligne que les raideurs sont dues à une hypoplasie ou une aplasie musculaire. C'est la forme la plus fréquente des arthrogryposes, dont elle représente entre un quart et un tiers des cas. Il s'agit d'une forme sporadique, où les altérations des articulations sont le plus souvent symétriques, ce qui s'observe dans 84% des cas selon M. Bamshad et al. (2009). Le pied bot s'observe chez 90% des enfants atteints d'amyoplasie.
Une classification des arthrogryposes en trois groupes est établie par J.G. Hall et al. En 1982. Le premier groupe comprend des formes qui présentent une atteinte isolée des membres. Elles représentent environ la moitié des observations. Les formes du deuxième groupe comportent, en plus des raideurs articulaires, des anomalies crânio-faciales et viscérales. Le troisième groupe présente, en plus des raideurs, une atteinte sévère du système nerveux central.
On regroupe sous le nom d'arthrogryposes distales des formes où l'atteinte porte surtout sur les extrémités des membres, les mains et les pieds. Une classification des arthrogryposes distales a été proposée par M. Bamshad et al. En 1996. Elle comprend neuf formes cliniques, portées à dix peu après. Parmi les syndromes décrits, il faut faire une place à part à ceux qui représentent les formes les plus fréquentes après l'amyoplasie. Caractérisées par la localisation préférentielle des contractures articulaires aux mains et aux pieds (mains botes et pieds bots), ces arthrogryposes distales comprennent plusieurs types : DA1(Distal arthrogryposis 1) présente des pieds bots et des malpositions au niveau des mains (camptodacty lie, chevauchement des doigts, effacement des plis de flexion). DA2A désigne le syndrome de Freeman - Sheldon (ou syndrome du “bébé siffleur“), DA2B correspond au syndrome de Sheldon - Hall.
Malgré le nombre considérable de syndromes classés sous le terme d'arthrogrypose, il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit de maladies rares. L'incidence de l'arthrogrypose varie, selon les estimations, de 1 cas pour 3300 naissances à 1 cas pour 12000 naissances (E. Kimber, 2009). Selon N. Darin et al. (2002), l'incidence serait de 1 pour 5100 naissances en Suède. Une enquête faite à l'échelle de l'Europe en utilisant les registres EUROCAT des malformations congénitales, portant sur 8,9 millions de naissances, conclut à une prévalence de 1 : 12 000 (J.M. Hoff et al. 2011). Certaines dysplasies osseuses de l'enfant ont été classées dans les arthrogryposes, comme par exemple la dysplasie diastrophique et la dysplasie méta tropique, dont l'aspect est à ce point typique qu'elles peuvent être recherchées et identifiées dans des œuvres d'art.
Les pieds bots ont retenu l'attention des médecins et des artistes dans l'Antiquité.
J. M. Charcot et P. Richer (1889) et P. Richer (1902), ainsi que M.A. Ruffer (1911), les ont identifiés et représentés à partir de figurations sur des murs de tombeaux égyptiens, à BeniHassan, datant des Xlème et XIIème dynasties, vers 2134 - 1785 av. J.C. [11, 12, 13].
V. Dasen mentionne que le nanisme diastrophique paraît figuré sur des tombes de Tell el Amarna [14, 15, 16]. On y voit deux naines de très petite taille affectées d'une lordose. Chez l'une d'entre elles, les bras incurvés, raides, terminés par des mains crispées, les jambes arquées, les pieds bots, expriment les contractures des articulations (non représenté).
Le pied bot était bien connu des Grecs. Hippocrate essaya de le comprendre et de le soigner dès la naissance. Les seules représentations connues de pied bot bilatéral concernent Hephaïstos, dont l'aspect est décrit dans la littérature et les œuvres d'art. Dans l'Iliade, Homère le décrit comme kullopodiôn (aux pieds courbes), comme chôlos (boiteux) et comme amphiguêeis (les pieds tournés vers l'arrière) (P. Charlier, R. Garland) [17, 18]. Seules les représentations sur des vases peints nous sont parvenues. Elles ont été étudiées par M. Grmek et D. Gourevitch (1998) qui soulignent que sur les figures où Hephaïstos voyage monté, la représentation de son infirmité relève plus de l'imagination de l'artiste que d'une observation clinique [19]. Même sur l'œuvre du peintre de Caere (l'antique Cerveteri) le réalisme n'est qu'apparent. La jambe gauche est entièrement visible, la droite ne l'est que partiellement, mais assez pour montrer que le pied bot est bilatéral. La plante des pieds est tournée vers l'intérieur, en varus équin. Mais les pieds orientés vers l'arrière ne correspondent pas à la réalité clinique. La gestuelle des bras paraît surprenante pour un cavalier sur sa monture, même si l'on admet qu'il avait été enivré par Dionysos pour le ramener à l'Olympe. Ses poings sont serrés, ses doigts sont crispés, le pouce est figé en adduction. L'association de mains crispées à des pieds bots fait penser que le peintre a eu l'occasion de voir et de représenter un sujet affecté d'une arthrogrypose. Cette suggestion paraît confortée par deux remarques rapportées par M. Grmek et D. Gourevitch : Selon K. Aterman, Hephaïstos dériverait à l'origine d'un dieu égyptien nain, tels Bès ou Ptah . Or, pour F. Silverman, Ptah évoque un nanisme diastrophique , un diagnostic proposé pour Hephaïstos par M. Ramachandran et J.K Aronson. On peut objecter l'absence des signes majeurs que sont une très petite taille, des membres courts et des pouces en abduction, mais l'expressivité est variable et il existe des formes très modérées de la maladie.
Dans l'Antiquité romaine, les fresques d'Herculanum contiennent un document exceptionnel. Sur une barque, trois personnages sont représentés. Celui qui se tient debout montre des difformités caractéristiques. Atteint de nanisme, il présente une grosse tête, disproportionnée par rapport au corps. On observe une cyphoscoliose très importante qui explique l'extrême brièveté du thorax. On note la flexion qui paraît irréductible de la hanche. Selon J. Kunze et 1. Nippert (1986) , ces aspects permettent de proposer le diagnostic de dysplasie métatropique, décrite par P. Maroteaux en 1966.
La dysplasie (ou nanisme) métatropique présente chez l'adulte une inversion des proportions du tronc et des membres. Du fait d'une cyphose progressive, le tronc raccourcit alors que les extrémités paraissent relativement longues. L'aggravation de la cyphoscoliose entraîne la saillie antérieure du sternum, souvent responsable de troubles respiratoires (P. Maroteaux et M. Le Merrer) . Une flexion figée de la hanche est fréquente. L'affection est due à une mutation du gène TRPV 4 situé sur le chromosome 12. Ce gène code pour un canal calcique qui agit sur les chondrocytes et sur le développement du cartilage et de l'os (D. Krakow et al; J. Dai et al.) . M. Grmek (1968) , M. Grmek et D. Gourevitch (1998) et V. Dasen (1988) ont attiré l'attention sur une figurine grecque en ivoire du 1er siècle après J.C., qui présente une cyphoscoliose accentuée. Pour C. Wells (1964), la gibbosité de l'infirme serait due à un mal de Pott mais il lui a échappé que les proportions du corps sont celles d'un nain. En fait, la statuette représente un nain bossu accroupi, au thorax court avec des membres grêles. Le sternum est projeté en avant, entraînant des troubles respiratoires. Sa bouche entrouverte suggère qu'il a effectivement des difficultés à respirer. La tête est rentrée dans les épaules. La longueur du bras par rapport à l'avantbras exclut l'achondroplasie. Pour V. Dasen, le diagnostic de nanisme métatropique peut être envisagé.
Une représentation de pieds bots se trouve dans un exemplaire du Canon de la Médecine d'Avicenne (980- 1037). Le Canon a été traduit en latin par Gérard de Crémone entre 1150 et 1187, sous le titre de Canon Medicinae. De nombreuses copies ont été illustrées par des enluminures. Un manuscrit du troisième quart du XIIlème siècle montre un malade qui consulte le médecin pour ses pieds bots . Le pied droit est typiquement en varus équin. Le pied gauche est également déformé et montre une ébauche de pied bot talus, ainsi que des orteils curieusement écartés. Le malade montre des mains étonnamment rigides et figées dans leur orientation inverse. Une raideur des doigts associée à des pieds bots peut se voir dans l'arthrogrypose distale de type A1, où l'expressivité est variable au point que l'atteinte de la main peut se limiter à un effacement du pli situé entre les phalanges distales du cinquième doigt (M. Bamshad et al.).
Il faudra attendre le XVlème siècle pour retrouver une œuvre d'art dans laquelle un infirme est affligé de deux pieds bots. C'est sur un panneau du Maître d'Alkmaar1, daté de 1504, qui illustre les sept œuvres de miséricorde définies dans l'Evangile selon saint Matthieu, que l'on voit un malheureux infirme des deux pieds. Sa main gauche se crispe sur une sorte de petit trépied qui lui sert à se déplacer. Sa main droite, élevée dans la quête d'un morceau de pain, semble normale. Ses jambes et ses cuisses sont cachées par son vêtement, mais il est probable que la totalité de ses membres inférieurs est malade, y compris ses genoux et ses hanches. Sinon, il serait debout et pourrait marcher à l'aide de béquilles. Ces infirmités font évoquer une arthrogrypose et surtout la possibilité d'une amyoplasie. Dans ce cas, l'atteinte porte habituellement sur les membres supérieurs et inférieurs, mais elle peut affecter uniquement les membres inférieurs dans environ 15% des cas (J.G. Hall). L'attitude apparemment bloquée à angle droit des hanches de l'infirme peut être rapprochée de celle décrite par H.-S. Lee (2005) chez un nouveau-né atteint d'amyoplasie dont seuls les membres inférieurs étaient touchés. Ses hanches étaient fléchies et fixées à angle droit par rapport au tronc .
Un pamphlet illustré paru en Angleterre en 1568 est très suggestif d'une arthrogrypose (T. Anderson, 1997) . Son titre est évocateur : ”The form and shape of a Monstrous Child, borne at Maydstone in Kent“, Le document contient l'illustration, en vue antérieure et postérieure, d'un enfant nouveau-né, une description en prose des anomalies et un poème “A warnyng to England“. L'“avertissement à l'Angleterre” était justifié par le fait que la monstruo - sité de l'enfant était considérée comme une punition de Dieu envers la mère qui l'avait conçu en dehors du mariage.
Les malformations décrites dans le texte anglais mentionnent :
a) la bouche fendue du côté droit
b) au milieu du dos, une masse de chair qui présente un orifice en son centre
c) la jambe gauche, relevée jusqu'à la tête, la jambe droite recourbée jusqu'à toucher la fesse gauche
d) le bras gauche recourbé sur la poitrine, les mains déformées.
Les anomalies relevées par T. Anderson consistent en un bec-delièvre, un spina-bifida kystique, un genu recurvatum congenitum et un pied bot. Les mains sont déformées. Le dos montre un spina-bifida kystique, situé à droite, ce qui peut être dû à une scoliose. La jambe droite est atrophiée et se termine par un pied bot. Le décès de l'enfant dans les 24 heures suggère la possibilité de graves lésions internes, telle une cardiopathie.
L'ensemble des lésions est compatible avec le diagnostic d'arthrogrypose. Le diagnostic de syndrome de Larsen est également envisageable en raison de l'hyperlaxité de certaines articulations, mais on ne re trou - ve pas les anomalies faciales caractéristiques.
La médicalisation des descriptions progresse avec le cas relaté par Ambroise Paré, dans les Monstres et Prodiges, en 1573. Le chapitre XI décrit l'Exemple des Monstres qui se font, la mère s'estant tenue trop longuement assise, ayant eu les cuisses croisées, ou pour s'estre bandé ou serré trop le ventre durant qu'elle estoit grosse. Le texte indique que les enfants naissent courbez, bossus et contrefaits, aucuns ayans les mains et les pieds tortus, comme tu vois par ceste figure. La marge contient une précision : Ces enfants sont appelez pié-bots & main-botes. Le bon état général apparent de l'enfant oriente vers le diagnostic d'amyoplasie Il paraît justifié d'attribuer à Ambroise Paré la toute première description d'une arthrogrypose, bien avant A. Otto. Le Cabinet de curiosités du Château d'Ambras, à Innsbruck (Autriche), contient un étonnant portrait d'un homme handicapé, œuvre d'un peintre anonyme, qui date de la deuxième moitié du XVIème siècle. Pendant très longtemps, l'image recouverte par un papier rouge ne laissait voir que la tête du sujet. Il fallait soulever le papier pour voir son corps. Le tableau n'était pas montré aux visiteurs ordinaires. Il révèle d'une façon impressionnante le regard de l'époque sur les personnes handicapées : un mélange de curiosité, d'effroi et de distanciation.
Le peintre a représenté un homme nu, reposant à plat ventre sur une table. Le corps de l'homme montre un dos allongé. La tête se tient droite, à angle droit par rapport au corps. Le visage est vu de trois quarts, le regard est dirigé vers l'observateur. L'homme porte une moustache et une barbe bien taillée. Le cou est entouré d'une fraise, selon une mode venue d'Espagne. Le chapeau rouge laisse dégagés le front et l'oreille.
Dans la partie droite du tableau, on voit les jambes atrophiées et les pieds bots de l'infirme. Du fait de son handicap, l'homme a des jambes raccourcies, ce qui a pour effet apparent d'allonger le dos. Le talon du pied droit montre des tuméfactions, le pied semble n'avoir que quatre orteils. La main du bras gauche aminci, parallèle au corps, arrive au delà du niveau du pied. Les doigts paraissent légèrement recourbés et semblent anormalement longs. Le pouce est en adduction. Le tableau a été expertisé par le docteur Andreas Zieger, Directeur de la section de rééducation pour les traumatismes crâniens et cérébraux de la Clinique neurochirurgicale de l'hôpital d'Oldenburg. Il note que les doigts allongés paraissent hypotoniques et non fonctionnels. De même, les jambes entrecroisées paraissent atrophiées et incapables de bouger. Il note également que le visage, plutôt aimable, n'exprime aucun signe de souffrance. Le portrait présente une image dichotomique : le corps est celui d'un infirme gravement handicapé, condamné à l'inertie, alors que la tête exprime la volonté, le savoir et l'intelligence. Le diagnostic proposé par le praticien est celui d'Arthro - gryposis Multiplex Congenita (V. Schönwiese et C. Mürner, 2005). Le thème des mendiants, qu'ils soient ou non mutilés, occupe une place importante dans l'œuvre de Jacques Callot (1592-1635). Dans la série des Gueux, gravée en 1622, beaucoup sont infirmes. Le numéro 13 représente le Malingreux accroupi. Le malheureux soutient de ses deux mains sa jambe droite qui paraît amincie et présente un pied bot varus équin. On note que la jambe malade ne repose pas sur la paume de ses mains, car elles sont crispées, avec un pouce en adduction. L'axe du pied gauche paraît également altéré mais la perspective choisie par le graveur ne facilite pas son analyse. Pour J.M. Lévy (2007), les jambes fléchies sont terminées par deux pieds bots (34).
Les anomalies représentées orientent vers le diagnostic d'arthrogrypose. Si l'infirme présente deux pieds bots, le diagnostic d'amyoplasie peut être envisagé car, dans cette affection, le pied bot est presque toujours bilatéral [2, 35]. Dans le cas d'une atteinte limitée au pied droit, le diagnostic devrait plutôt s'orienter vers une arthrogrypose distale, probablement du type DAI (Distal Arthrogryposis 1) dont les signes cliniques ont été décrits par M. Bamshad et al.C'est le type le moins grave des arthrogryposes distales. Il présente la particularité d'une atteinte limitée aux mains et aux pieds. Une grande variabilité est observée dans le degré de contracture. La main est crispée et montre un pouce en adduction ou replié dans la paume. La déformation peut se limiter à une simple raideur en flexion des doigts. L'affection est due à une mutation à transmission dominante, située sur le chromosome 9. Elle affecte la tropomyosine 2 des fibres musculaires . L'expressivité est variable, avec parfois une atteinte asymétrique des membres.
Le nanisme diastrophique, décrit par M. Lamy et P. Maroteaux sous le nom de dysplasie diastrophique en 1960 (40), est une maladie rare (prévalence : environ 1/100.000). Elle est caractérisée par une petite taille (120 cm +/- 10% chez l'adulte) et des malformations articulaires qui conduisent à des contractures articulaires multiples. Les enfants naissent avec des membres courts et des pieds bots. Le poignet est déformé, le pouce est en abduction, évoquant le “signe de l'auto-stoppeur“. Des kystes se forment au niveau du bord supérieur du pavillon de l'oreille, entraînant sa déformation. La croissance est ralentie et une scoliose se développe. La maladie se transmet selon un mode autosomique récessif. Elle est due à des mutations du gène DTDST situé sur le chromosome 5 en 5q 32-33, qui code un transporteur de sulfate exprimé dans le cartilage. Une curieuse représentation artistique, qui peut évoquer cette forme de nanisme, se trouve dans l'église de Juch, en Bretagne, où elle est désignée comme “le diable du Juch” (figure 12, a). P. Maroteaux l'a identifiée et l'a signalée à J. Kunze et I. Nippert qui l'ont fait connaître en 1986 . On note la déformation des oreilles qui évoque les kystes auriculaires de cette dysplasie (figure 12, b). Les bras, les avant-bras et les mains sont courts. Le pouce relevé, qui rappelle le signe de l'auto - stoppeur, est évident (figure12, c). Le pied bot est remplacé et évoqué par un sabot de cheval, symbole et équivalent du pied bot équin.
Le syndrome de Freeman - Sheldon, ou arthrogrypose distale de type 2A (DA2A) est la forme la plus sévère des arthrogryposes distales. Sa prévalence est de l'ordre de 1/1.000.000. Elle a la particularité de présenter une microstomie, avec des lèvres pincées, qui l'ont fait appeler “face de siffleur”. Les arcades sourcilières sont proéminentes, on observe un ptosis de la paupière supérieure. Les fentes palpébrales sont étroites, souvent obliques en bas et en dehors, le strabisme est fréquent, les oreilles sont basses, le nez est court, le philtrum est long. Les sujets atteints présentent des contractures articulaires et des pieds bots. L'affection est due à une mutation dans le gène MYH3, situé sur le bras court du chromosome 17, qui code pour la chaîne lourde de la myosine (R. Toydemir; R. Toydemir et al.) . Cette mutation est responsable de la contracture des muscles de la face, en particulier du muscle orbiculaire de la bouche, ce qui explique la microstomie caractéristique. J. Kunze et 1. Nippert (1986) [24] ont attiré l'attention sur une face sculptée de l'art précolombien qui reproduit de façon étonnante la “face de siffleur“ (figure 24). Ce type de vase a été trouvé au Pérou, où la culture Mochica (ou Moche) a laissé des céramiques remarquables réalisées entre le premier et le huitième siècle après J.C.
Conclusion
Malgré la rareté de l'arthrogrypose, il est possible d'identifier sur des dessins, des gravures, des tableaux, des sculptures, des statuettes et des poteries, qui datent pour certains d'entre eux de plus de trois mille ans, des signes évocateurs de plusieurs de ses aspects. L'examen des représentations suggestives d'une arthrogrypose fait apparaître trois degrés de vraisemblance : parfois, le diagnostic évoqué est seulement possible, souvent il peut être considéré comme probable, dans quelques cas il est presque certain.
Parmi les documents pour lesquels le diagnostic proposé est très vraisemblable, on peut mentionner le malade affecté de pieds bots et de mains raides figuré dans un manuscrit illustré du Canon de la Médecine d'Avicenne, qui date du XIIlème siècle, l'enfant "monstrueux" décrit en Angleterre en 1568, l'enfant décrit et représenté par A. Paré en 1573, l'homme handicapé du château d'Ambras et le "malingreux accroupi" dessiné et gravé par J. Callot en 1622. L'exactitude des déformations est telle que le portrait de cet infirme mériterait de figurer dans l'illustration des articles et des mises au point consacrés à l'arthrogrypose. Sa précision, la perfection technique de la gravure, en font un exemple parfait pour illustrer un texte médical.
Par contre, la statuette grecque en ivoire du 1er siècle après J.C. conservée au British Museum est l'objet d'interprétations divergentes. Au diagnostic de nanisme métatropique s'oppose l'opinion de C. Wells (1964), qui identifie un mal de Pott, un diagnostic retenu par R. Garland (2010). La constatation du nanisme du sujet ne suffit pas pour éliminer le mal de Pott, car un nain peut être atteint de tuberculose vertébrale. C'est le thorax en carène associé à la cyphoscoliose qui conduit à préférer le diagnostic de nanisme métatropique. Dans la mesure où le pied bot bilatéral s'observe dans l'arthrogrypose, sa présence dans l'iconographie de l'Égypte et de la Grèce antiques indique qu'il s'agit d'une pathologie très ancienne. Il n'est donc pas surprenant que, malgré sa rareté, on en trouve l'illustration dans les représentations artistiques des civilisations qui se sont exprimées dans les arts figuratifs.
Ces représentations sont vouées à se raréfier, car les progrès du diagnostic prénatal vont tendre à éliminer les naissances d'enfants porteurs d'une anomalie majeure que les parents refuseront d'assumer.
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Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°111

