Interview de Coco
Dans le cadre de notre mois sur les discriminations en santé, nous allons parler de la sérophobie, des discriminations envers les personnes séropositives au VIH. Pour cela, nous avons interviewé Coco, séropositive depuis plus de 30 ans, lesbienne, ancienne usagère de drogues, ancienne travailleuse du sexe, activiste et militante dans une association de lutte contre le SIDA.
La sérophobie est extrêmement fréquente dans la société et le milieu médical en particulier. Auriez-vous des chiffres sur les discriminations sérophobie à nous partager ? Les formes d’expression de la sérophobie ont-elles évoluées depuis les années 90 selon vous ? Comment la désinformation des nouvelles générations sur le Sida et sur l’histoire de cette épidémie joue-t-elle un rôle dans la perpétuation de préjugés sérophobes ?
Je ne suis pas axée sur les chiffres qui sont loin d'être exhaustifs mais la sérophobie peut être implicite ou explicite et il faut aller au plus près des personnes recueillir leur parole avec toute la difficulté que cela représente de parler de sa séropositivité. Ensuite, contrairement aux violences verbales et physiques LGBTIphobes, la sérophobie n’est pas punie par la loi et la sérophobie est une discrimination.
La sérophobie existe depuis le début des années 80 moi j’ai été contaminée en 1987 et j’ai connu la sérophobie violente, celle du rejet, celle où on pose des plateaux repas dans les chambres parterre devant la porte parce qu’on n’ose pas rentrer, celle où on ne te regarde pas, où on ne te touche pas parce que ton corps est amaigri envahi de kaposi, la sérophobie jusque dans la mort durant des décennies avec l’interdiction des soins funéraires, une lutte remportée il y a 5 ans après des années de combat de personnes séropositives et militants-es. Il y a eu l’époque où on ne savait pas comment cela se transmettait que je peux comprendre mais on l’a su dès 1984 que c’était transmissible par le sang et par le sperme. Les personnes gays et les toxicomanes qu’on oublie un peu ont été très touchées et les femmes quant à elles dès le début, elles ont été invisibilisées et les personnes racisées et les personnes trans n’en parlons pas.
C’est bien pour cela que la dimension communautaire de la lutte contre le sida est essentielle et incontournable. Mais aujourd’hui quand je vois que de nombreuses personnes pensent que le VIH s’attrape par la salive ou en se touchant, cela me désole au plus haut point et forcément cela questionne.
Il y a eu une période avec moins de sérophobie mais en même temps on mourrait et puis elle est revenue au milieu fin des années 90 au moment de l’arrivée des trithérapies, nous allions vivre un peu plus pour celles et ceux qui ont survécu jusque-là. Dans le milieu du soin, elle est malheureusement fréquente et une des plus répandues, c'est celle au niveau des dentistes. Il faut savoir qu’à l'époque, beaucoup de personnes séropositives se sont vu arracher des dents alors qu'elles auraient pu les conserver et puis comme on pensait qu'on allait mourir on n’a pas réagi et quant aux refus de soins aujourd’hui de la part des dentistes, ils sont nombreux et surtout ils n'ont pas lieu d'être que l'on dise sa séropositivité aux médecins ou pas. Pour ma part je l’ai toujours dit dans toute situation vis-à-vis du personnel soignant, je vis avec et c'est le sens de tout mon combat. Il fait partie de moi, de ma vie je n'ai pas caché ma séropositivité même si ça a été extrêmement difficile. Le refus de soin de la part des dentistes peut être très explicite : "je ne prends pas des personnes comme vous" cash direct et elle peut être implicite avec des discours du style "je n'ai pas l'habitude des personnes comme vous, votre situation est complexe et je ne veux pas prendre le risque de vous soigner". La sérophobie existe aussi de la part des gynécologues avec des discriminations particulièrement violentes à vous dégoûter d'y retourner durant des décennies et puis le jugement de valeur, « personne ne t’a obligé à te droguer » vous avez des enfants non tant mieux etc. en ce qui me concerne je resterais plus de 20 ans sans voir une gynécologue, je n’y retourne que depuis mes 50 ans régulièrement et j’ai une gynécologue très bienveillante. Il y a le recul d'un pas ou de 2 pas quand on dit à une autre personne qu'on est séropositif/ve comme si elle devait se protéger de nous. Et plus récemment j’ai connu la sérophobie 2.0 avec une réservation en ligne pour une imagerie médicale où il y avait marqué « si vous êtes porteur d’une maladie contagieuse (VIH, hépatite, gale) vous ne pouvez pas prendre rendez-vous, vous devez appeler avant ». J’ai publié ceci sur les réseaux, Doctolib a fait enlever ce commentaire mais le centre d’imagerie continue de demander dans des questionnaires si les personnes ont le VIH, c’est inacceptable et quant au défenseur des droits que j’ai saisi avec toutes les captures d’écran du questionnaire en ligne disparu depuis, on me demande des nouvelles preuves car pour prouver la sérophobie, il faut prouver le refus de soins alors que dans ce cas c’est plutôt du renoncement aux soins pour ne pas subir la sérophobie. J’attends toujours et je suis très en colère de tout ça.
Aujourd’hui à mes yeux on banalise beaucoup trop le VIH, je comprends qu’il faille rassurer mais vivre avec le VIH n’est pas vivre comme tout le monde pour un grand nombre de personnes vivant avec le VIH, ce discours est arrivé avec la Prep un traitement en prévention pris par des personnes séronégatives et qui n’enlève rien à son efficacité et au fait qu’il contribue à réduire les contaminations bien évidemment. Néanmoins, il ne faut pas oublier que beaucoup de personnes vivent avec le VIH et ont de nombreux effets secondaires liés aux traitements, des pathologies et/ou des comorbidités associées et les PVVIH comme d’autres personnes malades chroniques nécessitent une prise en charge spécifique et notamment quand on vieillit avec. Il y a une génération, la première qui a tout bouffé comme traitement et qui en paye le prix fort aujourd'hui et puis la 2nde qui a connu le début des trithérapies avec le passage à un cachet rapidement et surtout des chances de vie beaucoup plus importantes que nous à l'époque. Les discriminations aujourd'hui en lien avec le VIH pour des personnes qui vivent et vieillissent avec le VIH sont nombreuses et le principal argument c'est de dire que nous sommes des cas trop complexes car nous avons le VIH mais avec des pathologies associées et de nombreuses comorbidités, c’est pourquoi il est important de ne pas toujours banaliser. Les refus de soin mais aussi les renoncements aux soins sont et restent très nombreux et c’est difficilement quantifiable et ces derniers ne sont pas toujours faute de moyens, ils sont dus aussi au fait de ne pas avoir à être confronté à la sérophobie. Récemment un médecin des urgences où je suis suivie m’a dit que j’étais trop complexe, que les urgences c’était la bobologie, j’avais attendu 3h pour m’entendre dire cela et cela pose un problème. De plus, les refus de soins sont déjà nombreux sans la sérophobie par le fait de ne pas avoir de papiers et /ou de couverture médicale.
Quelles peuvent être les conséquences sur la santé des personnes séropositives entrainées par les discriminations qu'elles vivent ? Savez-vous dans quelle mesure cela peut entraîner un renoncement aux soins ? Des pertes de chances ?
Les conséquences d'un renoncement aux soins peuvent être très importantes et la crise sanitaire est un facteur aggravant, cela engendre un sentiment d’isolement et d’incompréhension, ce qui peut amener à du renoncement malheureusement. Il y a d'énormes lacunes sur la prise en charge des malades chroniques notamment au niveau des urgences, c'est assez récurrent. Il faut savoir que beaucoup de personnes vivent et vieillissent avec le VIH et un grand nombre d’entre elles relèvent d'un suivi de médecine interne, d'une surveillance continue et d'un bilan annuel de synthèse avec la recherche de complications qui se fait généralement sur une hospitalisation de jour. Ce sont des recommandations du Conseil national du sida qui aujourd'hui tendent à disparaître laissant les personnes séropositives livrées à elles-mêmes dans un contexte où l'hôpital public est particulièrement malmené, cela relève d'un parcours du/de la combattant-e que de se soigner aujourd'hui. C'est là que la dimension patientE soignantE doit avoir tout son sens, elle s'est construite dans la lutte contre le sida au travers de la loi du 4 mars 2002 aboutissant au consentement éclairé et au droit à l'information sur son état de santé. De nombreux médecins et de nombreuses personnes malades ont découvert le VIH ensemble, se sont battues ensemble, la notion du/de la patiente experte vient de là mais malheureusement aujourd'hui force est de constater que cette dimension se perd, on ne prend plus le temps si important à la construction de cette relation et tout cela à cause de la recherche de rentabilité imposée aux hôpitaux. On ne peut pas obliger un médecin, une infectiologue à avoir 4 patientes en 1h ce n'est pas possible mais c'est pourtant la réalité. Et renoncer aux soins en temps de COVID où il y a eu de nombreux reports de soins déjà, que ce soit faute de moyens, ou à cause des discriminations, cela affecte notre santé et notre prise en charge sans oublier aussi que le Covid avec la baisse de vigilance des gestes barrières entraîne de nombreux renoncements aux soins aussi étant donné la fragilité de nombreuses personnes séropositives.
Qu'aimeriez-vous que le milieu médical change pour améliorer la prise en charge des personnes séropositives ?
Il faut surtout améliorer la prise en charge des personnes séropositives, il doit y avoir au sein des hôpitaux publics un service permanent qui permet une surveillance continue des personnes malades chroniques comme le VIH qu'elles soient curables ou non et également en médecine de ville pour ne pas être confronté à des personnes qui ne connaissent pas notre situation médicale. Remettre aussi au centre de la relation médecin patiente la parole des personnes malades qui connaissent leur maladie et leurs effets et la modification que cela peut entraîner sur leur corps, sur leur métabolisme. Il faut davantage les écouter. Il faut aussi des astreintes au niveau des urgences de médecins infectiologues et de médecins internistes. Il faut également sans passer par les applications numériques que les différents spécialistes qui suivent des personnes séropositives puissent davantage communiquer de manière régulière sur la situation de la personne malade en y incluant le ou la médecin traitant. On parle de coordination des soins mais en réalité elle n'existe pas ou plus ou elle est défaillante. En effet, ce sont bien souvent les malades qui la font et au bout d'un moment c'est épuisant de devoir toujours répéter les mêmes choses. Et pour ma part, je sais que les personnes malades chroniques ne rapportent pas d'argent à l'hôpital, c'est peut-être cruel à dire comme cela mais c'est une réalité, l’ambulatoire a pris le pas sur la médecine au long cours et cela affecte dans certains cas la qualité de la prise en charge qui s’en fait ressentir en tant de crise. Les médecins généralistes sont sur tous les fronts et une prise en charge médicale nécessite que l’on prenne le temps. J’ai la chance moi d’avoir 2 rendez-vous mensuels dans mon suivi et répartis depuis peu entre 2 médecins du cabinet qui me conviennent sensibilisées sur les questions LGBTI et VIH.
Un exemple que je connais bien avec la fermeture du service de médecine interne de l'hôpital toulousain où je suis suivie depuis 32 ans au nom de considération économique, un service créé par des médecins partant de besoins de patientes qui se sont battues pendant des années pour que ce service de pointe voit le jour et, où était inclus aussi le VIH. L'équipe a explosé entraînant ainsi la fermeture du service. Nous savons qu'il va réouvrir mais ce ne sera plus avec la même équipe médicale historique que l'ancienne direction a poussé à bout. Il faut améliorer aussi l'écoute de la douleur, on ne peut pas laisser une personne dans la douleur et là encore il y a des progrès à faire. Le corps médical est très bon sur les pathologies aiguës mais sur les pathologies chroniques, nous ne pouvons que mieux faire. Il faut améliorer aussi la sécurité des patientEs VIH, chroniques en temps de COVID, le médecin se doit d’être irréprochable sur ce sujet et ce n’est pas toujours le cas. Le pass sanitaire est toujours exigé à l'hôpital mais de nombreux établissements ne le demandent plus mais la moindre des choses c’est de respecter le port du masque dans l’enceinte d’un hôpital personnel soignant et patients-es. Combien de médecins ne mettent pas leur masque correctement pour nous ausculter ? La dimension COVID doit être intégrée dans la prise en charge aujourd’hui, j’ai une santé fragile et je ne suis pas vaccinées et non pas parce que je ne le veux pas mais parce que parfois c'est bien plus complexe que cela au-delà de toute polémique dans laquelle je ne veux pas être.
Pourriez-vous nous parler des actions de votre association ? Quelles sont vos principales actions, comment luttez-vous ? Comment définiriez-vous vos principales luttes actuellement ?
Les associations de lutte contre le SIDA ont réussi à infléchir la place assignée au patient pour qu'il devienne acteur du soin et que le rapport de pouvoir soignant/patient soit repensé, comment poursuivez-vous aujourd'hui cette lutte pour combattre les discriminations sérophobes et plus particulièrement en milieu médical ?
Pour ma part, j'ai toujours lutté en tant que personne concernée et l’association m’a permis de ne plus me sentir seule à l’époque et mon combat fait sens pour moi et il est important de ne jamais oublier cette dimension-là « rien pour nous sans nous » les principes de Denver 1985. Nos luttes ce sont les droits sociaux, les droits de santé, l'accès aux soins pour toutes et tous, l’accès universel aux traitements, la levée des brevets, la prévention...
Le combat associatif a permis de gagner 10 ans sur l'arrivée des traitements, son combat contre les labos et son travail de collaboration et d’implication des personnes séropositives dans la recherche et les traitements, la création de groupe comme le TRT 5 ou le Sidaction pour financer la recherche. La lutte contre les expulsions de personnes séropositives encore d’actualité, contre la pénalisation de l’usage des drogues, contre la pénalisation des clients, pour le droit des malades, contre toutes les discriminations et beaucoup en parleront mieux que moi...
Pour ma part, je lutte sur la question des droits sociaux et de santé, les droits fondamentaux depuis toujours en tant que personne séropositive lesbienne et ex-usagère de drogues et TDS et je me définis comme une activiste de la lutte contre le sida et travailleuse sociale communautaire lorsque j’étais salariée dans le secteur social où je ne me suis jamais cachée auprès des administrations, j’en suis fière même si cela ne m’a pas enrichi. La lutte contre le sida n’est pas que médicale, elle est aussi politique, sociale, antiraciste et elle lutte contre toutes les formes de discrimination quelle qu’elles soient.
Le visage des personnes séropositives est protéiforme ; une personne séropositive c'est une personne hétérosexuelle, une personne gay, une personne lesbienne, une personne bisexuelle, une personne trans, une personne non binaire, une personne intersexe, une personne hémophile, une personne atteinte d’hépatite, une personne handicapée, une personne migrante, une personne réfugiée, une personne étrangère malade, une personne avec ou sans papiers, une personne racisée, une personne incarcérée, un enfant, une personne usagère de drogues, une personne travailleuse du sexe, une personne pauvre, une personne riche, etc. Et une personne séropositive peut se sentir appartenir à plusieurs communautés et donc ne sont pas que séropositives. La sérophobie et les discriminations vont bien au-delà du VIH, elles sont partout y compris au sein de nos communautés. Et pour ma part, l'indifférence envers les PVVIH et les personnes malades est pire que tout, un des slogans que je trouve bien par exemple « le sida on en meurt et l'indifférence demeure » ça veut tout dire et c'est tellement encore d'actualité avec le COVID.
La loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades, des usagers-ères du système de soins a été portée par de nombreuses personnes séropositives et militantes et est issue de la lutte contre le sida. On y retrouve l’accès à l'information concernant sa santé, concernant les soins qu'on va prodiguer et la notion du consentement éclairé. Cependant aujourd'hui, on fait signer un consentement un petit peu pour se dédouaner de toute responsabilité. Notamment à l'hôpital, on signe un consentement sans savoir réellement les risques que l'on encourt. Quant à l'explication, à l'information transmise à la personne malade elle n'est pas systématique. Je prends l'exemple de certains examens qui sont faits en hôpital de jour où les personnes malades n'ont absolument pas accès aux résultats de bilan parce qu'ils ne sont pas faits en externe. Cela pose un problème car le/la patientE doit y avoir accès comme tout autre document concernant sa prise en charge. Il manque aussi d'associations de lutte contre le sida dans la représentation au sein de la commission des usagers des hôpitaux publics, nous avons porté des choses mais nous ne sommes plus ou pas présentes dans certains endroits qui prennent des décisions qui nous concernent. C'est aussi une question de temps et de moyens tant financiers qu’humains et les associations communautaires de lutte contre le sida en manquent cruellement.
Existe-t-il au sein des associations de lutte contre le SIDA des formations sur la sérophobie destinées aux soignant-es pour éliminer cet impact sur les soins ?
Par exemple chez Act Up Paris il y a reactup, une revue d’information sur les traitements et la recherche thérapeutique toujours d’actualité malgré la crise sanitaire. Il y a eu aussi la revue protocoles qui s’est arrêtée faute de moyens et il y a eu aussi des réunions publiques d’information sur des thématiques en lien avec le VIH sida et qui permettait d’avoir des intervenants issus du milieu associatif, médical, scientifique, social et militant. Elles ont cessé d’être financées également alors qu’elles avaient du sens et permettaient des rencontres et des échanges très intéressantes. Il y a toujours des interventions pour informer sur le VIH sida et notamment en milieu scolaire et mener des actions de prévention en milieu festif. Et pour ma part, il serait bien que les écoles de médecine puissent proposer à des personnes séropositives de venir si elles le souhaitent pour parler de leur parcours de patientes expertes, cette notion construite dans la relation médecin-malade mais dont on a été quelque part dépossédée parce qu’aujourd'hui il faut faire une formation de l’ARS pour faire de l'éducation thérapeutique, pour parler en tant que personne concernée de sa propre pathologie et personnellement moi je m'y refuse. Je n'ai pas besoin d'une attestation ou d'un diplôme pour aller expliquer mon vivre avec la pathologie à d’autres personnes séropositives. Cette maladie je l’ai et je l’ai découverte avec mon médecin qui m'a suivi pendant 32 ans. Et cette relation patiente soignante, cela doit être le pilier d'une prise en charge médicale. Mais la dématérialisation a engendré de la déshumanisation et elle se développe de plus en plus et notamment au travers de la téléconsultation qui pour ma part en ce qui me concerne est difficile à comprendre. Comment peut-on soigner en vidéo ? Il faudra qu'on me l’explique, on dialogue oui mais soigner. Pour ma part, je crois que les futurs médecins au sein des écoles ont tout intérêt à inviter des associations et surtout à proposer à des personnes séropositives si elles le veulent de venir leur expliquer leur parcours, le soin c'est aussi l'humain et ce qui fait une bonne relation patiente soignante, c’est l'écoute l’empathie, une compréhension et un respect mutuel mais il est important de rappeler que les médecins ont un devoir d’humanité et certains ont des attitudes discriminantes.
En France la lutte contre le SIDA, comme d’autre luttes sont portées en majorité par des personnes blanches, pourriez-vous nous parler de la place des personnes racisées dans cette lutte ?
La lutte contre le sida est anti raciste et pour moi lutter contre le sida c'est lutter contre toutes les formes de discrimination dont le racisme et je suis une petite fille d'immigrées kabyles, j’ai la peau blanche et je me sens privilégiée même si je n'aime pas ce terme mais je sais ô combien c'est important de pouvoir ne serait-ce qu’accéder à mes traitements tous les jours, être prise en charge à 100 % dans le cadre de ma pathologie, ce qui n'est pas le cas de nombreuses personnes racisées sans papiers. Mon combat c’est avec et aux cotés des personnes concernées et les personnes racisées en font partie et il faut déconstruire cette pensée coloniale qui dit que la colonisation a eu du bon. Certainement pas ! Je suis pour l’autodétermination des peuples et des individus. La parole des personnes concernées doit compter à nouveau, on nous l’a trop souvent prise, recueillie et déformée alors nous nous la réapproprions.
Depuis le début du milieu des années 90, nous ne cessons de le dire que nous devons être à nouveau dans les espaces qui prennent des décisions qui nous concernent. La démocratie sanitaire c’est aussi permettre à des associations communautaires de lutte contre le sida donc aux personnes concernées de contribuer à l’élaboration des politiques publiques.
Si vous deviez donner 3 mesures que vous auriez aimé voir abordées pendant cette présidentielle quelles auraient-elles été ?
J'ai déjà un petit peu répondu à toutes ces questions, redonner la parole aux personnes concernées.
Défendre la notion de surveillance continue réelle à l'hôpital public pour l'ensemble des PVVIH avec la présence de médecins. Les malades chroniques ne devraient pas passer par les urgences classiques lorsqu'elles sont confrontées à des difficultés liées à leur pathologie. Mieux prendre en compte la question du vieillir avec le VIH, la lutte contre le sida n'est pas que médicale elle est aussi sociale, il ne faudrait pas l'oublier. Rappeler à ces politiques que la santé est un droit fondamental, l'accès aux soins pour toutes et tous avec ou sans papier, avec ou sans couverture médicale. Il faudrait aussi réduire l'augmentation significative ces dernières années des consultations privées à l'hôpital public, que cesse la privatisation catastrophique pour l'ensemble des personnes malades et demandeuses de soins. L'hôpital public doit soigner de manière égalitaire toutes et tous. Aujourd'hui les inégalités se creusent car si vous avez 100€ pour payer une consultation privée à l'hôpital public, vous obtenez un rendez-vous en 15 jours 3 semaines et vous pouvez attendre jusqu'à 6 mois si c'est une consultation publique. Si ça ce n’est pas une médecine à 2 vitesses, je ne sais pas ce que c’est. Il faudrait aussi commencer par changer l'adresse de certains hôpitaux concernant la réclamation de certaines personnes malades, lorsqu'on est confronté à des adresses qui s'appellent clientèle@chu, on comprend vite que la santé est devenue un business. L'hôpital public n'est pas un lieu de rentabilité au même titre que la solidarité nationale.
C'est l'État qui doit dépenser de l'argent pour l'ensemble des citoyens et des citoyennes pour un accès aux soins pour toutes et tous sans conditions ni contrôles puisque la carte d’identité est de plus en plus demandée. Je souhaiterais également que l'on accorde l'allocation adulte handicapé à vie à toutes les personnes atteintes du VIH et de manière individualisée indépendamment de leurs conjointes, un combat porté par de nombreuses personnes séropositives et que des associations mènent depuis de très nombreuses années. Je souhaite également à ce que toutes les personnes séropositives ou atteintes d'autres pathologies soient libérées, sans aucune condition. La place des personnes malades n'est pas en prison ni en centre de rétention. Et nous sommes très loin de la qualité des soins équivalente pour les personnes incarcérées à celle prodiguée dans la population générale contrairement à ce que dit la loi du 18 janvier 1994, ainsi que le droit de vivre et de mourir dans la dignité. Il me semble important aussi de dire qu’avec la crise sanitaire, la prescription des masques ffp2 doit être effective pour toutes les personnes en ald sans aucune restriction, comme c’est le cas actuellement puisqu’un des critères est l’échec de la vaccination.
Ce qui a été annoncé comme une bonne nouvelle n’en est en réalité pas une. Je souhaite également que le ministère de la Santé redevienne le seul décideur des demandes de séjour pour soins et que le ministère de l’Intérieur cesse de s’immiscer dans toutes les questions sociales, sanitaires et médicosociales comme c’est le cas depuis de trop nombreuses années. Je souhaite également une complémentaire solidaire pour toutes les personnes bénéficiaires de l’AAH sans participation financière comme c’était le cas avant. Et surtout je souhaite la fin de cet état d’urgence, cet état d’exception où tous les pouvoirs sont concentrés entre le chef de l’état et le ministre de l’Intérieur, un état qui entrave et nous prive de nos droits les plus fondamentaux au nom de la protection de toutes et tous, j’y vois moi plutôt de la surveillance et du contrôle. Et plus que tout je ne veux pas que Marine Le Pen arrive au pouvoir je n’oublierai jamais les « sidaïques », les sidatorium de son père et Le Pen au pouvoir représente un danger et un avenir des plus sombres dans lequel je ne veux pas me projeter.
Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°33