
Efficacité du Sacubitril/Valsartan (Entresto®) chez les patients insuffisants cardiaques à FEVG préservée
Auteur
Charles FAUVEL
Interne au CHU de Rouen
L’étude PARAGON-HF, qui étudie l’intérêt de l’association Sacubitril/Valsartan versus Valsartan seul chez les patients insuffisants cardiaques à FEVG préservée (> 45 %), ne réussit pas à montrer une réduction significative de son critère de jugement principal composite (hospitalisation pour IC et décès cardiovasculaire).
Référence de l’étude : Solomon SD et al. Angiotensin-Neprilysin Inhibition in Heart Failure with Preserved Ejection Fraction. - N Engl J Med. 2019.
3 Messages clés de l’étude
- Absence d’efficacité significative du Sacubitril/Valsartan sur le critère de jugement principal composite (hospitalisation pour IC et décès cardiovasculaire) (p=0,059).
- Le Sacubitril/Valsartan semble suggérer une efficacité intéressante dans les analyses en sous-groupes pour les patients avec une FEVG entre 45 et 57 %, ainsi que chez les femmes de l’étude. Ces résultats devront faire l’objet d’évaluations complémentaires.
- Les données en termes de sécurité et efficacité sont similaires à celles observées dans PARADIGM-HF.
Contexte
L’insuffisance cardiaque (IC) à fraction d’éjection (FEVG) préservée est fréquente et associée à une morbidité et mortalité cardiovasculaire importante1. Alors que de nombreuses molécules ont prouvé leur efficacité dans l’IC à FEVG altérée, aucune thérapeutique n’a réussi à réduire la morbi-mortalité des patients atteints d’IC à FEVG préservée.
En 2014, l’étude PARADIGM-HF2, avait montré une réduction significative du nombre d’hospitalisation ou mortalité cardiovasculaire sous Sacubitril/Valsartan versus Enalapril.
Objectif de l’étude
Évaluer l’efficacité et la tolérance du Sacubitril/Valsartan chez les patients avec IC à FEVG préservée (> 45 % dans l’étude).
Population de l’étude
PARAGON-HF est une étude multicentrique, prospective, randomisée, double aveugle, comparant l’association Sacubitril/Valsartan versus Valsartan seul. Cette étude a été validée par un comité éthique indépendant.
Les critères d’inclusions étaient les suivants :
- Age > 50 ans à l’inclusion.
- Présence de symptômes et signes d’IC.
- Classe fonctionnelle NYHA ≥ II.
- FEVG ≥ 45 % évaluée dans les 6 derniers mois.
- Élévation des peptides natriurétiques cardiaques (NT pro BNP et/ou BNP).
- HVG et/ou dilatation de l’OG en échocardiographie.
- Patients sous diurétiques.
Les patients en IC aiguë ou avec un doute diagnostique (autre étiologie pouvant expliquer les symptômes) étaient exclus.
Design de l’étude
Comme pour l’étude PARADIGM, il y avait d’abord une phase de run-in de 2 semaines cherchant à exclure les patients qui présentaient une mauvaise tolérance à l’une ou l’autre des 2 molécules testées. Ainsi, 925 patients ont été exclus avant randomisation pour cause de non tolérance.
Ceux n’ayant pas présenté d’effets secondaires étaient ensuite randomisés en 1:1, en double aveugle : Sacubitril/Valsartan (dose cible de 97/103 mg 2 fois par jour) ou Valsartan (dose cible 160 mg 2 fois par jour). Les patients étaient ensuite revus toutes les 4 à 16 semaines (Figure 1).
Le critère de jugement principal était un critère composite : nombre total d’hospitalisation pour IC (pas simplement la première mais toutes les hospitalisations) et décès de cause cardiovasculaire après un suivi minimum était de 26 mois.
Les critères de jugement secondaires étaient les suivants : évolution à 8 mois du KCCQ score, du stade NYHA, apparition d’une insuffisance rénale de novo, décès toute cause.
Les auteurs se sont aussi intéressé aux principaux effets secondaires connus avec l’association Sacubitril/ Valsartan : hypotension, majoration de la créatininémie, hyperkaliémie.
Pour obtenir une réduction du critère de jugement principal de 22 % dans le groupe Sacubitril/Valsartan (30 % de réduction du risque d’hospitalisation pour IC et 10 % de réduction du risque de décès d’origine CV) avec une puissance de 95 %, les auteurs ont calculé un nombre d’évènements à 1847, obtenus avec l’inclusion d’au moins 4600 patients sur une période de 29 mois avec une période de suivi minimum de 26 mois.
Résultats
Résultats sur la population
De juillet 2014 à décembre 2016, 10 359 patients ont été sélectionnés dans 848 centres de 43 pays différents. Au total, 4822 patients ont été randomisés pour recevoir soit Sacubitril/Valsartan ou Valsartan seul. 26 patients ont été exclus puisque randomisés sur un site ne respectant par les critères de bonne pratiques cliniques : un total de 4796 patients ont été inclus dans l’analyse finale.
Figure 1 : Design de l’étude PARAGON-HF avec une phase de run-in suivi d’une randomisation comparant Sacubitril/Valsartan et Valsartan seul.
Les caractéristiques des 2 groupes ne différaient pas, à l’exception d’une légère différence entre le taux de cardiopathie ischémique (plus faible dans le groupe valsartan) et sur l’utilisation des traitements antialdostérone (plus important dans le groupe valsartan).
La médiane de suivi était de 35 mois dans les 2 groupes.
Absence d’efficacité significative du Sacubitril/ Valsartan sur le critère de jugement principal composite (hospitalisation pour IC et décès cardiovasculaire) avec 894 évènements dans le groupe Sacubitril/Valsartan et 1009 dans le groupe Valsartan : soit une réduction non significative de 13 % des évènements (RR 0.87, 95 % CI 0.75-1.01, p=0.0585) (Figure 2).
Résultats sur le critère de jugement principal des analyses en sous-groupes
On commence à connaître le principe : lorsqu’une étude est négative sur sa population étudiée totale, les auteurs regardent toujours ensuite si le résultat est significatif dans des sous-groupes d’intérêt clinique de l’étude.
Dans l’analyse en sous-groupes de cette étude, 2 résultats ressortent significatifs (Figure 3) :
- Efficacité significative du Sacubitril/Valsartan comparé au Valsartan pour les patients avec FEVG entre 45 et 57 % (RR 0,78, Intervalle de confiance à 95 % = 0,64-0,95).
- Efficacité significative du Sacubitril/Valsartan comparé au Valsartan pour les femmes de l’étude (RR 0,73, Intervalle de confiance à 95 % = 0,59-0,90).
Figure 2 : Absence de différence entre Sacubitril/Valsartan et Valsartan seul sur le critère principal composite du nombre total d’hospitalisation pour IC et décès de cause cardiovasculaire.
Figure 3 : Analyse en sous-groupes en fonction de la FEVG et du sexe entre Sacubitril/Valsartan et Valsartan seul sur le critère principal composite du nombre total d’hospitalisation pour IC et décès de cause cardiovasculaire.
Résultats sur les critères de jugement secondaires
Le taux d’hospitalisations présentait une réduction non significative de 15 % (HR 0,85 ; Intervalle de confiance à 95 % = 0,72-1,00) et le taux de décès CV de 5 % seulement. La mortalité totale n’était pas différente entre les 2 groupes avec des taux de décès de 14,2 et 14,6 %.
Il y avait amélioration fonctionnelle significative pour ce qui est de l’amélioration de la classe NYHA (OR 1,45 ; Intervalle de confiance à 95 % = 1,13-1,86) et du score KCCQ.
Résultats sur la tolérance
Il était noté des effets secondaires chez 15.4 % des patients sous Sacubitril/Valsartan et 16.2 % des patients sous Valsartan :
- Le Sacubitril/Valsartan présentait un risque majoré d’hypotension artérielle (15,8 % dans le groupe Sacubitril/Valsartan versus 10,8 % dans le groupe Valsartan ; p < 0,0001) et d’angio-oedème (0,6 % dans le groupe Sacubitril/Valsartan versus 0,2 % dans le groupe Valsartan ; p=0,02).
- Par contre, le risque d’insuffisance rénale modérée à sévère était moins important sous Sacubitril/ Valsartan (10,8 % dans le groupe Sacubitril/Valsartan versus 13,7 % dans le groupe Valsartan ; HR 0,50, Intervalle de confiance à 95 % = 0,33-0,77 ; p=0,002).
Discussion
L’association Sacubitril/Valsartan ne réduit pas le nombre d’hospitalisation pour IC et le risque de décès cardiovasculaire chez les patients atteints d’une IC à FEVG préservée. Néanmoins, on note une amélioration significative de la classe fonctionnelle NYHA et la moindre apparition d’insuffisance rénale à 8 mois de suivi dans le groupe Sacubitril/Valsartan.
L’IC à FEVG préservée inclut des phénotypes différents et on peut imaginer que ce type de molécule ne présente pas d’intérêt dans certains phénotypes (amylose cardiaque, fibrose myocardique diffuse…). A l’inverse, il est probable que beaucoup de patients à FEVG préservée ont une physiopathologie plus proche de celle de l’IC à FEVG réduite et pourraient bénéficier de cette molécule.
Les résultats qui ont le plus fait débat au cours des sessions du congrès, dédiées à cette étude PARAGON-HF, étaient les données en rapport avec les analyses en sous-groupes. En effet, les résultats sont significatifs sur le critère principal pour les patients avec une FEVG entre 45 et 57 % et chez les femmes de l’étude. Mais attention, il est important de se rappeler que l’on ne peut pas conclure sur les résultats d’une analyse en sous-groupe réalisée a posteriori, a fortiori lorsque le résultat principal de l’étude est négatif.
Et cela, même si la tentation est grande de suggérer une efficacité du Sacubitril/Valsartan chez les patients avec une FEVG < 57 %, et donc une potentielle autorisation de mise sur le marché comme certains pourraient le proposer. Restons vigilants sur ce type de résultats en sous-groupes analysés a posteriori avec des seuils choisis a posteriori pour aller « chercher » la significativité du résultat (ici le seuil de 57 %) .
Concernant le résultat significatif dans le groupe des femmes de cette étude, différentes hypothèses peuvent être évoquées, et notamment celle de l’amylose cardiaque. En effet, comme l’a rappelé le Pr Thibaud Damy pendant le congrès, les données de la littérature suggèrent que 13 % des IC à FEVG préservée seraient des amyloses cardiaques (essentiellement TTR), or cette pathologie touche plus volontiers les hommes que les femmes. De plus, plusieurs données préliminaires de recherche fondamentale, à prendre avec des pincettes bien sûr, suggèrent que le Sacubitril pourrait majorer la précipitation des dépôts de TTR et donc ne pas être efficace sur l’amylose TTR…
Ainsi, d’autre études seront donc nécessaires pour affirmer l’intérêt d’utiliser l’association Sacubitril/ Valsartan chez les patients avec FEVG entre 45 et 57 % que l’on peut apparenter (en accord avec les recommandations ESC 2016) aux patients IC à FEVG modérément altérée (40-50 %).
Les auteurs soulignent enfin que la comparaison Sacubitril/Valsartan versus Valsartan a pu contribuer à une différence plus faible que celle attendue entre les deux groupes. En effet, l’étude CHAMR-Preseved avait déjà suggéré l’intérêt du Valsartan dans l’IC à FEVG préservée.
Conclusion
PARAGON-HF n’a pas mis en évidence l’intérêt de l’association Sacubitril/Valsartan versus Valsartan seul dans l’ICn à FEVG préservée sur le nombre d’hospitalisation et la mortalité cardiovasculaire.
Néanmoins, il existe une tendance d’efficacité concernant les patients avec IC à FEVG modérément altérée (entre 45 et 57 %) dans l’étude.
Enfin, l’étude de sécurité est rassurante chez l’ensemble des patients avec une FEVG > 45 % concernant l’utilisation de Sacubitil/Valsartan, déjà suggéré dans PARADIGM-HF.
Références bibliographiques
- Redfield MM. Heart failure with preserved ejection fraction. N Engl J Med 2017; 376:897.
- McMurray JJV. Angiotensin–Neprilysin Inhibition versus Enalapril in Heart Failure. N Engl J Med 2014.
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°9

