
« La médecine nous apparaissait, et nous apparaît encore, comme une technique ou un art au carrefour de plusieurs sciences plutôt que comme une science proprement dite » nous disait Canguilhem, médecin et philosophe des sciences. La médecine et les médecins doivent être capables de se servir des développements des sciences fondamentales et des sciences humaines pour évoluer et améliorer leur pratique et la prise en charge des patients. Dans son introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Claude Bernard explique : « Les faits sont des matériaux nécessaires ; mais c'est leur mise en œuvre par le raisonnement expérimental, c'est-à-dire la théorie, qui constitue et édifie véritablement la science. L'idée formulée par les faits représente la science ». De l'observation et des dogmes existants, le médecin pourra proposer de nouvelles hypothèses qu'il testera par des expériences. Les résultats pourront s'ils confirment l'hypothèse en question aboutir, un jour, à une modification des pratiques médicales.

Dès lors, il paraît pertinent d'essayer d'appréhender au mieux cette méthode hypothético-déductive et de prendre part à une ou plusieurs des nombreuses étapes, de l'idée (et la réalisation d'expériences fondamentales au laboratoire) à l'application clinique (recherche clinique) d'un projet. Et quoi de mieux que de réaliser une année-recherche ! Fort de ce constat quant à l'importance du lien entre sciences fondamentales et médecine, les carrières hospitalo-universitaires ont été développées, facilitant l'accès aux formations scientifiques. Il est ainsi possible - voire parfois recommandé - d'effectuer au cours ou à la fin de son internat, un master 2 d'université en sciences.
Cette année peut sembler difficile à mettre en place, à intégrer dans nos maquettes et notre formation, tant le schéma des études médicales peut sembler différent du système LMD (Licence-Master-Doctorat) des universités. Les études médicales intégrant de nombreux enseignements en sciences fondamentales, la validation tacite d'un niveau licence est accordé aux étudiants en médecine. Ainsi, pour se lancer dans une “année recherche”, il suffira selon les facultés de réaliser quelques modules d'enseignements pour valider une équivalence de master 1. L'année-recherche sert ensuite à valider un master 2. S'il permet le lien entre recherche fondamentale et médecine, avec tous les avantages que nous avons développés précédemment, c'est la voie parfaite pour commencer une carrière hospitalo-universitaire, via l'obtention par la suite, d'une thèse de science. L'obtention d'un master 2 permet en outre un accès plus facile à un poste de CCA.
Il est important de se préparer au mieux à la réalisation de cette année de disponibilité. Il faut tout d'abord choisir une thématiques de recherche (choix du master 2 et choix de l'équipe de recherche) ; ce choix pourra être influencé par vos envies, les laboratoires disponibles (avec la possibilité de se déplacer dans une autre ville / à l'étranger), les liens développés entre votre service et certaines équipes de recherches. Le plus évident sera de réaliser un master 2 en lien avec les thématiques développées par le laboratoire de recherche que vous souhaitez rejoindre (pour exemple : un master en santé publique et un laboratoire d'épidémiologie).
Et pour vous aider au mieux, l'AJCV vous a concocté une petite Check-list pré-recherche.
La check-list des éléments clés
1. Quel encadrement ?
Lorsqu'on se lance dans un projet de Master 2, on ne le fait pas tout seul, on le fait au sein d'une équipe de recherche, qui est un melting pot composé de :
L'encadrement chirurgical
C'est le chirurgien-chercheur avec lequel on se lance dans le projet. C'est important de se lancer dans un projet avec un chirurgien qu'on estime, qu'on respecte, avec lequel on s'entend bien et qui saura libérer un peu de son temps pour faire des points avec vous sur vos avancées. Il sera le plus souvent votre directeur de projet. Le rôle du directeur de projet c'est avant tout de vous stimuler dans l'élaboration du projet, vous structurer, et vous débloquer des situations complexes. Il attendra en retour de vous : motivation, autonomie, dynamisme dans l'avancée du projet et rigueur. Ce projet deviendra un peu une partie de vous, il vous ressemblera, c'est vous qui le mettez au monde et vous pouvez en être fier !
L'encadrement scientifique
C'est l'équipe de recherche dans laquelle on va s'intégrer. Elle travaille sur la thématique de recherche de votre projet, qui peut être choisi au niveau local, national ou international, vous avez l'embarras du choix ! Il faut rencontrer l'équipe de recherche, discuter, construire le projet et discuter de la faisabilité des manipulations dans le temps. Plus tard, elle aidera pour établir les devis de vos manipulations, solliciter des aides financières pour trouver des bourses locales ou nationales pour votre projet (cf. Financement). Le chef de votre projet au sein de l'équipe de recherche pourra également être votre (co)-directeur de recherche. Il nous aide à construire le projet en respectant la démarche scientifique et veille au respect des principes fondamentaux.
Lorsque le stage aura débuté, ils vous apprendront l'essentiel des techniques maîtrisées au laboratoire, vous découvrirez probablement ensemble de nouvelles techniques spécifiques à vos travaux que vous allez vous approprier ensemble puisque c'est ça aussi la recherche, découvrir, échanger, et apprendre ensemble.
L'encadrement pédagogique
C'est l'enseignement théorique dont vous allez bénéficier pendant votre année-recherche. Pour faire simple, on se pose souvent la question entre faire un Master 2 dans une école qui traite de la thématique fondamentale en lien avec notre projet (p. ex : Master 2 Médecine expérimentale et régénération si vous travaillez sur la recellularisation d'un colon décellularisé à partir de cellules souches mésenchymateuses pour les patients atteints d'une PAF colectomisés) et faire un Master 2 “Sciences chirurgicales” qui comprend également une spécialité “Régénération” et pourrait tout à fait convenir à votre projet. Mais alors, que faire ?
Concrètement, une problématique fréquente (mais pas constante) avec les M2 fondamentaux est qu'ils débutent en septembre ou octobre, et sont donc décalés par rapport à la fin du semestre qui est en novembre. Vous devrez soit vous aménager du temps pour assister aux cours soit récupérer les cours et les rattraper dès le début de votre année. Les responsables sont souvent très compréhensifs avec les internes en M2…
Attention, ici le volume et le nombre de cours peuvent être assez importants avec des partiels réguliers qui imposent une implication à 100 % dans les cours pendant la première moitié de l'année, ce qui ne vous permettra de débuter le côté pratique de votre projet de recherche que plus tardivement dans l'année (souvent autour de février/mars). L'atout majeur est qu'ils sont très complets dans le domaine de science fondamental qui vous intéresse et vous permettront d'élargir vos connaissances.
Les M2 “Sciences chirurgicales”, à ce jour au nombre de deux (Paris Saclay et Paris Créteil), sont faits pour les chirurgiens, médecins interventionnels et vétérinaires qui portent des projets de recherche. Ils ont l'habitude d'accompagner les jeunes chirurgiens dans leurs projets de recherche et possèdent une vision concrète de l'application clinique qu'il s'agisse du développement d'une nouvelle procédure chirurgicale, d'une nouvelle “device” chirurgicale, ou de l'étude d'un nouveau moyen de délivrer de la chimiothérapie dans la CHIP, les cours sont adaptés à un environnement qui nous est familier. Un des grands atouts : les cours sont en lien avec le rythme d'une année recherche d'un interne et ne débuteront qu'après le 1er novembre. Le rythme des cours et des partiels est souvent plus léger, il y a plus d'ECTS alloués au projet de recherche et à sa présentation, ce qui permet d'axer l'année sur le côté pratique de votre projet ! Vous pourrez le débuter dès le 1er novembre et suivrez les cours sous forme de sessions au cours de l'année.
2. Quel projet ?
On peut différencier deux types de projets de M2 :
• Un projet “clef en main” : L'équipe travaille sur ce projet depuis plusieurs années, c'est un sujet d'intérêt et d'ampleur qui s'étalent sur plusieurs années, ils ont déjà avancé mais tout n'est pas joué, il reste des questions à élucider pour concrétiser le projet. On connaît déjà le modèle d'étude, les manipulations passées suggèrent les manipulations à venir, le projet est financé, il ne manque plus que la bourse de l'étudiant, un étudiant motivé et vous apporterez votre pierre à un édifice potentiellement colossal !
• Un projet à développer de toute pièce : L'idée est nouvelle, potentiellement très intéressante voire révolutionnaire, le modèle d'étude est à peaufiner/développer, il est potentiellement pas encore financé (cf. financement), dans le laboratoire d'accueil on travaille déjà sur une thématique proche mais personne n'est vraiment affecté à cette question pour le moment.
Les clefs d'un projet pertinent
• Définir la thématique de recherche.
• Établir la question scientifique à laquelle on cherche à répondre. La règle d'or est qu'un bon projet répond à une question clinique pertinente ! On cherche pour faire avancer la médecine ou la chirurgie, pas pour chercher.
• Définir la population cible et/ou le modèle d'étude qui mimera au mieux votre population cible pour répondre à la question posée. Les modèles peuvent être à l'échelle cellulaire, animale, mathématique ou physique ce sont ce qu'on appelle des modèles d'étude. Évidemment, chaque modèle a ses avantages et ses inconvénients, certains modèles préexistent et sont exploitables, quand d'autres sont à développer de toute pièce, et peuvent sembler irréalisables au premier regard. Le développement d'un nouveau modèle d'étude peut faire l'objet à lui seul d'un projet de Master 2, cela peut paraître un peu laborieux au début, mais c'est loin d'être impossible, c'est tout à fait passionnant : construire de toute pièce ces manipulations, suivre son raisonnement au fur et à mesure des expérimentations en respectants les principes fondamentaux et comme tous les projets, y croire jusqu'au bout !!
• Établir le calendrier de l'année recherche et du déroulement des différentes phases du projet dans le temps imparti. Et pourquoi pas l'intégrer déjà dans un hypothétique projet plus global, d'ampleur qui pourrait être le lit d'une thèse de science si vous décidez de poursuivre l'aventure.
3. Quel financement ?
Pour l'interne en année-recherche avoir un financement personnel est hautement recommandé, voire obligatoire pour faire son Master 2. Plusieurs options sont possibles : bourses universitaires locales, bourses de sociétés savantes nationales, de chirurgie digestive, de surspécialités fondamentales ou encore d'associations de patients. En l'absence de bourse, il faut être capable de ne pas s'arrêter de travailler un an pour réaliser son M2, et percevoir son salaire d'interne pendant l'année ou encore réaliser des remplacements si on en a la capacité. Personnellement nous recommandons de ne pas travailler en parallèle de son M2 car cela aboutit souvent à l'absence d'avancée du projet et/ou à une année vécue comme difficile par multiplication des tâches.
Pour le projet
Certains projets sont financés, d'autres pas ! Ils demandent un temps de levée de fond, qu'il est important de respecter et prendre en compte dans l'élaboration de son projet (ie : certains financements peuvent n'être disponible que durant une période donnée). Là encore, les appels à projets sont locaux ou nationaux, le plus souvent il est demandé de cibler la demande de financement sur une partie précise de son projet (ex : financement de telle manipulation, pour répondre à telle question précise, qui évidemment correspond parfaitement à la thématique de l'appel à projet). Ça parait compliqué mais les chercheurs sont habitués à ces démarches et vous épauleront avec beaucoup d'habileté.
Quelques bourses disponibles (et leurs conditions)
• La bourse Année Recherche
• Fondation pour la Recherche Médicale (FRM)
• Groupe Pasteur Mutualité (GPM)
• Appel à projet de l'AFFEF
• Fondation de l'avenir
• Fondation ARC

1 Faire la bibliographie le plus tôt possible dans la conception du projet, elle t'aidera à maîtriser ton sujet, cibler les manipulations et procédures innovantes que tu pourras intégrer dans ton projet.
2 Rédiger l'introduction de ton mémoire : Cette tâche est longue et nécessite encore une foi de maîtriser la bibliographie. Le début de l'année peut parfois être un peu lent au démarrage, il vaut mieux profiter de ce temps pour la rédiger et n'avoir plus qu'à compléter avec les résultats en fin d'année qui peut être un peu plus speed parfois.
3 Faisabilité du projet : “C'est une question de temps, d'argent, de logistique et d'envie”. Le projet peut sembler irréalisable de prime abord, c'est normal quand on fait de la recherche, le principe, c'est de ne pas savoir si ça va marcher : on est sûr d'une chose c'est de commencer par se tromper !! Il ne faut pas s'inquiéter, c'est le processus normal, ce qui est important c'est la démarche de la recherche, de savoir ce qui ne marche pas et d'avancer à mesure des petits succès vers la porte de la réussite.
4 Néanmoins, il faut vérifier que ce projet est réalisable dans le temps : En construisant un calendrier prévisionnel détaillé de son année recherche, en termes de financement : avec les devis des manipulations, et également en termes de logistique. C'est l'école de l'anticipation, de la planification et de la traçabilité.
5 L'AJCV met en place à partir de cette année un pôle recherche qui pourra vous aider pour toute question quant à cette année recherche. N'hésitez pas (Ohhh Yeaaaaaaah!)