Interview du Dr Jérémy COLLIAUX

Publié le 22 Oct 2024 à 13:55
Article paru dans la revue « SFJRO / le mag » / SFJRO N°6

PH au CLCC d'Angers
Institut de Cancérologie de l'Ouest, site Paul Papin

Propos recueillis par  

Bonjour Dr Colliaux, pouvez-vous nous décrire votre cursus qui vous a conduit jusqu'à  l'Institut de cancérologie de l'Ouest (ICO) à Angers ?

J'ai commencé mes études de médecine à Angers,  donc c'est un peu un retour aux sources. Dès ma troisième année de médecine j'étais très intéressé par la chirurgie, la neurologie et j'étais vraiment motivé pour faire de la neurochirurgie. De ce fait  je suis même allé jusqu'à redoubler ma sixième  année pour avoir un meilleur classement, me permettant d'avoir une place dans cette spécialité.

J'ai fait un premier semestre à Rennes en neurochirurgie mais j'ai eu des interrogations sur la qualité de vie dans cette discipline... J'ai donc voulu tester une discipline plus générale et polyvalente  qu'était l'oncologie et ainsi j'ai fait un premier semestre en oncologie qui m'a beaucoup plus plu. Il y avait cet aspect humain, psychologique qui m'avait manqué un peu dans mon semestre précédent. Par la suite j'ai fait un semestre en radiothérapie et là on avait à la fois l'aspect technique mais également celui de la relation humaine. Je trouve que c'est une discipline vraiment complète, raison pour laquelle je me suis orienté vers la radiothérapie.

En 2012, j'ai assisté au cours national de curiethérapie à Nancy et ce fut une révélation pour moi car cette technique d'irradiation très intéressante apparaissait la plus conformationnelle possible, avec une possibilité d'avoir une activité manuelle au bloc opératoire, ce qui me plaisait bien. C'est pour ça qu'à partir de ce moment-là, je me suis dit que je voulais pratiquer la curiethérapie.

Pour ce faire, je suis allé me former, me perfectionner à Québec. J'ai fait un fellowship au CHU de Québec pendant un an auprès de l'équipe du Professeur Vigneault pour me former sur la curiethérapie de prostate et gynécologique.

Ensuite je suis revenu en France au CHU de Poitiers en tant qu'assistant auprès du Docteur Guérif qui a une très forte activité en curiethérapie de prostate notamment. J'avais une activité hebdomadaire de curiethérapie prostatique et

J'ai également eu l'occasion de me former à la curiethérapie de peau (que ce soit la curiethérapie de contact ou interstitielle). J'ai aussi pu pratiquer un peu la curiethérapie de canal anal.

Enfin, en novembre 2018, j'ai intégré l'équipe de l'ICO pour compléter le binôme avec le Docteur Mesgouez-Nebout qui était alors seule pour assurer l'activité de curiethérapie à Angers. L'objectif de mon recrutement était aussi d'instaurer le boost prostatique en curiethérapie HDD (qui n'est pas encore en place, faute d'anesthésistes disponibles).

Cette période correspond également au moment où toute l'activité de curiethérapie de l'ICO de Nantes a été rapatriée vers Angers afin de devenir un centre référent régional de curiethérapie.

À partir de juin 2019 j'ai mis en place la curiethérapie de peau et l'activité continue d'augmenter d'année en année.

Qu'est-ce qui vous a le plus attiré vers la curiethérapie ?

Le traitement le plus satisfaisant pour moi, c'est la curiethérapie interstitielle des tumeurs de lèvres. Quand les tumeurs sont en place, on voit le résultat très vite. Le côté plus conformationnel par rapport à la radiothérapie externe y contribue (avec une dose qui est bien circonscrite au volume cible et moins de tissus sains irradiés).

Comment êtes-vous organisés ? En quoi consiste une semaine type de curiethérapie à l'ICO ?

Concernant le personnel mobilisé nous sommes donc deux radiothérapeutes à pratiquer la curiethérapie. Pour chaque localisation (gynéco, prostate, peau) nous avons un trinôme de physiciens formés.

`• Le lundi matin, en général, on réalise 2 curiethérapies de prostate (à BDD à l'iode 125 en exclusif pour les faibles risques et risques intermédiaires, ou alors en boost après RTE pour les hauts risques).

• On a trois séances de curie de Flap pour chaque patient par semaine (lundi, mercredi et vendredi).

`• Le mardi matin c'est la mise en place de l'applicateur pour la curiethérapie utéro-vaginale réalisée en HDD avec 5 séances au total et retrait du matériel le jeudi après-midi.

`• Le mercredi matin c'est la mise en place des applicateurs cutanés FLAP avec le scanner dans la foulée.

Avez-vous une histoire ou une anecdote concernant un cas de curiethérapie en dermatologie qui vous a marqué ?

Ça m'est arrivé de faire du traitement palliatif pour des nodules de perméation sur mélanome. C'est un patient qui avait un traitement systémique avec une gêne locale sous la forme de plusieurs nodules de perméation au niveau temporal. La curiethérapie a vraiment permis d'aplanir ces nodules et de soulager la symptomatologie jusqu'à maintenant, soit à 4 ans du geste.

En tant que médecin pratiquant la curiethérapie, est-ce que vous arrivez aisément à communiquer, échanger avec vos différents homologues, que ce soit sur le plan régional ou national ?

Pour la curiethérapie gynécologique type interstitielle vaginale ou vulvaire, on est amené à adresser les patientes à l'IGR (2-3 patientes par an). On délègue pour ces indications car il s'agit de très peu de cas et « qu'on fait bien que ce que l'on fait souvent ».

Il m'arrive de rencontrer des collègues en congrès et à ce moment nous sommes amenés à partager nos expériences.

Il existe également le Groupe Curiethérapie de la SFRO (GC-SFRO), plus orienté sur la recherche et les essais cliniques.

Pour un centre voulant développer une activité de curiethérapie, quels seraient les pièges à éviter et les points névralgiques à respecter afin de débuter sur de bonnes bases ?

Ce qui est important c'est d'avoir une formation à la fois théorique et pratique sur la curiethérapie pour tous les corps de métier (que ce soit le médecin, le physicien, le MER). 

Pour la partie médicale, il est essentiel d'être en binôme pour ne pas laisser un service sans référent quand on part en congé. Donc pour moi, le binôme c'est un minimum. Il faut protocoliser les procédures pour que chaque binôme ait la même façon de procéder, afin que ce soit uniforme, qu'il n'y ait pas de cas particulier en fonction de tel ou tel praticien.

Pour un centre débutant, il faut s'assurer qu'on aura un volume d'activité suffisant. Parce que faire des techniques qu'on fait une ou deux fois par an, ça ne me semble pas une bonne idée.

Ne pas hésiter à déléguer à un centre plus expert pour centraliser les cas complexes ou plus rares.

Pour les nouveaux arrivants au sein d'une équipe, peu importe le corps de métier, il faut un compagnonnage avec un doublon et un système de validation des pratiques.

Quel avenir a la curiethérapie selon vous et votre expérience ?

On devrait s'orienter vers une centralisation de l'activité au sein d'un centre de référence.

De plus, nous passerons bientôt tous au HDD en remplacement de la curie PDR (qui est très franco-française).

En gynécologie, l'utilisation de plus en plus fréquente des aiguilles interstitielles devrait avoir lieu. En prostate, une plus grande utilisation du boost en HDD notamment pour des atteintes de vésicules séminales, dépassement capsulaire, etc. (limite actuelle du BDD).

Et plus précisément en dermatologie : Quel avenir voyez-vous à la radiothérapie de manière large (externe, de contact, curiethérapie) ?

Pour les cancers cutanés, l'implémentation de l'imprimante 3D dans des indications où la curiethérapie interstitielle est invasive (par exemple une tumeur de l'aile narinaire avec confection d'un moule hautement personnalisé et reproductible). Des nouvelles indications vont être posées, par exemple l'association en séquentiel d'une technique d'irradiation avec des traitements systémiques pour des stades tumoraux qu'initialement on n'irradiait pas.

À titre personnel, j'ai déjà effectué une curiethérapie de contact de clôture pour 2 volumineux carcinomes bas cellulaires du scalp suite à un traitement par Vismodégib pour des maladies initialement non éligibles à une irradiation.

 

Quels seraient les leviers à actionner afin d'augmenter l'attractivité de la curiethérapie ?

Il serait essentiel dans la formation des internes ORT de passer un semestre obligatoire au sein d'une équipe de curiethérapie et également de participer aux cours nationaux sur cette technique.

D'autre part, la curiethérapie souffre d'une faible valorisation financière pour les centres la pratiquant. La cotation étant obsolète, il faudrait la réformer. À titre d'exemple, une curiethérapie de prostate en BDD ayant la même efficacité qu'une stéréotaxie, n'apporte pas les mêmes retombées financières à un centre.

Même si dans les CLCC, de par leur nature même, nous arrivons à préserver l'indication de cette technique, la cotation a un impact fort dans l'indication de la curiethérapie dans certains hôpitaux.

Quel conseil donneriez-vous à un interne qui souhaite s'orienter et se former en curiethérapie ?

Il est important dans vos stages de ne pas s'arrêter à l'étape de pose de l'applicateur au bloc opératoire, mais d'essayer de bien suivre tout le process. En effet, il faut être présent au moment du scanner dosimétrique, du contourage, de la dosimétrie mais également lors des consultations à distance (pour apprécier l'efficacité et la tolérance).

J'insiste sur le fait de participer au bloc et de faire les gestes sous le contrôle du sénior référent.

Par ailleurs, il y a le DU de curiethérapie de l'IGR pour lequel j'encourage tout interne motivé à y participer, ne serait-ce que pour la culture générale (vous aurez à un moment des patients qui ont reçu une curiethérapie).

 

Publié le 1729598104000