
« Nous devons en permanence protéger le secret médical face à la demande de la pénitentiaire et de certains magistrats. »
Le Dr Fadi Meroueh est chef de service de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Montpellier). Il se bat pour une éthique de soins en milieu carcéral qui soit autant respectée dans les murs qu’à l’extérieur.
Quel est votre parcours ?
Dr Fadi Meroueh.- J’ai été diplômé en 1986 en médecine générale avec une spécialisation en nutrition. Je souhaitais être visiteur de prison, finalement, on est venu me chercher en 1997 pour exercer eux jours par semaine à la maison d’arrêt, puis à mi-temps. En 1998, je suis devenu médecin-chef tout en gardant mon cabinet en médecine générale. Depuis 2001, je suis rattaché au CHU de Montpellier du fait de la loi Kouchner de 19941. En 2004, j’ai fermé mon cabinet, j’ai passé le concours de PH. Et cette année, j’initie un nouveau DU « Ethique des soins en milieu carcéral ».
Quelles sont les spécificités d’une maison d’arrêt ?
Dr F.M.- En maison d’arrêt, les détenus restent entre 3 mois et 2 ans, le temps de leur jugement. Nous voyons 2 200 personnes chaque année, sans savoir combien de temps on pourra les suivre. Les pathologies sont très diverses (toutes les pathologies sont présentes en prison) avec une prévalence très élevée d’hépatite C, de VIH, d’addictions et de troubles de la santé mentale. Nous avons pu mettre en place le traitement systématique de l’hépatite C en milieu carcéral en 2014, et tous nos patients atteints de cette pathologie sont traités. C’est une première en France.
Nous ne faisons pas de la médecine pénitentiaire, nous exerçons en milieu pénitentiaire
Quelle est la principale difficulté de l’exercice médical en milieu carcéral ?
Dr F.M.- En tant que soignant, le plus difficile est de faire abstraction des murs pour exercer notre métier. Nous ne faisons pas de la médecine pénitentiaire, nous exerçons en milieu pénitentiaire. Il arrive même qu’un magistrat envoie un toxicomane - qui a volé par exemple - en prison en argumentant qu’il pourra ainsi se faire soigner, il confond la maison d’arrêt avec un lieu de soin ! La prison n’est pas un lieu de soin, mais un lieu où l’on soigne.
Comment se compose l’équipe médicale de votre unité sanitaire ?
Dr F.M.- Nous sommes 24 en équivalent temps plein : médecins généralistes, psychiatres, cadre de santé, psychologues, infirmiers, pharmacien et préparateurs en pharmacie, dentiste, manipulateur radio, kiné et secrétaires. Nous sommes une équipe soudée. Nous recevons aussi des internes en médecine générale et en psychiatrie. Et bien sûr des stagiaires infirmières, secrétaires, psychologues…
Qu’est-ce qui est le plus difficile pour les internes ?
Dr F.M.- Ils apprennent à avoir une proximité avec le patient tout en maintenant une distance. Il faut qu’ils expliquent clairement aux patients que s’ils prescrivent un traitement c’est que celui- ci est nécessaire sur le plan médical et uniquement pour cette raison. Il ne faut ni avoir peur ni avoir pitié. Je ne dis pas que tout est rose, mais il y a encore un respect des « blouses blanches ».
Quel regard portez-vous sur vos fonctions avec le recul ?
Dr F.M.- Mon métier est toujours en évolution mais c’est aussi une lutte permanente pour défendre notre déontologie face à l’administration qui pense sécurité quand nous parlons soins. Nous devons en permanence protéger le secret médical face à la demande de la pénitentiaire et de certains magistrats. C’est pourquoi j’ai mis en place un DU « Ethique des soins en milieu carcéral » qui débutera en novembre 2018 à la fois pour le corps sanitaire et celui judiciaire.
Propos recueillis par Vanessa Pageot
DU « ÉTHIQUE DES SOINS EN MILIEU CARCÉRAL »
En novembre 2018, l’université de Montpellier propose ce nouveau DU porté par le Dr Fadi Meroueh avec :
- Organisation santé-justice (santé en milieu carcéral, la vie en détention, les droits de la personne détenue).
- Spécificités des soins en milieu carcéral.
- Éthique et soins (secret médical, droits de l’homme, notion de secret partagé, isolement, grève de la faim, certificats médicaux et relations interprofessionnelles).
- Santé mentale et expertise (psychiatrie, suicide, violences, organisation de la justice en France).
+ d'infos sur le site : https://du-diu-facmedecine.umontpellier.fr
1 Le Dr Meroueh est aussi formateur en DU addictologie.
2 La loi du 18 janvier 1994 rattache les médecins de prison au corps hospitalier et non plus au ministère de la Justice
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°20

