Interviews du SNJMG : Santé des exilé-es

Publié le 1655732131000


Interview d’une des membres du Comede

Dans le cadre de notre mois sur les discriminations en santé, nous allons parler des discriminations envers les personnes exilées. Pour cela, nous avons interviewé Océane Gaigeot, médecin généraliste au Comede, comité pour le soutien des exilé-es.

Pouvez-vous présenter le Comede, ses actions, ses objectifs ?
Le Comede est une association qui a pour missions d’agir en faveur de la santé des personnes exilées et de défendre leurs droits. Notre équipe est composée d'une centaine de personnes salariées et bénévoles. L'association propose des lieux d'accueil en Île-de-France (Kremlin-Bicêtre, Pantin et Paris), à Saint-Etienne, Marseille et Cayenne en Guyane. Nous développons également des activités de formation, d'information et de recherche, notamment via nos permanences téléphoniques et des publications, par exemple les livrets de santé bilingue et le Guide du Comede. Nos actions reposent sur l’expérience pluridisciplinaire de l’équipe en matière de soins et d’accompagnement des personnes exilées. Elles sont conduites en partenariat avec d'autres associations, des institutions publiques et un réseau de professionnel·le·s de la santé, du droit et de l’action sociale.

À quelles problématiques sont confrontés les exilé.es pour l'accès aux soins ?
Du fait de leur statut juridique particulier, les personnes étrangères se trouvent confrontées à des difficultés spécifiques, essentiellement dues à des difficultés d'accès aux droits. Plusieurs réformes récentes, dont la dernière en novembre 2019 ont supprimé le droit à la protection maladie pendant les premiers mois de séjour en France, notamment le droit à la sécurité sociale pour les demandeurs d'asile et à l'aide médicale Etat pour les personnes sans titre de séjour. En outre par la suite, les personnes exilées peuvent traverser des périodes longues et récurrentes de rupture de ces droits. De plus, la complexité des procédures, la dématérialisation et des demandes abusives de justificatifs par les caisses d'Assurance maladie rendent souvent nécessaire le recours à un.e professionnel.le dans l'accompagnement de ces démarches. La difficulté d'accès à l'interprétariat professionnel est un obstacle supplémentaire dans l'accès aux droits et aux soins des personnes étrangères allophones. Le coût des transports en commun et la peur des contrôles d'identité sont également des freins, renforcés par la difficulté d'accès au réseau de soins de proximité (médecine générale de ville notamment) du fait de l'absence de protection maladie ou d'accès à l'interprétariat professionnel. À tous ces freins s'ajoute la forte compétitivité des besoins primaires (c'est-à-dire le besoin d'accès à un hébergement digne, à une alimentation quotidienne, à l'hygiène...) qui peut favoriser le non recours ou un renoncement aux soins. Actuellement, l'obligation du passe sanitaire pour accéder aux services hospitaliers et le coût des tests covid pour les personnes sans protections maladies sont des freins supplémentaires qui touchent particulièrement les personnes exilées.

Comment se passe l'accès à l'AME, dont le panier de soin est très réduit et l'accès de ce que nous savons peu aisé ?
Depuis 2020, l'accès à l'AME (Aide Médicale d'État) a été considérablement restreint. Alors qu'il fallait 3 mois de présence pour faire la demande, il faut maintenant 3 mois de situation irrégulière sur le territoire français. Cela prolonge d'autant l'accès aux soins et entraîne des ruptures de suivi et de traitement pour les personnes déboutées d'asile par exemple. Nous constatons de plus en plus de refus d'attribution de l'AME pour des personnes qui remplissent pourtant les critères d'attribution, et doivent alors renouveler leur demande.

De plus, l'accès à l'AME nécessite d'avoir une domiciliation qui est parfois refusée par les CCAS (Centre Communal d'Action Sociale), dont c'est pourtant la mission.

Quelles sont les conséquences pour leur santé des discriminations et barrière à l'accès aux soins auxquels ils font face ? Auriez-vous des éléments à nous apporter pour expliciter cet impact ?
Les violences dans le pays d'origine et sur le trajet ont un impact sur la santé mentale et physique des personnes exilées. À leur arrivée en France, nombreuses sont les personnes s'inquiétant de leur état de santé et l'absence d'accès aux soins devient une source supplémentaire de préoccupation. De plus, il peut y avoir une rupture de prise de médicament pour des maladies chroniques, des ruptures ou des retards de suivi de grossesse, un dépassement du délai légal de recours à l'IVG. Outre les refus de soins documentés par les pouvoirs publics chez certains professionnels de santé libéraux à l'encontre des personnes bénéficiaires de l'AME ou de la CSS, nous sommes également sollicités dans les permanences téléphoniques du Comede pour des restrictions, retards et parfois refus de soins à l'hôpital public pour des étrangers atteints de maladies graves et dans l'attente de leur ouverture de droits à l'AME ou à la sécurité sociale.
Les Maux d'Exil 53 et 66 traitent respectivement des discriminations dans l'accès aux soins des cancers et en néphrologie.

Les exilé-es subissent souvent l'accumulation de multiples oppressions. Retard de soins, mauvaise prise en charge de la douleur, jugements et propos racistes, discriminatoires des soignant-es, comment constatez-vous sur le terrain l'impact sur leurs prises en charge de toutes les discriminations dont ils font l'objet ?
C'est particulièrement auprès des personnes rencontrées dans le cadre de notre activité d'aller vers (nous intervenons dans un bidonville) que l'on observe de manière exacerbée les conséquences de ces multiples oppressions. On les retrouve également auprès des patient.es que nous accompagnons au sein de nos différents dispositifs. On constate une méfiance des lieux de soins et notamment des hôpitaux. Or il s'agit du principal lieu de soin accessible aux personnes sans protection maladie. Cette méfiance fait suite à des expériences négatives, parfois traumatiques, qui jalonnent leurs parcours de soins. Ce peut être un accouchement difficile sans la présence d'un.e proche ou d'un.e interprète, l'infantilisation des patient.es qui rencontrent des difficultés à suivre les conseils des médecins ou bien des refus abusifs d'inscription aux urgences, motivés par l'absence de d'adresse ou de pièce d'identité. Cette méfiance porte sur la crainte d'être de nouveau insulté, discriminé ou de se voir imposer des soins. Le recours aux soins est donc reporté au moment où la dégradation de l'état de santé est telle qu'elle ne peut plus être ignorée. L'accès aux soins fait donc dans la précipitation, souvent dans les services d'urgences déjà débordés et vient créer un nouvel évènement négatif. L'accès à la prévention est également inexistant dans ces situations.

Avez-vous des idées d'ouvrages, podcasts à conseiller aux soignant-es pour se sensibiliser à la question ? Comment mieux former les soignant-es a la question de la santé des exilé.es ?
Le guide de Migration Santé Alsace, Vers plus d’égalité en santé : guide de prévention et de lutte contre les discriminations, est un outil intéressant de sensibilisation aux discriminations dans les soins. Il propose également des ressources et conseils pratiques à appliquer face à une discrimination.
Le Comede dispose également de plusieurs outils pour aider les professionel.le.s dans l'accompagnement des personnes exilées :
• Le guide Comede en ligne : Guide.comede.org, en cours de mise à jour, dans le cadre d'un partenariat avec Santé Publique France.
• La revue Maux d'exil, publiée 4 fois par an, qui se consacre à un dossier abordé en regards croisés par différents intervenants du champs du médico-social. Le dernier en date portait sur l'épidémie de VIH/Sida.

La barrière de la langue est un obstacle supplémentaire qui limite l'accès aux soins. Les services d'interprétariat sont peu développés. Avez-vous des idées pour améliorer cela ?
Alors qu'il est possible dans la plupart des hôpitaux publics, le recours à l'interprétariat est souvent sous-utilisé soit par méconnaissance des soignant.es soit par instruction des directions hospitalières par soucis d'économie. Pourtant en 2017, le Collège de la Haute Autorité de Santé (HAS) émet un avis concernant la formation des acteurs et les bonnes pratiques du secteur sur l’interprétariat linguistique. Il y est ainsi précisé que les Programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins des plus démunis (PRAPS) incluent le développement du recours à l’interprétariat professionnel par les structures de santé, l’ancrant ainsi dans les politiques publiques au plus près des territoires de vie des personnes exilées. L’avis précise également que « le Collège considère que le respect des bonnes pratiques énoncées dans ce référentiel nécessitera la reconnaissance et un financement adapté des dispositifs d’interprétariat professionnel ».

Considérant que l’interprétariat professionnel en santé est un déterminant de l’accès aux soins et à la prévention des publics précaires, la question de l’harmonisation au niveau national de ses modalités de financement est un enjeu central pour garantir la généralisation de son utilisation par les structures de santé. Actuellement financé sur programmes régionaux de santé, il est primordial d’en assurer le financement pérenne pour garantir l’égal accès de toutes et tous à la santé ainsi que la qualité des soins prodigués.
Le Maux d'Exil n°49 revient sur l'importance de l'interprétariat professionnel dans les soins.

Quelles sont les actions/mesures qui pourraient améliorer leurs prises en charge ? Si vous deviez proposer trois mesures prioritaires quelles seraient-elles ?
Nous proposerions les mesures suivantes :
• Garantir l’accès à l’interprétariat aux personnes non francophones à toutes les étapes du parcours de soin et l'accès aux droits. Afin qu'elles puissent accéder plus facilement à une protection maladie et à des soins de qualité.
• Inclure l’Aide médicale de l’Etat (AME) dans le régime général de Sécurité sociale. Cela permettrait une simplification des démarches tant pour les usagèr.e.s que pour les professionnel.le.s ce qui favoriserait l'accès aux soins. Plus d'infos ici : https://cutt.ly/CJv0XBb
• Rendre accessible les soins primaires de proximité aux personnes sans protection maladie. En effet, pour les personnes sans protection maladie, le suivi de médecine générale n'est possible sans reste à charge uniquement dans les hôpitaux disposant d'un service PASS (Permanence d'Accès aux Soins de Santé), si on fait exception des rares PASS ambulatoires.

En pratique pour un-e soignant-e, quelles peuvent être ses ressources au niveau local ou national pour contribuer à la prise en soin convenable d'un-e exilé-e ? Y a t il des spécificités selon la tranche d'âge ?
J'en vois trois qui me semblent utiles au quotidien. Tout d'abord les livrets de santé bilingues, coédités par le Comede et Santé Publique France, qui sont un support de dialogue pour les personnes migrantes et les professionnel·le·s de la santé ou du social. Ils sont conçus pour aider à mieux connaître et maîtriser les enjeux de prévention en santé, à comprendre les circuits d'accès aux soins et aux droits. Gratuit, ces livrets sont disponibles en 15 langues et peuvent être commandés auprès de Santé publique France. Aussi, le caractère pluridisciplinaire du Comede nous a conduit à concevoir un guide pratique, conçu comme un pont entre des pratiques professionnelles qui concourent à la promotion de la santé des personnes exilées. Ce Guide tient compte de la complexité croissante des problèmes de santé des personnes : précarisation du statut administratif, transformation épidémiologique et diversification de l’origine géographique.
Une version intégralement en ligne est en cours d'élaboration et des premiers articles consultables à l'adresse Guide.comede.org. Enfin, les permanences téléphoniques (médicales, psychologiques et socio-juridiques) sont également une ressource précieuse en cas de difficulté face à une situation portant sur l'accès aux droits ou aux soins des étrangère.s.

Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°33

L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE

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