
Transmission des savoirs en psychiatrie, quelles evolutions ?
Un temps variable et limité et des modalités hétérogènes sont consacrés à l’apprentissage de la psychiatrie au cours du 2ème cycle des études médicales malgré l’existence d’un programme national. L’interne qui fait le choix de cette spécialité a ensuite quatre ans pour parcourir et se former à une discipline riche et variée, aux apports théoriques multiples, aux diversités de pratiques permanentes, aux évolutions constantes. L’internat vise donc en peu de temps à acquérir de solides connaissances pour exercer la psychiatrie, et à développer ses compétences cliniques et thérapeutiques par la pratique. Le Professeur Nicolas Franck, chef du service universitaire de réhabilitation du centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, du centre ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive, et Président de l’AFRC (Association Francophone de Remédiation Cognitive), nous a fait l’honneur de répondre à nos questions autour de la formation et de la transmission des savoirs en psychiatrie.
SC : D’une manière générale, avez-vous l’impression qu’on enseigne la psychiatrie aujourd’hui pendant l’internat de la même manière qu’il y a 20 ans ?
NF : Non, cela a fortement évolué. Tout d’abord l’enseignement s’est structuré autour d’une mutualisation régionale ou inter-régionale. De plus des séminaires se sont mis en place de manière large. Des résidus des difficultés passées persistent néanmoins, avec un manque d’intégration des différentes écoles, approches et outils thérapeutiques, hérité des anciens clivages. Il est fondamental de restructurer l’enseignement selon une vision d’ensemble intégrative, en partant des besoins médicaux (diagnostiques et thérapeutiques) et en explicitant les indications différentielles des différents outils thérapeutiques. En Suisse par exemple, tous les étudiants bénéficient d’un enseignement de base des approches systémique, psychanalytique, cognitive et comportementale… Cela permet d’être capable de poser les indications intégratives, dans l’intérêt des patients. La psychiatrie est encore en recherche d’identité, en mutation, ce qui entraîne des difficultés pour la formation. Il serait intéressant de se baser sur un référentiel de compétences métier pour la psychiatrie, comme il en existe pour les médecins généralistes ou les sages-femmes. Il s’agit de définir quelles compétences sont nécessaires pour aboutir dans une situation donnée à telle ou telle décision. On rencontre encore en France un « effet d’école », avec des disparités entre les régions, les villes : un référentiel permettrait de réduire les inégalités qui en découlent en termes de formation
SC : Les MOOC (Massive Open Online Course) sont des cours en ligne, souvent produits et validés par les universités, françaises ou étrangères. Ils permettent une participation illimitée et en libre accès via le web, et donnent parfois lieu à une validation de connaissances. Connaissez-vous les MOOC ? Pensez-vous qu’ils puissent être développés et portés par les universités françaises pour diffuser les connaissances en psychiatrie ?
NF : Les MOOC sont effectivement bien connus mais parfois un peu contraignants dans leur conception, avec la nécessité de l’évaluation des connaissances. Les vidéos pédagogiques sont des outils moins complets mais intéressants dont l’utilisation contribue déjà à améliorer la diffusion des connaissances
En Auvergne-Rhône-Alpes, nous sommes en train de modifier l’enseignement de la réhabilitation lors du DES : à la place de la vidéo-conférence, qui est sujette aux aléas techniques et aux difficultés d’interactions, nous instaurons une base pédagogique commune reposant sur des fichiers PowerPoint associés aux voix des intervenants ayant construit les supports. Ces fichiers seront diffusés en parallèle dans les 4 subdivisions, mais la discussion se fera localement au sein de chacune d’entre elle avec un enseignant qui accompagnera les étudiants tout au long de la journée, afin de favoriser les échanges et les questions.
SC : A l’heure de l’innovation pédagogique et des nouvelles technologies… : MOOC, enseignements par simulation, serious games, vidéoconférences... un progrès ?
NF : C’est un progrès, les serious games par exemple sont des supports déjà utilisés dans le soin, comme par exemple le programme de remédiation cognitive RC2S. La technologie nécessaire est désormais bien disponible et accessible pour développer de tels outils. Dans l’enseignement, et notamment dans le premier cycle (enseignement des sciences humaines en FGSM3) et dans le second cycle (enseignement de la psychiatrie en 5ème année), nous utilisons à la faculté de médecine Lyon Sud des jeux de rôle basés sur des synopsis (un script étant communiqué à l’étudiant qui jouera le médecin et un autre script à l’étudiant qui jouera le patient). En ce qui concerne l’enseignement de la psychiatrie, nous avons mis en place cette modalité d’enseignement avec le Dr Elie Peneau, après nous être tous deux formés à la simulation relationnelle. En ce qui concerne les sciences humaines et sociales en 3ème année, 3h30 d’enseignement sont désormais consacrées à des jeux de rôle autour de la relation médecin malade
SC : Quelles sont à votre avis les types de ressources pédagogiques actuellement les plus utilisées par les internes en psychiatrie ?
NF : Peut-être les ressources en ligne ? J’ai l’impression que les internes utilisent couramment des moteurs de recherche comme Pubmed puis accèdent aux articles scientifiques en ligne
SC : Dans l’enquête nationale AFFEP de 2015-2016 sur l’e-psychiatrie, 33 % des internes déclaraient privilégier les livres « papier », 27 % les articles scientifiques en ligne, et 20 % les sites internet et applications mobiles offrant des ressources pédagogiques. Les livres « papier » restent en tête des supports pédagogiques préférés des internes…
NF : Très intéressant, mais alors, comment les internes choisissent-ils les livres qu’ils vont acheter ?
SC : Nous n’avions pas posé cette question. En tout cas, le support papier semble encore présenter certains avantages pratiques et de confort de lecture.
NF : Et on peut ajouter qu’un ouvrage papier est souvent plus « abouti » et complet que des articles ou supports numériques pris de manière isolée
SC : Beatrice Castro, responsable éditoriale, nous a rejoint afin d’évoquer l’EMC (Encyclopédie Médico-ChirurgicalePsychiatrie). C’est un recueil accessible en ligne plutôt exhaustif d’articles validés dans le champ de la psychiatrie, dont vous êtes Pr Franck le directeur scientifique. Quels sont les aspects innovants de ce traité et quels en sont les principes, notamment dans le choix et la conception des articles ?
NF : C’est un formidable outil de diffusion de la connaissance, dont le contenu est non seulement basé sur les données de la science, mais a aussi vocation à être pédagogique et pratique, utile pour le clinicien. C’est une encyclopédie, qui fait le tour des questions qui sont abordées. Les articles sont commandés aux meilleurs auteurs français ou internationaux. Chacun est spécialiste de la problématique qu’il traite. Les articles sont régulièrement réactualisés, mais aucun article ne disparaît : ils sont alors archivés sur internet. L’EMC-Psychiatrie explore tous les champs de connaissances couverts par la discipline. Le comité scientifique se réunit annuellement pour chercher de nouveaux articles et de nouveaux auteurs
BC : Il est important de souligner également que chaque article fait l’objet d’une expertise, de façon anonyme, par un comité de lecture. Les auteurs peuvent ainsi améliorer encore la qualité de leurs articles. Il nous arrive parfois de refuser des manuscrits sur avis d’experts. Les articles de l’EMC sont la plupart du temps accessibles dans les facultés de médecine. La version en ligne permet de tester ses connaissances grâce aux autoévaluations proposées pour chaque article. Le contenu pédagogique est renforcé par des encadrés synthétiques, des arbres décisionnels et l’accès à des compléments multimedia tels que les cas cliniques. Il y a également d’autres fonctionnalités comme une possibilité d’accès sur application mobile (sur smartphone ou tablette)…
NF : C’est une base pédagogique très importante pour les internes. La version numérique permet de disposer d’un contenu plus large et d’avoir accès à des vidéos d’illustration.
SC : Concernant la recherche, pensez-vous Pr Franck que les internes s’y intéressent suffisamment ? Comment les y encourager ?
NF : Je pense que c’est encore très hétérogène. J’ai l’impression qu’ils s’y intéressent mais ne se sentent peut-être pas suffisamment compétents pour ça et n’investissent alors pas suffisamment le champ. Je note que globalement les internes en psychiatrie publient très peu et ne font pas forcément un cursus de sciences en parallèle de leurs études de médecine. Cela n’est pas obligatoire mais c’est une démarche d’apprentissage de synthèse des données de la littérature et de valorisation de la nouveauté. Peut-être est-ce encore par manque de stimulation des enseignants, même si des initiatives se développent en ce sens. Il faudrait sûrement davantage proposer aux internes de faire des travaux de recherche, leur donner confiance et les accompagner. Si on accompagne les internes, ils peuvent publier, tous, même en dehors d’une formation scientifique approfondie. Faire un Master est par ailleurs utile pour tous, même en dehors d’une volonté de carrière universitaire. C’est la recherche qui fait l’avenir et la vitalité d’une spécialité et elle doit partir des internes qui sont l’avenir de la discipline. Participer à des journées scientifiques, des colloques… est également important pour découvrir les actualités de la recherche. Peut être que la participation à des journées scientifiques comme la journée EMC/AFRC centrée sur la transmission des connaissances actuelles et les échanges peut également aider les internes à s’y intéresser ?
SC : Cette journée se tiendra le 4 novembre 2016 à Lyon. L’idée est en effet d’y aborder des thématiques diverses et actuelles avec les auteurs des articles de l’EMC. Pour la recherche, c’est aussi peut-être une question de rencontres, indépendamment des volontés de parcours universitaires qui s’envisagent souvent plus tôt dans les études. Par ailleurs, il semble important de développer notamment en psychiatrie la recherche qualitative.
NF : Oui, d’autant que les chercheurs en sciences humaines sont demandeurs de collaboration. Cette recherche est à développer et valoriser. D’ailleurs la médecine générale est en avance sur ce point, beaucoup de thèses comprennent une recherche qualitative, notamment ici à Lyon à travers des collaborations avec le département de sciences humaines de l’université.
SC : Vous êtes chef de service d’un service universitaire de réhabilitation, à votre avis, les notions de réhabilitation psycho-sociale et ses outils sont-ils suffisamment enseignés pendant l’internat ?
NF : Il est bien sûr crucial d’enseigner aujourd’hui la réhabilitation et l’approche centrée sur le rétablissement. Elle est au cœur des prises en charge dans beaucoup de pays. En Auvergne-Rhône-Alpes des séminaires existent et l’enseignement de la réhabilitation y est très implanté du fait de l’investissement ancien de plusieurs équipes dans ce domaine. Mais si on veut vraiment changer de paradigmes et se centrer sur le rétablissement, il faut enseigner cela plus largement. C’est l’une des fonctions du centre ressource de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive, qui a pour vocation de diffuser ces enseignements dans toute la France. Nous devons proposer un canevas commun d’enseignement et aussi avoir une politique plus active auprès des coordonnateurs de DES, car il existe encore des disparités régionales importantes. Les centres de réhabilitation doivent également pouvoir accueillir des internes qui parfois découvrent complètement ces concepts à l’occasion de leur stage.
SC : Quelles grandes idées un interne devrait-il avoir en tête au sujet de la réhabilitation psychosociale en psychiatrie ?
NF : C’est avant tout une approche centrée sur le patient considéré en tant qu’usager du système de soin. Il s’agit de lui faire confiance, d’accepter de prendre des risques, de ne plus uniquement être dans une médecine de prescription et de décision médicale. Cette approche centrée sur la personne consiste à l’aider dans la construction de ses projets à court et moyen termes, en sollicitant ses capacités de décision et en les renforçant. Il faut également développer sa connaissance des structures de réhabilitation. Il faut mettre en évidence les ressources préservées de la personne et lui permettre de s’en saisir. Il faut également favoriser l’accompagnement vers un emploi et un logement autonome lorsque cela est possible, penser l’accompagnement des familles, développer l’éducation thérapeutique. Enfin, il est indispensable que tous les professionnels de santé mentale puissent prescrire et orienter vers les outils de la réhabilitation, et puissent donc travailler en collaboration avec les structures de réhabilitation. Voici quelques grands principes pour développer ces pratiques…
SC : Merci Pr Franck pour ces réflexions. Merci à Béatrice Castro pour sa participation.
Pour information, la 3ème journée scientifique organisée par l’EMC et l’AFRC avec les auteurs du traité EMC psychiatrie se tiendra le vendredi 4 novembre 2016 au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon. L’inscription est GRATUITE pour les internes adhérents à l’AFFEP. Pour vous inscrire : [email protected]
Sophie CERVELLO
Interne en psychiatrie à Saint-Etienne,
coordination syndicale AFFEP
Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°17

