Interview : rencontre avec Karen, infirmière en santé au travail

Publié le 1653659703000

Bonjour Bernard,

Tout d'abord, je tenais à vous dire que j’ai un parcours personnel atypique, je ne sais pas si cela est important mais je tenais à vous le dire, j’ai commencé en santé au travail en 2006 en tant que secrétaire médicale, puis j'ai repris mes études en 2012 pour passer une licence en soins infirmiers, dans le but de rester et d’évoluer dans mon domaine d'activité.

Ma première expérience professionnelle a été très importante pour moi, elle m’a facilité mon intégration dans mon deuxième métier d’IST. En effet, à mon retour je connaissais déjà les équipes, leurs manière de travailler au quotidien, la législation liée à la Santé au Travail, les différentes institutions (sameth, Chsct, cramif… leurs fonctionnements et les liens éventuels que nous pouvons avoir avec certaines). Pour répondre plus précisément à vos questions, voici mes réponses.

Les derniers textes décrivant le fonctionnement des services et des équipes pluridisciplinaires ont profondément modifié les rôles de chacun et introduit de nouvelles pratiques et de nouveaux comportements se rapprochant du fonctionnement de l’équipe soignante. Comment s’est déroulé cette transition ?

Pour ma part, cette transition n'a pas été difficile, dans mon service la pluridisciplinarité a été mise en place depuis 2006 avec la formation des premiers assistants en Santé au Travail, puis l’année d’après des premiers Techniciens HSE, très rapidement aussi plusieurs professionnels transverses comme des psychologues du travail ou encore des ergonomes ont été recrutés et ont intégré les équipes.

Connaissant leurs manières de travailler, je n’ai pas rencontré personnellement de difficulté à m’intégrer à cette équipe pour travailler en pluri, chacun connaissant ces domaines de compétences. Cependant, je sais qu’il peut être difficile pour certaines IST de s’intégrer dans les équipes telles qu’elles existaient en 2012, les IST ont été les derniers métiers à être intégré dans les équipes. De part leurs formations, ils agissent sur deux domaines différents au même titre que le Dr, ils ont un pendant médical mais aussi un aspect technique devant intervenir en entreprise pour différentes actions. Souvent, ils ont pu être vu comme des « concurrents » par certains membres de l’équipe pluri.

Il est important encore aujourd’hui de rappeler à chacun les domaines de compétences de chacun mais aussi de former les équipes à travailler en pluridisciplinarité, cela fait partie de nos formations à l'IFSI.

Ce nouveau rôle que vous assumez d’écoute, de questionnement en même temps de formation et de sensibilisation correspond-il à votre formation ? Quel regard portez-vous sur votre formation reçue ? que pensez-vous de la revendication que l’on porte à la CFE-CGC que cette formation ne dépende pas du service dans lequel on fonctionne mais ait un label universitaire qui permet de conserver sa qualification si on change de service ?

Notre référentiel de formation infirmier est articulé autour de l’acquisition des compétences requises pour l’exercice des différentes activités du métier d’infirmier quel que soit le secteur.

Au travers de différentes Unités d’enseignement, nous apprenons à promulguer différents soins notamment les soins relationnels (relation d’aide au cours d’entretien d’aide) mais aussi des soins liés à la Santé publique, ainsi que des soins éducatifs et préventifs, la plupart dans le cadre de notre rôle propre d’infirmier. Nous apprenons à formaliser par ailleurs des diagnostics infirmiers qui contribuent au même titre que les diagnostics médicaux à la prise en charge efficiente des patients. Les infirmiers sont aussi au long de leurs études formés aux Soins infirmiers et à la gestion des risques, à organiser et à coordonner des interventions soignantes mais aussi et enfin à tenir leur rôle dans l’organisation du travail et de l’équipe. Nous sommes donc formés à travailler, dès le début de notre vie professionnelle en interprofessionnalité. De même, notre cursus universitaire nous forme au domaine de la recherche.

Vous faites partie de l’équipe pluridisciplinaire animée et coordonnée par le médecin du travail et qui est porteuse de l’action prescrite au service par les textes.
Avez-vous le temps de pouvoir échanger entre vous, c’est-à-dire entre les membres de l’équipe pluridisciplinaire ? C’està-dire avec le médecin ? Y a-t-il un temps dédié à cet échange ?
Avez-vous le sentiment d’être totalement membre de cette équipe ou considérez-vous que c’est une coquille vide ?

Il est important dans le cadre d’un travail pluridisciplinaire de pouvoir se rencontrer afin d’échanger sur nos problématiques rencontrées dans différents lieux de travail ou différentes prises en charges de certains salariés. Nous avons mis en place très rapidement des réunions d’échanges. Afin de faciliter ces moments, une fois par mois nous nous réunissons tous les membres de l’équipe pluri autour du Dr pour travailler sur les actions en cours ou à mener (FE, métrologies, analyse de FDS, études ergo, chimie, etc.) dans le but de faire un point sur l’avancée des travaux mais aussi de la prise en charge globale de la collectivité du médecin. C’est un temps privilégié pour le médecin et moi, en effet cela nous permet d’avoir un regard global sur la collectivité, les lieux de travail et ainsi être plus pertinent lors des entretiens individuels avec les salariés.

Je formalise également des temps « de staff IST-Dr » avec une fréquence de deux réunions par mois, j’y expose principalement les dossiers qui ont posé problème :

  • Des salariés qui ont des ATDC professionnels spécifiques (amiante, plomb, travail au bois, travail avec des produits chimiques) ou qui sont potentiellement encore concernés mais non déclarés en SIR.
  • Des salariés rencontrant des pathologies particulières, des difficultés sur le lieu de travail, etc.
  • Des informations recueillies (PSE en cours, mutation du siège, réorganisation managériale d’une unité, etc.), afin d’informer le Dr des mouvements dans sa collectivité.

Je me sens complètement intégrée dans l’équipe pluri et je suis certaine que chaque membre de celle-ci par ses compétences dans des domaines différents, ainsi que nos échanges incessants, nous permet de nous enrichir dans nos pratiques mais aussi de progresser dans notre prise en charge globale des salariés et des entreprises.

Dans l’équipe pluridisciplinaire, seul le médecin est protégé et bénéficie d’une réelle indépendance statutaire. Que pensez-vous de ce que l’on réclame pour les membres de l’équipe pluridisciplinaire c’est-à-dire de bénéficier d’un statut d’indépendance du même ordre ?

Il est, en effet, important que les membres de l’équipe pluri puisse bénéficier d’un statut d’indépendance afin de pouvoir exercer en toute transparence et en toute neutralité leurs métiers. Sans cette indépendance, les professionnels et particulièrement les salariés en service autonome ne sont pas protégés.

Dans votre exercice, il est nécessaire de tenir à jour ses connaissances, non seulement médicales mais aussi de connaissance des postes de travail et des risques associés. Par ailleurs, en tant que professionnelle de santé vous devez répondre aux obligations du développement professionnel continu. Avez-vous un temps et des moyens dédiés à ces obligations ?

En effet, dans notre décret de compétences, il est notifié que nous avons l’obligation, au même titre que les Dr, de tenir à jour nos connaissances dans le domaine médical.

Cependant, pour moi, il est tout aussi, voire plus important, de gagner en connaissance dans le domaine de la santé au travail : des formations récurrentes sur les postes de travail et les risques qui y sont liés ainsi que la mise à jour de la législation.

Notre formation de 150 heures n’est que très peu suffisante pour exercer dans des secteurs d’activité à haut risque, il est nécessaire d’ouvrir plus de places en licence en santé au travail, mais aussi dans des masters qui nous permettraient de nous spécialiser dans le domaine de la santé au travail. Notre formation en soins infirmiers, nous permets de travailler en Santé au travail, de pouvoir mener des entretiens individuels, d’élaborer un curriculum laboris, ainsi que relever les ATCD perso ou familiaux pertinents, mais ne nous permets pas de connaître et de faire des liens entre les risques professionnels et les répercussions au point de vue santé.

Comment voyez-vous votre avenir et qu’aimeriez-vous changer dans la situation actuelle ?

Je travaille sur un secteur où le temps médical est fortement réduit et risque de continuer à se réduire davantage dans les années à venir. Il est difficile de se projeter dans l’avenir et d’anticiper nos futurs pratiques, mais pour moi il est dommage de ne pas commencer dès aujourd’hui à réfléchir sur ce point ; Les médecins du travail voient accroître significativement, depuis quelques années et de façon exponentielle les situations d’urgences, toujours plus de reprises ou de visites de pré-reprise avec une augmentation importante d’inaptitudes. Les embauches des SIS (VIPI) ainsi que les VIPP sont pour la majorité menées, aujourd’hui, par les IST. Mais il faudrait, de mon point de vue, soulager davantage les Dr, en permettant, par exemple, aux IST, dans le cadre de protocole et de pratiques avancées, de mener certaines reprises de travail (les reprises mater) mais aussi de pouvoir effectuer certaines pré-reprise lors d’un premier entretien avec le salarié, nous pourrions recueillir des données, faire un premier bilan, réunir les différents comptes rendus ou données pertinentes afin de raccourcir le temps de ces visites qui sont souvent chronophages pour les médecins.

Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°56

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