Interview : Pr Patrick GOUDOT & Dr Maud WILLIAMSON

Publié le 31 May 2022 à 15:16


Bonjour Maud, bonjour Patrick. Maud tu es chirurgien pédiatrique et tu exerces à la fois à l’hôpital et en secteur libéral. Patrick tu es également chirurgien (maxillo-facial), tu viens de quitter ta chefferie de service en CHU après 17 ans (8 au CHU de Montpellier et 9 à la Pitié Salpêtrière) de bons et loyaux services. Tu as actuellement une activité exclusivement hospitalière mais ton parcours professionnel comporte un passage par le secteur libéral pendant 9 ans. Maud, tu as débuté ton exercice à l’hôpital en novembre 2007 (à la fin de mon clinicat... mais bien avant si on tient compte de l’externat !) et toi Patrick... un peu plus tôt ! Vous avez accepté tous deux de livrer votre vision de l’hôpital via le même questionnaire. En voici les réponses.

Donnez-moi 5 mots qui définissent l’hôpital dont vous, futurs médecins, vous rêviez ? L'hôpital actuel où vous, médecins hospitaliers, vous exercez ?
5 mots pour définir l’hôpital dont je rêvais :

MAUD : Ouvert à tous, accueillant, du plus haut niveau, à la pointe de la recherche, formateur. PATRICK : Excellence, collégialité, dynamisme, recherche, évolution.
5 mots pour définir l’hôpital tel que je le vis :
MAUD :
Ouvert… à peu près à tous, Administratif, Lourd, Pesant, tellement Difficile à faire évoluer..., Maltraitant pour son personnel (médical, paramédical, non soignant), Triste, Déprimé, Déprimant (Bon, ok, ça fait plus de 5 mots…).
PATRICK : Eh bien les mêmes plus la Lourdeur et la Suffisance. Je ne vais pas jouer les « vieux » moralisateurs et amers mais quand je me remémore mes débuts dans l’hôpital, ce qui me vient à l’esprit ce sont la confraternité et l’entraide, tant entre les ainés et les jeunes qu’entre la ville et l’hôpital. Ma carrière hospitalière a débuté à Châteaudun, en tant que FFI. Dans cet hôpital local, les chefs de service étaient aussi des praticiens libéraux et ils partageaient leur activité entre la Ville et l’Hôpital. Nous, les jeunes de l’hôpital, allions assurer leurs remplacements en ville et eux, les ainés assuraient notre formation avec confraternité et exigence. Les relations entre la ville et l’hôpital étaient fluides... mais il est vrai, la ville participait alors à la permanence des soins.

Dans l'absolu, l'hôpital tel qu'il devrait être, c'est quoi pour vous médecins hospitaliers ?
MAUD :
Un lieu où l’on peut trouver les meilleures compétences et technologies, mais où l’on a aussi le temps d’écouter, de prendre en charge, de former, de réfléchir à d’autre façons de faire, d’inventer… Un lieu d’accueil, où il soit facile de se rendre, de consulter ; un lieu ouvert, communicant avec les médecins de ville, facilitant les échanges (et non jaloux de SES dossiers, de SES patients) …
Enfin, un lieu accueillant et formateur pour les étudiants et non maltraitant comme il l’est trop souvent.
PATRICK : On doit pouvoir avoir les moyens d’assurer la même qualité d’attention aux soins quel que soit l’hôpital. Et ces moyens humains, matériels nous devons pouvoir en disposer quelles que soient les circonstances : l’hôpital a besoin de souplesse pour répondre à ses missions et actuellement nous n’avons que rigidité du fait de l’insuffisance de moyens. Les circonstances dont je parle ne sont pas des circonstances exceptionnelles mais celles de la vie de tous les jours ; les urgences, les imprévus font partie de la vie de tous les jours dans les hôpitaux.

Je voudrais tant que tu te souviennes

Dans la réalité, quels sont à votre avis les 3 principales raisons qui empêchent que l’hôpital atteigne ses objectifs ?
MAUD :
Le manque de temps : Par manque de moyen et de personnel, on n’a plus le temps d’écouter les patients, de se poser pour réfléchir, de prendre du recul ; plus le temps d’accueillir les étudiant et de les former correctement.
La surcharge administrative : Une nouvelle façon de procéder, ne peut être mise en place sans passer devant 10 commissions successives ; les codages, cotations, et autres comptes-rendus, prennent beaucoup de temps ; les secrétaires médicales étant petit à petit supprimées, le courrier ou les comptes-rendus sont fait par les médecins… à cela s’ajoute un frein de l’administration : le directeur de l’hôpital gère un budget et ne connait pas toujours les implications de ses décisions (ou non-décisions).
Tout cela entraîne une inquiétude généralisée qui pousse au repli sur soi, empêche d’accueillir comme il le faudrait, les patients, les accompagnants, les étudiants…

PATRICK :
D’abord les choix politiques avec des injonctions paradoxales : on nous demande d’être rentables, d’augmenter l’attractivité et l’activité, sans investissement en regard : voyez nos locaux, les conditions d’accueil des patients. Où est la considération pour les patients et les équipes ?
Ensuite un dialogue insuffisant entre tous les acteurs de l’hôpital : médicaux/paramédicaux/administratifs et il faut disposer de temps pour permettre l’échange et du temps, nous n’en avons plus.
Cela a commencé lors de l’instauration des 35 heures : l’hôpital a choisi de faire autant sans embaucher, et depuis, cela continue.

Par manque de moyen et de personnel, on n’a plus le temps d’écouter les patients, de se poser pour réfléchir, de prendre du recul ; plus le temps d’accueillir les étudiant et de les former correctement.

Dans la réalité, pensons à 3 choses que nous, médecins hospitaliers, pourrions faire afin de nous rapprocher de ces objectifs ?
MAUD :
Prendre le temps, imposer son rythme à l’hôpital
, refuser la course contre la montre imposée par les directions.
Voir ce qui se fait ailleurs : à l’étranger où en France, dans d’autres départements, d’autres structures…
Discuter, échanger de façon formelle et informelle, entre médecins et non médecins, soignants et non soignants, pour trouver, ensemble, des voies d’amélioration…

PATRICK :
Essayer d’élever nos exigences scientifiques...

Renverser les « baronnies » : « mon » bloc, « mes » lits, « mes » étudiants, mais que sont ces notions de possession ? Partageons les moyens, acceptons d’exercer au sein d’équipes suffisamment importantes pour que chacun de nous puisse trouver de l’intérêt à son exercice, partager, collaborer...
Accepter la remise en cause, instaurer un fonctionnement participatif avec l’ensemble de l’équipe.

Si vous deviez défendre l'hôpital au tribunal international des droits de l'homme, vous diriez quoi ?

MAUD : L’hôpital peut permettre d’assurer à chacun, le droit d’être soigné, dans les meilleures conditions, quel que soit son origine ou ses conditions économiques. Il permet de regrouper, autour du patient, tous les spécialistes et les moyens techniques dont il a besoin. Il faut lui donner les moyens d’assurer cette belle mission !

PATRICK : D’abord, la gloire de l’hôpital public c’est de traiter et d’accueillir tout le monde. Soyons sérieux : notre système de santé le permet. En deuxième lieu, la fonction de l’hôpital public c’est aussi une fonction de formation (du personnel médical et paramédical) ; l’hôpital public participe à la construction de l’avenir de la médecine par la transmission. A l’hôpital, tous les professionnels apprennent, progressent, évoluent. Ne nous leurrons pas : la formation n’est pas une option, c’est un enjeu majeur d’attractivité... d’ailleurs le secteur privé s’y implique, preuve qu’il y a de plus une rentabilité économique ! Enfin, l’hôpital a un rôle social indéniable. Il est souvent le premier employeur du département. Il doit rester dans la ville, cela procède de l’accès aux soins.

Finalement : bien sûr, tout n’est pas rose mais, nous disposons en France d’un réseau hospitalier assez exceptionnel... raison de plus pour le préserver !

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°14

Publié le 1654003009000