Actualités : Interview du PR NICOLAS KLUGER

Publié le 26 sept. 2024 à 15:16
Article paru dans la revue « FDVF-RJD - La Revue des Jeunes Dermatologue » / FDVF N°1

Pr Nicolas KLUGER
Associate Professor, Dermatology & Venereology
Helsinki University Hospital

 

Camille LOISEAU.- Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ? 

Nicolas KLUGER.- Je suis dermatologue. J'ai exercé en tant qu'interne et chef de clinique à Montpellier, puis je suis parti en Finlande pour ma thèse de science en 2011. Je suis maintenant professeur-assistant de dermatologie à Helsinki (équivalent MCU-PH). J'anime également une consultation tatouage à Bichat depuis 2017, une fois par mois.

C. L.- Vous êtes actif sur les réseaux sociaux, pensez-vous qu'ils auront une place prépondérante dans l'activité des jeunes dermatologues ? 

N. K.- Oui ils ont une place prépondérante, mais il faut les utiliser avec vigilance. Tout dépend de la façon dont on s'en sert.

Personnellement, je suis actif sur les réseaux afin d'informer sur les sujets qui m'intéressent, notamment les tatouages. Je fais aussi de la publicité sur mes publications, du networking et j'essaie d'amplifier mon réseau. 

Il faut rester attentif concernant certaines dérives. Par exemple faire de la publicité mensongère sur son activité. Toutefois en France ce n'est pas vraiment un problème actuel. Au vu de la pénurie de dermatologues, je ne pense pas qu'ils aient besoin de cela pour leur patientèle !

Dans le secteur de l'esthétique, les réseaux sociaux sont importants. En effet, la plupart des praticiens ont leur compte Instagram pour mettre en avant leur travail avec le Botox, les Fillers… Donc oui, ils doivent avoir une présence médiatique pour assurer leur visibilité. 

Être présent sur les réseaux n'est pas toujours positif. Cela peut devenir vraiment chronophage, on perd alors le plaisir de partager. Je conseillerais de préférer un seul réseau (tiktok, instagram…) car c'est très difficile d'être partout en même temps. 

Certains sont professionnalisés (dermato drey ou Dr Marie Jourdan…). C'est un choix de vie et je respecte tout à fait. Personnellement, j'ai essayé mais je me suis perdu, cela me prenait trop de temps. Je préfère rester spontané et conserver du temps libre. On se demande si certaines personnes font vraiment autre chose à côté de leur activité professionnelle vu leur omniprésence sur les réseaux !

Pour revenir à votre question, évidemment qu'il faut être sur les réseaux sociaux de nos jours, rien que pour s'informer et rester curieux ! Les possibilités sont immenses via les journaux, les différents comptes professionnels, mais également via les profils personnels des collègues. Je demande moi-même parfois des avis sur twitter par message privé. C'est un réseau parallèle sur lequel on peut discuter, notamment de choses non dermato !

C. L.- Comment en êtes-vous venu à devenir spécialiste des dermatoses dues aux tatouages ? 

N. K.- Un mixte entre le hasard et l'intérêt. 

Les tatouages m'ont attiré à partir de 2002 environ, pendant mon internat. C'est le moment où se faire tatouer est devenu « à la mode ». Initialement, je n'ai pas osé m'y consacrer. C'est là qu'arrive le hasard, par la combinaison de deux éléments à cette période. 

Tout d'abord, j'ai été confronté en consultation à un patient italien tatoué, atteint d'une sarcoïdose sur tatouage et d'une hépatite C. J'ai alors recherché de la littérature sur les tatouages. Et à ma grande surprise, il y en avait ! Mais elle restait peu développée en France. J'y ai donc vu une opportunité de développement professionnel. 

Deuxièmement, ma compagne de l'époque s'est fait tatouer. J'ai pu découvrir l'autre facette du tatouage : le travail initial de l'artiste tatoueur. 

Finalement, j'ai cédé rapidement par la suite avec mon premier tatouage… et cela continue depuis, le petit dernier date d'il y a quelques semaines.

Je tiens à préciser qu'il existait déjà une dermatologue spécialisée sur le sujet dans les années 1990 : Catherine Grognard. Quand mon intérêt a évolué, elle commençait à arrêter son activité sur les tatouages. Elle a donc laissé la place libre. Un heureux hasard ?

C. L.- Quels conseils doit apporter un dermatologue aux patients souhaitant se faire tatouer ? Que pouvons-nous prévenir ?

N. K.- Le principal conseil destiné à tout dermatologue : Avoir une attitude sans jugement. 

Puis, en tant que professionnel :

• Il convient de s'assurer que le patient est sûr de lui, qu'il a une idée fixe et que ce n'est pas un désir impulsif. La première complication reste le regret et emmène au détatouage.
• De même, toujours choisir un tatoueur professionnel pour s'assurer d'un résultat esthétique.
• Concernant les dermatoses, il faut faire simple : ne tatouer un patient avec une dermatose chronique que si celle-ci est en rémission complète ou non évolutive. L'exemple type est le psoriasis. Le risque est théoriquement plus important, notamment face à un phénomène de Koebner.
• Prendre en compte les traitements associés, notamment immunosuppresseurs ou biothérapies.
• Il y a peu de contre-indications très strictes. Concernant la dermatologie, on retient surtout l'antécédent de chirurgie carcinologique (cicatrices de mélanome, de CE, de CBC, ou même de naevus), car le tatouage peut masquer les résurgences naeviques. 

C. L.- Une anecdote sur un tatouage ou une prise en charge ? 

N. K.- Le grand classique : La réaction allergique à un colorant du tatouage. Une de mes patientes ayant fait une réaction allergique au rouge me demande si elle peut se refaire tatouer la même couleur, ce que je réponds de façon négative évidemment. Elle ne m'écoute pas et se refait tatouer avec un peu de rouge. Évidemment, je reçois une photo de sa part pour demander pourquoi son nouveau tatouage la démange !

J'ai aussi d'autres patients qui ont oublié qu'ils avaient fait une allergie… Piqûre de rappel lors du nouveau tatouage ! Ces exemples sont heureusement rares. 

Pour rappel, actuellement il est recommandé de ne pas se faire tatouer avec la même couleur ou ses dérivés (exemple avec le rouge : rose, orange, violet), et ce même si l'on change de marque.


C. L.- Vous exercez en Finlande, pourquoi ce choix ? En quoi l'exercice finois varie-t-il de l'exercice français ?

N. K.- Pour une pluralité de raisons personnelles et professionnelles.

Tout d'abord, j'ai fait un stage de 3 mois en Suède durant mon externat. J'avais beaucoup apprécié cette expérience. Puis, en tant qu'interne j'ai réalisé des stages en Finlande à deux reprises.

Aussi, mes origines sont finlandaises du côté maternel, et j'ai toujours été attiré par les pays nordiques et leur mode de vie, donc pourquoi ne pas essayer !

Vue de la rue Kanavaranta avec la cathédrale Uspenski et la rue Pohjoisranta

 

Les grandes différences entre l'exercice finois et français :

• Le temps de travail est plus court en Finlande : On commence plus tôt, vers 8h et on fi nit vers 15h car les journées sont décalées (fermeture de crèches et dîner vers 17h…).
• Les journées sont moins chargées : 5 à 7 patients par jour (contre 15 patients en une demi-journée à Montpellier).
• En Finlande, il y a un plus grand respect du temps de travail et du temps de repos, on ne fait pas d'heures supplémentaires.
• La culture de la famille est très prononcée. Il y a une grande protection de la vie personnelle, notamment de la grossesse, du temps familial et des enfants. Je n'ai jamais été témoin d'une pression envers les femmes enceintes de la part de supérieurs hiérarchiques. La maternité et les enfants sont prioritaires. De ce fait, les internats durent plus longtemps en Finlande, c'est fréquent que les femmes internes soient enceintes une à deux fois (impensable en France) ! Cela est très plaisant également pour les hommes, par exemple si leur enfant est malade, c'est possible de s'absenter immédiatement. Cela s'applique aussi à tous les divers tracas quotidiens.
• Mais inversement, les finlandais ne savent pas travailler dans l'urgence. Ils sont très vite débordés, trop habitués à un rythme de travail lent.
• De même, il est difficile de motiver les internes pour la recherche. Le travail personnel chez soi n'est pas ancré dans les mœurs finlandaises…

C. L.- Avez-vous un message à faire passer aux jeunes dermatologues ?

N. K.- Je voudrais leur dire qu'il est possible de commencer très tôt la recherche, qu'il ne faut pas avoir peur de s'y mettre précocement si l'on est intéressé par un sujet. J'ai commencé en 2005, au bout de trois ans d'internat. Si l'on est passionné, il faut savoir s'ouvrir des portes, pourquoi attendre ?

Un autre message : Voyagez en tant que dermatologue. 

Quel enrichissement d'aller à l'étranger dans d'autres services ! Par exemple, beaucoup d'internes d'Europe de l'Est font des visites dans d'autres pays pour y découvrir le fonctionnement. 

Un dernier message, non des moindres : Ne pas avoir peur de prendre du temps pour soi. En France on a tendance à vouloir tout valider rapidement, mais il est important aussi de savoir prendre son temps, s'épanouir dans son métier et différents projets. 

C. L.- Qui aimeriez-vous découvrir dans la prochaine interview de la RJD ?

N. K.- J'aimerais lire Pr SAMIMI MAHTAB, dermatologue de Tours. Elle est jeune, drôle, très intelligente et c'est une self made woman. De plus, elle est très impliquée pour les internes, notamment le quizz des JDP. Ce serait une belle reconnaissance pour cette femme passionnée.

Camille LOISEAU
Interne en Dermatologie à Lille
Vice-Presidente Partenariats de la FDVF 
Rédactrice en chef de la Revue des Jeunes Dermatologues

Publié le 1727356568000