Je suis venu vous dire chef de pôle que je m'en vais... : Lettre de démission après 9 ans de bons et loyaux services

Publié le 31 May 2022 à 14:46


En 2009, il ne nous a pas échappé à sa publication, que l’esprit de la loi HPST tendait vers une verticalisation du pouvoir administratif. Verticalisation qui, en outre devait cohabiter avec une évolution majeure de la gouvernance médicale via la création des pôles, un affaiblissement du rôle de la CME pendant que son président, voyait ses missions et son pouvoir renforcés jusqu’à devenir un quasi directeur médical, puis avec des rapprochements territoriaux plus ou moins contraints.


Dr Christophe RENAUD PH
Groupe hospitalier Bretagne Sud

A l’époque, chef de service des urgences dans un établissement de taille modeste, je me sentais impliqué dans la vie de l’hôpital, la construction des projets ainsi que la coopération territoriale.

J’en étais tellement convaincu que, bien avant que le cadre législatif n’évolue, je participais déjà à l’activité du CH de référence voisin, y exerçant environ 2 demi-journées par semaine.

Cette stratégie du rapprochement j’y croyais et à ce jour, je n’en ai aucun regret. Elle a selon moi, permis d’assurer la pérennité du SAU, le renforcement d’une offre de consultations avancées spécialisées (dans un bassin où, comme souvent, les départs des médecins spécialistes libéraux sont rarement compensés et où la désertification médicale menace), le développement d’activités nouvelles cherchant à coller au mieux aux besoins de la population, en lien avec nos partenaires du CHT (puis GHT).

Dans un établissement de la taille de celui où j’exerce, les pôles tels que définis par la loi de 2009 ont eu quelques difficultés à se constituer. Pas tant en raison d’une redoutée lutte de pouvoir mais bel et bien en raison d’une incompréhension profonde nourrie par les PH vis-à-vis de cette nouvelle gouvernance.

Le lien fonctionnel entre services plus ou moins habitués à travailler ensemble pouvait faire sens, mais pas pour tout le monde et puis, déjà, on entendait parler de marginalisation du pouvoir médical et surtout de la « reprise en main » de la chaîne de décision par nos directions. Sans oublier le rôle de nos PCME, futurs équilibristes du rapport de force entre une CME affaiblie, une contrainte réglementaire forte (garant de la qualité/sécurité des soins) et une direction omnisciente, omnipotente.

Bref, les candidats à cette nouvelle fonction de chef de pôle (ou responsable de pôle, comme d’aucuns le corrigeait régulièrement, victimes de réaction allergique sévère à la simple prononciation du mot « chef » !) n’étaient pas légion !

On m’a, par la suite, comme à beaucoup de mes homologues d’ailleurs, reproché de ne pas avoir suivi un processus électoral avant d’accéder à cette fonction.

Il ne s’agit pas, et je le répète à l’envie, de l’esprit et des modalités d’application de gouvernance telle que prévus par la loi. Honnêtement les candidats étaient indétectables et on assistait même en interne à un intéressant exercice d’autodépréciation. Propos saisis à l’époque : aucune compétence managériale, aucun sens de ce qu’est un budget, une organisation en filière territoriale, aucune appétence pour aller frayer avec les directeurs et surtout l’argument massue, véritable leitmotiv « pas de temps à consacrer à ça ». Quand on soigne les patients, on n’a pas de temps à perdre en vaines discussions institutionnelles !

Je ne pensais pas à l’époque et je ne crois toujours pas que le fait de s’impliquer dans la vie de son établissement constitue une forme de reniement et fasse de nous de piètres cliniciens.

Clairement, à l’époque, j’entretenais des relations que je qualifierais de cordiales avec ma direction. Même si les pôles en tant que tels, ne me semblaient pas forcément constituer une entité « naturelle », je voyais à travers eux un intérêt à développer des projets, travailler en filières et parcours, améliorer la qualité des organisations et donc des soins délivrés aux patients. Bref, un vrai levier pour donner du sens médical aux décisions prises dans l’établissement.

Plutôt que de devoir « trier » parmi des candidatures spontanées, notre PCME a plutôt dû prendre son bâton de pèlerin et tenter de convaincre 3 ou 4 d’entre nous d’accepter d’être nommés sur cette nouvelle fonction. Cette absence d’enthousiasme (à tout le moins) affaiblit selon moi l’argument porté par certains, qui voulait que nous ne saurions être légitimes puisque non portés par des suffrages. L’inquiétude ne se nichait pas dans une course électorale fratricide mais bel et bien dans une menace avérée de la chaise vide.

Pour moi, durant ces années-là, et c’est encore mon avis aujourd’hui, il n’était pas envisageable que le corps médical ne tente pas d’imposer une forme de contre-pouvoir face au monolithe du pouvoir administratif. On ne peut se plaindre régulièrement (et souvent légitimement) de la dégradation de la qualité de l’exercice à l’hôpital public et parallèlement fuir toute forme d’implication institutionnelle.

Les années ont passé, les directeurs aussi… A un rythme effréné, il a fallu absorber :
• La loi de modernisation du système de santé.
• Les CHT puis les GHT puis parfois, pour les plus « chanceux » une fusion.
• La course à l’activité.
• La baisse des tarifs.
• Le virage ambulatoire.
• La « requalification « de certains actes (le fer IV etc.).
• La RAAC.
• La (désespérée) tentative d’équilibre des comptes.
• Le vieillissement populationnel.
• L’inadéquation des moyens aux contraintes croissantes et parfois nouvelles.
• Avec pour conséquence, une « taylorisation » du soin devenu une quasi norme.
• « Ma santé 2022 » dont on connaît encore peu la teneur hormis quelques grandes lignes.
• …

Comme Camus l’imaginait pour son Sisyphe, on pousse les pierres jusqu’à l’absurde !

Dans ce contexte tendu, quels outils pour le chef de Pôle ? Quelle délégation de gestion ? Quel rôle dans les instances locales ? Quel accompagnement ? Quelle considération ?

Nous le soupçonnions mais la mise à l’épreuve du temps nous l’a confirmé : Les légitimités et les limites sont différentes.

Aux directeurs, la nécessité d’une vision à long terme, le positionnement sur des secteurs concurrentiels, l’assujettissement aux autorités de tutelle, la limite d’une hiérarchie encombrante, peut-être une part de carriérisme, une cohabitation plus ou moins fructueuse avec le PCME.

A nous médecins, un savoir médical et une responsabilité de tous les jours auprès de nos patients mais aussi une réelle méconnaissance du système de santé, de son financement, des contraintes de chacun, peut-être une part de carriérisme, une faible dimension managériale.

HPST gageait probablement dans une perspective un peu naïve, que nous pourrions communiquer, travailler en équipe, faire le pas nécessaire les uns vers les autres, bref, créer les conditions d’une nouvelle dynamique et proposer un nouvel équilibre dans nos établissements.

Plus prosaïquement, pour ma part, j’ai cru au partage des valeurs de l’hôpital public, à l’exercice collectif, à un « 2ème métier » qui ne me dispensait pas d’exercer le premier (!), à la richesse d’échanges et confrontations d’idées au sein d’une équipe polaire.

Le manichéisme ne saurait être de mise et même si l’histoire ne finit pas si bien, cet exercice de presque une décennie conduit à un bilan que je souhaite le plus impartial possible.

A mon échelle et au regard de l’expérience acquise au sein de mon établissement, on peut, je crois, sans réserve, citer les avancées suivantes :
• Une vision partagée des enjeux.
• Une émulation.
• Un effet de pédagogie et de communication intensifiée.
• Un développement du sens de la diplomatie (fondamental !!).
• Une sensibilisation aux contraintes médico-économiques.
• Une implication dans le directoire.
• Une réflexion en filière.
• Une implication dans le projet médical partagé dès lors que le GHT puis la fusion ont été d’actualité. L Etc.

Sur un plan plus personnel, j’ajouterai que cette fonction m’a apporté :
• Une sensation parfois grisante d’être « au cœur de la chaudière » ou à minima au courant de tout et surtout de tous les sujets « chauds » du moment.
• Une sorte de félicité dans un rôle de chef d’orchestre que j’ai trouvé à maintes reprises, palpitant.
• Une vision moins égocentrée.
• Un apprentissage constant des enjeux.
• Un souci permanent du devoir de relayer l’information.
• Des progrès que nos erreurs nous poussent à faire afin de se corriger.
• Un élargissement de mon horizon et de mon champ de compétence.
• Parfois un début (timide !) de reconnaissance par nos pairs.
• Une rigueur de tous les instants afin de tenter de ne pas se faire totalement submerger.
• Des coups reçus (et aussi des coups donnés !) qui obligent à se remettre en cause perpétuellement.

Malgré, ou à cause de tout cela, depuis quelques mois, le doute s’installe.
Tout d’abord responsable d’un pôle médico-technique (dont le Service d’accueil des urgences), je suis, comme les autres, soumis à cette course sans fin à l’activité. Comme au dogme du virage ambulatoire et de la baisse des recettes qui inéluctablement l’accompagnent. Baisse des recettes qui conduisent à se questionner toujours plus durement au sujet des moyens alloués à nos services.

Qui dit questionnement dit doute et finalement ce que je perçois le plus clairement, c’est la flagrante inadéquation entre ce que l’on attend de nous et les moyens toujours plus mutualisés et resserrés qui doivent nous aider à y parvenir.

Qui dit questionnement dit doute et finalement ce que je perçois le plus clairement, c’est la flagrante inadéquation entre ce que l’on attend de nous et les moyens toujours plus mutualisés et resserrés qui doivent nous aider à y parvenir

J’entends déjà les critiques maintes fois émises : oui, tout n’est pas question de moyens, oui on peut sans peine travailler nos organisations afin d’optimiser la prise en charge de nos patients, oui la pertinence des soins est un enjeu majeur de notre quotidien, oui la formation continue des personnels doit être un axe fort du projet social…

Mais combien de fois avons-nous entendu parler de ces temps théoriques (du 0.1 secrétaire au 0.05 PH en passant par le 0.2 AS) que l’on pouvait déplacer comme des pions sur un échiquier d’un secteur à l’autre !

Toujours dans le cadre de mon périmètre le plus typique, prenons l’exemple du Service d’Accueil des Urgences dont je m’occupe : la pression y est, comme quasi partout, je crois, très forte dès lors qu’il s’agit de le « désengorger ».

La question n’est pas pourquoi mais plutôt comment quand la démographie médicale dans certaines régions et dans certaines.
Spécialités, la sous médicalisation des EHPAD, la permanence et la continuité des soins en ville, le vieillissement et la paupérisation de la population ne sont en aucun cas pris en compte dans les multiples réformes que nous subissons.

Nous sommes, il me semble, les premiers d’accord quand nous entendons parler dans le cadre de « ma santé 2022 » de la pertinence et qualité des soins, de parcours patients, de filières, de lien ville-hôpital…

Mais ne nous leurrons pas, nos SAU ne sont pas (quoi que certains en pensent) encombrés de patients se présentant pour de la « bobologie » (quel horrible terme !) et qui n’auraient rien à faire là ! Ce n’est pas vrai et le penser voire le propager contribue à s’aveugler pour ne surtout pas faire le diagnostic !

La pénibilité, pour tous, dans nos SAU (du patient aux secrétaires, aux soignants, aux médecins), c’est bien la prise en compte d’une population vieillissante, aux pathologies chroniques de plus en plus lourdes et fréquentes et pour laquelle tout le monde semble croire que l’hôpital est la meilleure, voire souvent la seule réponse ! Et je n’évoque pas la problématique du manque récurrent de lits de médecine !

J’ai pris cet exemple ciblé urgences afin d’illustrer le fait que, chefs de pôle, nous servons, finalement, dans ce contexte, d’amortisseur entre le marteau de nos tutelles et l’enclume, que représenteraient nos patients, nos équipes et bien sûr nos collègues.

À cela s’ajoute un positionnement du PCME perçu comme trop « directeur-like », un certain niveau d’amnésie des décideurs institutionnels dans le suivi des projets, les services rendus sans aucune forme de reconnaissance.
On pourrait même y ajouter : la sensation que nos équipes de direction n’ont pas su évoluer dans cette vison restrictive du chef de pôle (simple interface entre elles et les PH sans qu’elles ne se sentent prêtes à lâcher un peu de pouvoir pour favoriser l’opérationnel et rendre le poste attractif), une forme de discrimination dans les sujets que portent les pôles (pôles « bénéficiaires » VS pôles « déficitaires »), des menaces quand à des organisations construites avec patience mais restant fragiles, un mépris à peine déguisé mis en lumière par des circuits de communication internes aberrants, etc.

Une seule solution s’impose : jeter l’éponge ! Et faire exactement l’inverse de ce que l’on s’était promis : ne pas lâcher prise, assurer proprement sa succession, intéresser les collègues aux fonctions managériales, éviter à tout prix la politique de la chaise vide...

L’engagement je l’avais souscrit en moi-même et pour moi-même et pourtant quasi du jour au lendemain j’ai dit stop.

Un stop qui, bien sûr, n’a pas été forcément compris et sur lequel courent encore aujourd’hui bien des rumeurs et des interprétations mais je m’éloigne du sujet.

Après avoir brossé un rapide bilan de ce que ces mandats avaient pu m’apporter, je me dois, également de faire un tour d’horizon des limites de cette fonction ou devrais-je dire de ce « métier »

L’exercice est définitivement isolé et exposé.

La dualité des activités médicales et managériales est délicate à mener et surtout difficile à percevoir par nos propres collègues. Une fois en poste, quelle est notre capacité à déléguer ? Et comment, par notre positionnement, faire en sorte de ne pas déresponsabiliser les chefs de service, qui pour le coup ont, eux, toute légitimité dans l’esprit des praticiens de l’établissement ? Comment faire comprendre à nos équipes de direction que nous ne sommes pas des enfants capricieux, que nous maîtrisons quotidiennement le sens des responsabilités et que même si le directeur est comptable de son bilan financier, la délégation de gestion fait partie du cadre de la loi ? Comment faire comprendre que notre légitimité sur ces fonctions est parfois fragile et que le court-circuitage quasi systématique dans la chaîne de décision nous est extrêmement délétère ?

Sur la fonction en elle-même, on pourrait dire qu’elle est bien jeune, que nous sommes formés au mieux à posteriori voire dans certains établissements (pas le mien) jamais, que nous sommes choisis et non élus, sur des critères qui finalement peuvent paraître biaisés d’entrée :
• Par défaut.
• Par nécessité.
• Par réputation.
• Par profil de caractère.
• Par stratégie.
• …
Nous ne sommes jamais évalués et à aucun moment, pour ma part, on ne m’a demandé de présenter un bilan de compétence, de me confronter aux collègues de mon pôle, de réaliser un vrai bilan semestriel, annuel avec au minimum le PCME, le DG et qui sais-je encore.

Je ne parlerai pas du sujet de l’éventuelle reconnaissance qu’au moins notre investissement pourrait nous valoir ! Hormis la généreuse prime de 200 euros bruts mensuels, il n’y en a aucune

Alors, pour conclure, que souhaiter ?
Dans le cadre de la loi santé 2022, le législateur est censé s’emparer du sujet du malaise dans les hôpitaux. C’est, du moins, ce qui a été annoncé par notre ministre de tutelle.

A venir, moins de T2A, une réflexion plus qualitative sur les soins prodigués aux patients, une gouvernance recentrée avec une CME réinvestie d’un rôle dont HPST l’a dépouillée ?

Il sera temps au printemps lorsque la loi sera débattue de se pencher sur ces évolutions.

Si nous voulons que nos jeunes collègues, qui sont l’avenir de l’hôpital public, s’empare de ces sujets, alors il faut d’urgence, proposer une vision de ce que doit être l’hôpital de demain...

En attendant, sur le sujet des chefs de pôle que l’on m’a demandé de traiter ici, il me parait clair que cette fonction reste peu attractive. Si nous voulons que nos jeunes collègues, qui sont l’avenir de l’hôpital public, s’emparent de ces sujets, alors il faut d’urgence, proposer une vision de ce que doit être l’hôpital de demain et comment il doit nécessairement évoluer tout en conservant sa mission prioritaire, à savoir, accueillir tous les patients et proposer la meilleure prise en charge en lien avec les meilleures données de la science et de la technique.

La gouvernance équilibrée dans nos établissements constitue une des pierres de cet édifice.

Un hôpital ne fonctionne sans doute pas sans directeur compétent et efficace mais avant toute chose, il ne fonctionne pas sans médecins, indissociables de leurs patients.

Pour ma part, j’ai repris mon travail de médecin à temps plein !

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°14

Publié le 1654001212000