
A l’heure où le gouvernement réfléchit à ouvrir l’apprentissage aux chômeurs-adultes et où ce procédé de formation a le vent en poupe et retrouve ses lettres de noblesse, qu’en est-il de son adaptation et de son utilisation dans la formation en kinésithérapie ? Suite aux lois de 2006 sur l’égalité des chances, le Conseil Régional PACA met en place le Centre Régional de Formation en Alternance aux métiers de l’Hospitalisation (CERFAH) et propose une formation en apprentissage aux filières infirmières et aides-soignantes. Dès 2008, l’IFMK de Marseille a signé une convention de partenariat avec le CERFAH, ouvrant 14 places d’apprentis en kinésithérapie pour la rentrée de septembre 2008. Comment le procédé a-t-il pris forme ? Où en sommes-nous ? Qu’en pensent les apprentis ?
L’apprentissage en kinésithérapie
Comme beaucoup d’autres formations de l’enseignement secondaire et supérieur, notre filière est une formation en alternance découpée en une partie de formation théorique et pratique au sein des instituts et une partie de formation clinique sur terrains de stages d’hospitalisation publique ou privée voire en cabinets libéraux. Elle se prête donc clairement aux critères de l’apprentissage. Mais contrairement aux Bac pro et CAP, l’enseignement théorique et pratique n’est pas dispensé dans un CFA (centre de formation d’apprentis) mais au sein de l’IFMK.
Le dispositif est une relation quadripartite entre le CERFAH, l’IFMK et l’employeur dont le centre est l’étudiant-apprenti.
Les différents acteurs
Le CERFAH
Le CERFAH est l’organisme garant du dispositif. Il finance la scolarité des étudiants-apprentis via le fonds financier régional de l’apprentissage et de la formation professionnelle récoltant la taxe d’apprentissage des entreprises et artisans. Il réalise le suivi des apprentis chez l’employeur et à l’IFMK.
Le CERFAH, via l’IFMK, propose aux étudiants de 2ème et 3ème année de moins de 26 ans, le dispositif suivant :
Devenir salarié pendant leurs études, d’un Centre Hospitalier, d’un établissement de rééducation fonctionnelle ou de soins de suite et de réadaptation de la Région PACA, ainsi qu’être exempté des frais de scolarité pour ces 2 années.
Ce dispositif répond aux impératifs sociétaux actuels, puisque selon l’Observatoire national de la vie étudiante, un étudiant sur 2 (46 %) travaille par nécessité pendant ses études, mais il apporte à l’étudiantapprenti des droits et des obligations.
- Les droits : l’étudiant perçoit un salaire moyen, allant de 50 % à 78 % du SMIC, selon son âge et son année d’études, ainsi que les avantages sociaux de chaque salarié.
- Les obligations : en tant que salarié, l’apprenti doit travailler chez son employeur, 315 heures pendant sa deuxième année et 455 heures pendant sa troisième année. Il s’engage également à un dédit formation auprès de son employeur, au moins égal à la durée de l’apprentissage.
En tant qu’étudiant, il doit être obligatoirement présent à l’ensemble des cours théoriques et pratiques dispensés à l’Institut et les stages cliniques inhérents à la formation, soit 1305 heures en deuxième année et 1020 heures en troisième année.
L’ensemble correspond à une présence de 1620 heures en K2 et 1475 heures, plus la rédaction du mémoire en K3, sachant que la durée légale annuelle du travail est de 1607 heures !
L’IFMK Marseille
Rapidement, ce procédé a rencontré un vif succès parmi nos étudiants puisque nous sommes passés de 10 places d’entrée en apprentissage à la rentrée 2008 à 20 pour la rentrée 2015, sachant que le nombre de dossiers de demandes est proche du double. Le nombre de places est fixé par le CERFAH. Devant cette évolution croissante, la direction de l’IFMK a nommé un cadre-formateur, référent des apprentis puisqu’ils sont au total environ une trentaine entre les 2ème et les 3ème années. Le rôle du référent est à la fois un rôle de contrôle de l’obligation de présentéisme, de lien pédagogique avec le maître d’apprentissage (l’employeur) et le CERFAH, mais surtout d’accompagnement des étudiants-apprentis dans leur double statut.
Hormis l’évolution du nombre d’apprentis, force est de constater les effets positifs de l’apprentissage en termes d’acquisition de compétences :
- Sur 76 apprentis répartis en 5 promotions, 74 ont eu leur diplôme en juin, soit 97 %. Les 2 manquants, l’ont eu en septembre dont l’une du fait d’une grossesse.
- Lors de la soutenance des mémoires de fin d’études, 2 à 3 apprentis sont parmi les meilleurs mémoires avec des notes allant de 50 à 57/60.
- De même, pour la moyenne des modules, l’ensemble des apprentis a une moyenne comprise entre 36,35 et 46,75/60.
- Lors des Mises en Situation Clinique, le même constat peut être fait. Les notes des apprentis sont comprises entre 14 et 18/20, et sur les années 2012 et 2013, seuls les apprentis ont eu les notes de 17,50 et 18/20.
En termes d’organisme formateur, le constat est clair, tant sur le plan des savoirs théoriques que des savoir-faire et du savoir-être : « Les résultats des apprentis renforcent l’évidence de l’intérêt de la présence en cours. Loin de nuire aux acquis, l’apprentissage les facilite ! L’apprentissage développe la maturité et la posture de soignants ».
L’Employeur
Ce sont des établissements d’hospitalisation publics ou privés de la région PACA. Actuellement, ces établissements-partenaires sont tous des terrains de stage déjà en lien avec l’IFMK, dont les cadres de santé sont souvent impliqués dans la formation théorique.
Les raisons principales motivant les établissements à participer au dispositif sont de 2 ordres :
- Des raisons économiques à court et long termes, afin d’éviter d’avoir recours systématiquement à l’intérim pour les périodes de congés et de pouvoir faire face à la pénurie de kinésithérapeutes salariés.
- Des raisons institutionnelles, permettant la formation précoce de professionnels ayant « un esprit maison », d’adaptation facile, donnant au service un dynamisme et une implication dans une politique d’amélioration continue.
L’apprenti est sélectionné lors d’une démarche de recrutement en 4 temps :
- L’établissement propose une offre d’embauche auprès du CERFAH et de l’IFMK ; t L’IFMK centralise les offres et les propose aux étudiants ;
- L’étudiant propose sa candidature au CERFAH et surtout à l’établissement (CV, lettre de motivation, entretien…) ;
- L’établissement élabore un contrat d’apprentissage, validé par le CERFAH. C’est un contrat de travail spécifique avec une période d’essai de 2 mois et la clause de dédit formation.
Dans l’entreprise, l’étudiant-apprenti est encadré par un maître d’apprentissage voire par une équipe tutoriale. Le maître de stage est un masseur-kinésithérapeute diplômé depuis au moins 3 ans, volontaire et ayant suivi les formations au tutorat organisé par le CERFAH et l’IFMK. Il bénéficie de temps dégagé par l’employeur pour l’accompagnement, la formation et le suivi de l’apprenti. Il est chargé :
- De l’intégration de l’apprenti dans l’entreprise et dans le monde du travail ;
- D’encadrer son travail, en définissant les tâches à accomplir et leur évolution au fil des heures travaillées ;
- De transmettre les savoirs et savoirfaire, en l’aidant à tisser les liens entre les enseignements théoriques et la pratique professionnelle ;
- De suivre l’évolution de sa formation en termes de compétences par l’utilisation du portfolio, et en termes de notes grâce aux relevés de notes fournis par l’IFMK.
Pour l’institut formateur et les établissements d’accueil des apprentis, l’apprentissage est une expérience humaine et professionnelle enrichissante pour chacun des partenaires. L’employeur s’assure un vivier de jeunes professionnels stimulant la dynamique des équipes et répondant à des besoins économiques et institutionnels. L’apprenti développe plus vite son savoir-être et son savoir-faire dans sa posture de soignant grâce à la mise en responsabilité face aux patients et au sein de l’équipe. L’acquisition des savoirs en formation est, elle aussi, facilitée et les résultats aux évaluations le prouvent.
Même si le dispositif est alléchant pour les étudiants mais aussi pour nos services, il demande aux étudiantsapprentis beaucoup d’efforts d’organisation dans leur travail et dans leur vie. C’est pourquoi, nous devons être des formateurs vigilants. Mais qu’en pensent les apprentis eux-mêmes ?
L’Etudiant-Apprenti, ou faire le choix du contrat d’apprentissage…
L’étudiant est informé au cours de sa première année de la possibilité de réaliser une formation en alternance. Il en déduit les avantages que cette situation pourrait lui apporter personnellement.
Le soutien financier proposé est un argument majeur dans le cas d’une nécessité économique (importants frais liés aux études) ou bien pour promouvoir une indépendance financière.
L’avantage de pouvoir travailler « utile » dans un contexte clinique plutôt que dans un autre domaine sans relation avec le métier.
Le désir d’améliorer ses pratiques et d’avoir une expérience clinique plus approfondie.
Bénéficier d’un débouché après le diplôme dans un environnement connu.
La demande de contrat par l’étudiant
Lors de la première ou de la deuxième année à l’IFMK, le futur apprenti doit fournir une lettre de motivation aux centres recruteurs et obtenir un entretien. Néanmoins, plusieurs étudiants peuvent êtres candidats pour un même poste et se retrouver face à une sélection. Dans ce cas, il apprend à valoriser sa candidature et à montrer non seulement une qualité de contact mais aussi son implication dans la formation et sa motivation, ce qui est déjà une expérience très professionnelle.
Par la suite, l’apprenti signe le contrat en présence de son employeur, il prend alors connaissance du nombre d’heures à réaliser, de la date de début et de fin d’apprentissage et de la durée du dédit de formation.
L’apprenti a une obligation d’assiduité aux cours
Additionnée au travail chez l’employeur, cela lui laisse peu de temps de repos, sachant que la majorité des heures sont rendues pendant les périodes des congés scolaires. Ainsi, pour préparer ses examens, l’apprenti devra fournir un effort d’organisation supplémentaire, son temps de révision étant seulement à la fin de la journée ou le week-end. Les journées de cours sont longues (entre 6 et 9 heures) et ce cumul de présence entraîne de la fatigue. Bien évidement, le temps passé en amphithéâtre est aussi un apport puisqu’il facilite le contact avec les enseignants, favorise l’accès aux détails du cours et permet de tisser des liens entre pratique et théorie.
De plus, les stages deviennent un réel outil d’approfondissement des connaissances et des pratiques. Ils sont une ouverture sur la diversité de la profession et un moyen de perfectionnement envers le lieu d’apprentissage de référence. L’apprenti est un étudiant habitué à la prise en charge clinique avec une certaine autonomie ce qui le rend entreprenant et demandeur, un manque de pratique va l’ennuyer.
Le CERFAH organise des réunions avec les apprentis d’une même promotion pour discuter du contrat et répondre aux questions en groupe. Il les rencontre aussi individuellement sur le lieu d’apprentissage avec l’employeur pour collecter un retour d’expérience des deux parties.
L’apprenti dans l’entreprise
Le cadre kinésithérapeute est la première personne que l’apprenti rencontre, il lui présente l’établissement, son fonctionnement et le personnel. C’est avec le cadre que se fait l’aménagement des horaires de présence. Il répond aux questionnements de l’étudiant (que cela concerne une prise en charge ou un autre sujet).
Faire partie intégrante d’une équipe demande et développe des qualités d’adaptation et d’intégration. De fait, la relation avec l’équipe kiné est basée sur la communication et le partage d’une expérience clinique, d’aide dans la prise en charge et les bilans, et l’utilisation des outils informatiques. L’équipe constitue un encadrement disponible et bienveillant que l’on peut considérer comme « passif » favorisant l’autonomie et la réflexion.
Avoir un contact plus approfondi avec le personnel médical offre un côté pluridisciplinaire à la formation. Participer aux visites médicales et aux staffs facilite l’opportunité de rencontrer et de questionner les médecins ce qui apporte une variété de points de vue et une richesse d’apprentissages.
L’apprenti est aussi amené à coordonner ses soins avec ceux du personnel paramédical. Ceci favorise la communication interprofessionnelle et développe ses qualités d’organisation.
L’apprenti et le patient
L’apprenti est perçu comme un jeune professionnel et non comme un stagiaire. Par conséquent, les responsabilités ne sont pas les mêmes et les attentes d’un patient non plus. Cette posture pousse l’étudiant à trouver ses repères et à utiliser les outils pédagogiques de sa formation. De plus, avoir la prise en charge de plusieurs patients sollicite un esprit de synthèse qui mobilise des qualités de réflexion et de compréhension kinésithérapiques. C’est un véritable échange qui bénéficie aux deux parties, d’une part l’apprenti est soucieux de délivrer une prise en charge de qualité, et d’autre part il progresse dans ses connaissances théoriques et pratiques dans un environnement professionnel.
Et après le contrat
Le ressenti des anciens apprentis L’apprentissage permet une meilleure assurance personnelle par l’expérience et le temps de pratique supplémentaire qu’il apporte. L’apprenti n’est pas limité à un seul service ce qui peut lui permettre de progresser et d’approfondir plusieurs champs de la profession. Il peut favoriser la réalisation d’un mémoire de fin d’études dans le centre formateur. En revanche, ces modalités sont exigeantes en investissement dans les périodes proches des examens et particulièrement en K3, ce qui peut mener à un sentiment de saturation et à une baisse de l’attention en formation ou en milieu professionnel.
- Les apports concrets Pour tous ceux qui sont dans des situations financières précaires, l’apprentissage facilite la vie quotidienne, permettant la poursuite des études dans un contexte de sérénité financière, immédiatement et à moyen terme.
En synthèse, le contrat d’apprentissage épanouit l’étudiant dans sa formation, il le responsabilise, lui apporte une reconnaissance par les patients et les professionnels, l’incite à l’auto-discipline et enrichit sa représentation de la profession. En contrepartie, il impose un rythme de vie et des horaires qui peuvent facilement mener à des épisodes de fatigue.
Finalement, en deux mots, nous pouvons qualifier l’apprentissage d’exigeant et de formateur.
Références
1.Feres Belghith, Lorraine Bruyand, Mathilde Ferro - Observatoire National de la vie étudiante. Repères - Edition 2013 - PEFC, Paris, Novembre 2013
Béatrice CAORS
Cadre Formateur IFMK Marseille
Odile MARKS
CDS Clinique Rosemond
Hélène RICHELME
CDS Centre Paul Cézanne,
Alex SAVINA
Etudiant 3ème année IFMK Marseille
et Apprenti à la Clinique Rosemond
Laurie FONDY
Kinésithérapeute CHU Conception Marseille
ex-apprentie
Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°5

