
C’est au décours des JFK de Montpellier de février 2019 que j’ai organisé des interviews afin d’avoir les retours des principales personnes concernées. C’est-à-dire : une conceptrice, un expert et 2 étudiants !
Bonjour Valérie !
Je vais démarrer cette interview en te présentant : après l’obtention de ton Diplôme d’État à l’IFMK de Nancy, tu construis ton expérience professionnelle par plus de 10 ans d’expérience salariale en centre de rééducation pour cérébro-lésés puis en service de réanimation avant d’intégrer l’école des cadres en 2009. Passionnée par ton métier, tu démarres une carrière de formatrice à Besançon puis à l’ile de la Réunion, où tu y seras responsable pédagogique durant plus de 3 ans. Aujourd’hui tu es de retour en métropole où tu exerces à mi-temps à l’IFMK de Besançon et à mi-temps en libéral. Je ne me trompe pas c’est bien ça ?
Valérie Barthelet
Alors rentrons tout de suite dans le vif du sujet, comment as-tu découvert cette méthode de Test par concordance aux scripts ?
C’est à la Réunion où l’histoire a débuté : avec mon collègue Yannick Perdrix nous cherchions, déjà dans l’ancien programme, à intégrer l’apprentissage du raisonnement clinique dans le champ musculosquelettique, nous échangions beaucoup sur ce sujet… Puis lorsque le nouveau référentiel est arrivé, la place du raisonnement clinique dans la formation initiale a été clairement définie, notamment au travers des UI. A Besançon, j’ai donc souhaité mettre en place des TD de raisonnement clinique, avec l’aide de deux confrères libéraux mais s’est vite posé le problème de l’évaluation ! Les TD étant organisés en groupe, ça ne facilitait d’autant pas l’évaluation individuelle… Donc je me suis mise à rechercher des solutions pédagogiques d’évaluation, ce qui m’a conduit à découvrir la méthode par TCS.
Super initiative, et tu as pu la mettre en place ?
Pas tout à fait, j’ai surtout pris conscience que cette méthode était très pertinente mais difficile à mettre en place seule, car elle nécessite notamment l’appel à un panel de référence. Bien sûr, à travers différentes formes d’évaluations comme la recherche d’hypothèses, ou la validation d’hypothèses de diagnostic ou d’investigation sur des mini cas cliniques rédigés, nous avons pu évaluer nos TD, mais concernant la méthode par TCS, j’ai surtout pris conscience que c’était seulement avec une équipe qu’un projet comme ça pouvait se monter.
Quelles sont les raisons rendant la mise en place difficile de ce moyen pédagogique ?
Cette méthode est extrêmement codifiée ! Le TCS est un outil d’évaluation : chaque vignette (ndlr) doit faire l’objet d’une table de spécification, c’est-à-dire doit tenir compte des acquis des évalués et être formulée en respectant la notion d’incertitude et de complexité, puis chaque vignette doit être évaluée par un panel de référence de 15 à 20 experts, puis ensuite chaque vignette doit être soumise à une étude métrologique pour être admissible. Une séquence de TCS, c’est 25 vignettes cliniques, avec 3 questions par vignettes : soit du diagnostic, soit de l’investigation soit du traitement. Il faut donc concevoir beaucoup de vignettes au départ pour une seule séquence d’évaluation ! Si l’on souhaite utiliser la méthode TCS à des fins de formation, alors c’est ce qu’on appelle la FpC (formation par concordance), il faut au moins un panel de 5 experts qui justifient chacune de leurs réponses et ajouter des messages de synthèse référencés en fin de séquence.
Autant dire que ça ne se prépare pas sur un coin de table… cependant, ceci présente un grand avantage, une qualité indéniable ; c’est la fiabilité du résultat.
C’est-à-dire ?
D’un professionnel à l’autre, notre raisonnement clinique varie. En fonction de notre passé professionnel, notre expérience, nos formations, etc., cette méthode a l’immense mérite de concilier tout ça, le tout dans un cadre méthodologique et métrologique strict. Elle permet d’évaluer la pertinence du raisonnement, tant sur le bilan, le diagnostic que sur le traitement, dans des situations cliniques complexes, incertaines… les situations de la vraie vie quoi ! Elle permet d’évaluer la qualité de l’organisation des connaissances de l’étudiant : la pertinence de ses scripts cliniques et ses micro-jugements.
Et comment est arrivée l’idée de monter un projet inter-IFMK, peux-tu nous en dire plus ?
L’idée de monter ce projet inter-IFMK est surtout le fruit de belles rencontres, lors des journées de formateurs ou de congrès : nous nous sommes retrouvés à nous 5 : Fredéric Launay et Raphael Grellet de l’IFMK d’Orléans, Yannick Perdrix de l’IFMK de La Réunion, Sébastien Martin de l’ENKRE de Paris et moi, passionnés par le raisonnement clinique et motivés à se lancer ensemble dans l’aventure. L’un des points forts de notre équipe a été aussi le fait que Fredéric Launay connaisse très bien Bernard Charlin de Montréal, qui est le concepteur de cette méthode. C’est Frédéric Launay qui est surtout à l’origine de l’idée de monter ce projet en France.
Chapeau à tous… et combien de temps cela vous a pris ?
C’est difficile à quantifier, nous avons commencé à nous organiser en mars 2017, il y a eu beaucoup d’échanges entre nous ainsi que 2 visioconférences avec Bernard Charlin. Mais c’est durant l’année 2018 que nous avons mis en place le projet de façon opérationnelle : définir le champ clinique, le public cible, créer des vignettes, identifier et recenser des experts, communiquer sur la méthode, et faire passer le TCS à nos promotions.
Quels ont été les bons et les moins bons moments de ce projet ?
Que des bons moments car nous sommes convaincus de l’intérêt de cet outil et de la place qu’il peut occuper dans le virage que nous pousse à prendre le nouveau référentiel à notre formation. Et puis nous trouvions la démarche extrêmement pertinente de former une équipe travaillant dans plusieurs IFMK. C’est très stimulant le travail collaboratif, d’autant que nous avons formé une super équipe ! Nous avons les mêmes valeurs, les mêmes convictions et nous sommes tous les 5 très humbles, c’est important de bien s’entendre pour qu’un tel projet aboutisse ! C’est une aventure de passionnés… et d’amis !
Si, peut-être un moins bon moment, qui est en fait plus une frustration, c’est que tout ce temps que nous avons passé sur ce projet, et bien nous l’avons passé sur notre temps personnel… donc le soir et les we !
Et concernant les experts, vous avez procédé comment pour le recrutement ?
Souvent par connaissance, nous sommes sur plusieurs IFMK, nous connaissons tous des professionnels engagés dans le champ musculo-squelettique. Les critères de sélection étaient, pour résumer, l’expérience professionnelle conjuguée à une formation continue rigoureuse, reconnue et impliquant les méthodologies modernes de recherche scientifique.
Les experts ont joué le jeu ? Ils ont été payés ?
été essentielsAlors déjà non, personne, tout était sur la base du bénévolat, nous n’avons aucun soutien financier… et sinon oui, ils ont largement joué le jeu ! Il nous fallait 15 experts, nous en avons contacté 19 et au final 17 ont participé ! Ils ont même accueilli notre démarche de façon très positive et nous ont systématiquement transmis leurs encouragements ! Leur soutien et leur collaboration ont été essentiels.
Lors de la réalisation de ce TCS musculo-squelettique, vous avez respecté la procédure à la lettre, à l’issue de tout ça vous pensez publier vos résultats ?
Oui ce projet est en cours, nous ciblons d’ailleurs une revue, mais pour l’instant je ne peux pas en dire plus.
La publication des résultats d’un TCS en Kinésithérapie en France sera une première. Idéalement, comment imagines-tu que cette méthode puisse être intégrée dans nos IFMK dans le futur ?
Le TCS est une méthode fiable, valide et surtout pertinente ! Cette méthode peut être utilisée pour valider une UE, identifier des étudiants en difficulté, classer des étudiants en vue d’intégrer un parcours supérieur, ou de manière plus formative pour animer des TD de raisonnement clinique. Notre constat aujourd’hui, qui est le même que celui des Québécois, est qu’il ne faut pas se limiter à l’outil d’évaluation : ce qu’il faut mettre en place, c’est l’EFpC : l’évaluation et la formation par concordance. Le score et l’accès aux justifications des experts et des étudiants est indispensable pour développer le processus de raisonnement clinique.
A l’aube, comme nous pouvons espérer, de la première intention et du Master, on pourrait même imaginer des TCS en fin de 2ème cycle, dans tous les champs cliniques, appliqués à l’ensemble des IFMK et pourquoi pas le même jour ! … et ce peut être un très bon outil d’évaluation dans le cadre de la formation continue.
Valérie merci infiniment pour tes réponses, merci également pour ton engagement et le travail déjà réalisé.
Merci à toi pour l’interview !
Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°10

