Actualités : Interview du Pr Alexandre OUATTARA, anesthésiste-réanimateur au Centre Hospitalier Universitaire Haut Lévêque, Bordeaux

Publié le 25 juin 2025 à 10:39
Article paru dans la revue « AJCTCV - Revue du Jeune Chirurgien Thoracique, Cardiaque et Vasculaire » / AJCTCV N°3

Bonjour Professeur, et merci de nous accorder un peu de votre temps. Nos spécialités évoluent rapidement, et il est précieux de pouvoir bénéficier de l'expérience de personnalités comme la vôtre pour nous aider à comprendre le présent de nos professions et imaginer l'avenir.
 

Prof Alexandre OUATTARA MD PhD
Chef du service d'Anesthésie-
Réanimation cardiovasculaire CHU de Bordeaux

En vous côtoyant régulièrement au bloc et en réanimation, on perçoit clairement le plaisir que vous prenez dans votre métier d'anesthésiste-réanimateur cardiothoracique.

En 2025, qu'est-ce qui vous enthousiasme le plus dans votre rôle ?

Mon intérêt et ma motivation certaine pour l'anesthésie-réanimation en chirurgie cardio vasculaire sont nés très tôt durant mon internat. Les rencontres très enrichissantes que j'ai eu la chance de faire tout au long de mon parcours professionnel en Master de Physiologie cardiovasculaire, en inter-CHU, en thèse d'université et enfin durant mon année de mobilité au King's College Hospital n'ont fait qu'accroître mon envie d'approfondir mes connaissances et mon expertise dans ce domaine passionnant. Au-delà de la collaboration médico-chirurgicale nécessaire et très enrichissante dans ce domaine, l'équilibre des deux valences anesthésique et réanimatoire ont probablement contribué à cet enthousiasme que vous évoquez. L'envie de faire partager ma passion avec les plus jeunes collègues au travers des enseignements et le goût certain pour la recherche clinique et pré-clinique m'ont très tôt orienté vers une carrière hospitalo-universitaire.

Quelle est, selon vous, la valeur ajoutée de la réanimation chirurgicale dans la prise en charge des patients bénéficiant de TAVI ou de MitraClip ?

Et comment s'adaptent vos équipes à la prise en charge de patients souvent très âgés et qui ne restent que quelques heures dans vos lits ?

L'essor de la cardiologie structurelle durant cette dernière décennie a profondément modifié l'activité de chirurgie cardiaque de toute évidence sur le plan quantitatif mais également sur le plan qualitatif. À ce titre, nous venons de terminer un travail scientifique en cours de publication qui a fait l'objet d'un mémoire de thèse d'activité pour un de nos internes du service. Ce travail avait pour but d'analyser le profil des patients ayant bénéficié d'une chirurgie cardiaque sous CEC dans notre institution sur les 5 dernières années. Nous avons constaté une augmentation significative des procédures chirurgicales combinées et des durées de CEC tandis que l'âge de nos patients a significativement diminué. Sur les 5 derrières années, malgré une augmentation significative de l'EuroSCORE de nos patients, leur mortalité à 30 jours n'a pas augmenté. Cela souligne l'importance de disposer au sein de nos établissement de soins des équipes médico-chirurgicales expertes dans la prise en charge périopératoire de ces patients.

Si la cardiologie structurelle a gagné des parts de marché sur l'activité de chirurgie cardiaque conventionnelle, elle a également donné l'opportunité de prendre en charge des patients qui étaient jusqu'alors contre-indiqués à tout acte chirurgical. La fragilité de ces patients imposent notre implication en périopératoire. Il est clair que toute complication périopératoire a des conséquences importantes à court et long terme.

Nous participons également pleinement à la réflexion médico-chirurgicale préopératoire qui comporte des considérations éthiques.

Comme vous le savez, l'activité de la cardiologie structurelle s'étend bien au-delà de l'implantation percutanée de la valve aortique. Ces procédures percutanées atrio-ventriculaires demandent un accompagnement de la part de l'équipe d'anesthésie-réanimation pour ces procédures qui se déroulent sous anesthésie générale, avec un monitorage hémodynamique approfondi et demandent une expertise echocardiographique que doivent avoir les anesthésistes-réanimateurs. Cette diversité d'activité participe au maintien d'attractivité de notre spécialité dans ce domaine. Concernant la période postopératoire, nous avons adapté nos unités de soins en simplifiant les procédures de surveillance pour adapter nos lits de soins critiques au turn-over des patients qui ressemblent ainsi plus à des unités de salles de surveillance post-interventionnelles en journée mais qui restent en capacité de mener des réanimations plus approfondies en cas de besoin.

La SFAR a largement contribué à l'argumentaire en faveur de la réalisation des TAVI dans des centres disposant de chirurgie cardiaque. Quel est votre avis sur ce sujet ?

Comme mentionné dessus, la fragilité des patients bénéficiant d'un TAVI justifie de disposer d'une expertise médico-chirurgicale en cas de complications périopératoires. Toutefois, il est important que la limite de l'invasivité des soins soit évoquée en préopératoire avec le patient et ses proches. Je rappellerai ici que la prise en charge anesthésique, si elle apporte une valeur ajoutée, induit également des contraintes réglementaires par la nécessite d'une consultation et visite pré-anesthésiques. C'est le prix à payer pour bénéficier de cette assistance anesthésie et réanimatoire.

Parvenez-vous à rester attractif auprès des internes de réanimation ? Quels sont, selon vous, les leviers à activer pour susciter des vocations ?

Malgré le changement radical de l'activité de chirurgie cardiaque, nous gardons dans notre service une attractivité pour nos plus jeunes. Le stage est très prisé par les internes Bordelais mais nous accueillons également des internes d'anesthésie-réanimation d'autres subdivisions. À ce jour, l'effectif médical est à son objectif théorique. Nous sommes même contraints de renoncer à des recrutements de très grande qualité. C'est une situation que je n'avais pas connu depuis ma prise de fonction de chef de service. Mais il faut garder la tête froide et ne pas oublier que cet équilibre est précaire…

Il m'est difficile de vous donner les raisons de cette attractivité. Elles sont de toute évidence multiples. La passion pour notre métier et le souci de partager nos connaissances, leitmotiv de mon équipe, y participent activement.

L'exigence de notre discipline dans un climat de bienveillance est, à mon avis, essentielle. Enfin, la valence réanimatoire prononcée de notre spécialité que ce soit au bloc opératoire ou au sein de nos soins critiques constitue un levier indéniable. Pour terminer, le traitement de l'insuffisance cardiaque aiguë ou chronique avec la technicité qu'elle impose suscite de toute évidence de la curiosité voire des vocations.

Enfin, comment envisagez-vous l'avenir de la chirurgie cardiaque et de la collaboration entre nos deux spécialités dans les années à venir ?

Comme déjà évoqué ci-dessus, l'essor de la cardiologie structurelle a un impact sur le profil des patients bénéficiant d'une chirurgie cardiaque conventionnelle. Ces patients seront à plus haut risque chirurgical. C'est un premier enjeu pour vos encadrants en charge de votre formation. Nous constatons également que la cardiologie structurelle alimente la cohorte des patients chirurgicaux plus lourds soient par le biais de chirurgie de sauvetage ou par les complications à long terme sur le matériel implanté de façon percutanée. Enfin, il est à prévoir que l'activité de chirurgie cardiaque congénitale va connaître un essor dans les années à venir tout comme le traitement chirurgical de l'insuffisance cardiaque qui prendront une part non négligeable de l'activité de chirurgie cardiaque conventionnelle. Ainsi, la collaboration médico-chirurgicale au sein de notre domaine d'activité ne s'en verra que renforcée.

Interviewé par
Johann CATTAN
Docteur junior CTCV,
Service de chirurgie cardiaque,
CHU Bordeaux

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