Internes en détresse

Publié le 11 May 2022 à 11:34

 

L’ISNI A LANCÉ UNE ENQUÊTE NATIONALE SUR LES FACTEURS DE DÉPRESSION

Propos recueillis par Juliette Hochberg Illustration : Alice Durand
Crédit photo : Everett collection

Le récent suicide d’un infirmier a remis la question de la souffrance des soignants au coeur de l’actualité. Depuis novembre, 3 internes se sont donnés la mort signale l’ISNI. Il est temps que le mal-être des internes et jeunes médecins soit écouté. “H” a rencontré Leslie Grichy, interne en psychiatrie, étudiante en 10e année de médecine et vice-présidente en charge des questions sociales de l’ISNI.

“H” : Pour quelles raisons l’ISNI mène actuellement une grande enquête sur la santé mentale des jeunes médecins ? Leslie Grichy : Nous avons décidé de faire une enquête nationale sur les facteurs de risques de dépression chez les jeunes médecins parce que nous nous sommes rendus compte qu'il y a assez peu de données sur le sujet et qu’elles sont parcellaires : soit elles ne concernent que les internes en médecine générale, soit elles ne concernent qu’une seule région… Nous avons réalisé que nous manquons de données pour faire des actions concrètes sur cette situation problématique. L’idée est d’avoir des bases solides pour pouvoir construire un plan de prévention des risques psychosociaux chez les jeunes médecins, concret et réalisable, et qui prenne en compte les facteurs de dépression. 

Comment avez-vous réalisé ce questionnaire ?
C’est la 1e étude nationale de ce type. Nous nous sommes basés sur des études qui existent déjà aux États-Unis et au Canada pour préparer nos questions et l'échelle de dépression et d’anxiété qui s’appelle HADS. Certaines questions portent sur les données sociodémographiques : l’âge, le genre, le semestre d’internat... En fonction des réponses, suivant que le répondant est interne, externe, ou chef de clinique, les questions suivantes diffèrent.

Sentez-vous les internes réceptifs à votre enquête ?
L’enquête lancée le 31 janvier va se poursuivre jusqu’au 1e avril. Actuellement, nous sommes à 20 000 réponses. C’est beaucoup plus que ce que l’on avait imaginé. Je pense que le sujet touche les étudiants et qu’ils souhaitent s’exprimer. Ils sont conscients qu’on ne peut pas leur apporter d’actions concrètes si on ne fait pas d’évaluation d’abord.  

Est-ce que les internes ont des souffrances spécifiques, différentes, selon leurs CHU ?
Je pense que les problématiques sont différentes dans chaque région de France. Les problèmes diffèrent entre les petits CHU et les grands CHU comme à Marseille ou Paris où les internes sont souvent dans des logements autonomes mais avec des possibilités de stage plus élargies.

Existent-ils aujourd’hui des cellules psychologiques pour eux ?
Plusieurs cellules ont été mises en place en France : à Paris (SOS SIHP), à Marseille (SOS SHIHM), d’autres ont été lancées à Nancy, Grenoble, Bordeaux, Montpellier, Rennes et Lyon.

Qu’est-ce qui fait qu’un interne va mal ?
D'après les études internationales, le malêtre est lié à un mauvais management au niveau des équipes médicales, mais aussi au jeune âge de l'interne, au fait qu’il manque de sommeil ou qu'il a fait une erreur médicale. La dépression survient aussi quand l'interne se sent isolé parce qu’il doit changer de région pour travailler. Certaines études montrent en revanche qu’être marié est un facteur protecteur.

Certaines spécialités sont-elles plus touchées par la dépression que d’autres ?
Les anesthésistes réanimateurs sont particulièrement touchés par le suicide. C’est pour cette raison que le collège français des anesthésistes réanimateurs a beaucoup travaillé autour de la prévention.

Est-ce que le gouvernement a conscience de l’urgence ?
Marisol Touraine a lancé fin-novembre 2016 un plan de prévention des risques psychosociaux chez les professionnels de santé, à la suite du 2e rapport IGAS (inspection générale des affaires sociales, ndlr) rédigé après un 1er rapport sur le suicide du professeur Mégnien. Ce 2nd document est extrêmement bien conçu, il met l’accent sur le fait qu’il y a un manque de management à l’hôpital, c’est-à-dire que l'on se retrouve avec des personnes censés savoir faire aussi bien de l’enseignement, de la recherche, de la clinique que du management, sans y avoir été formé. On a besoin de formation au management pour apprendre à diriger une équipe. Ce n’est pas du tout quelque chose d’inné !

Vous êtes en 10e année. En une décennie, avez-vous vu le moral et les forces chuter ? Avez-vous l’impression d’appartenir à une génération d’internes plus malheureuse que les précédentes ?
En 10 ans, j’ai vu les moyens humains et financiers se dégrader de plus en plus. Dans certains services, il y a une infirmière pour 27 patients. C’est dramatique. Ce n’est pas possible de travailler dans des conditions pareilles. Comme il n’y a pas assez de personnel paramédical, ça retombe sur l’interne, parce qu’il doit suppléer, combler l’absence.

Les internes osent-ils parler de leur détresse ?
Je pense que les langues se délient et c’est peut-être plus facile maintenant d’en parler. Malgré cette déstigmatisation, le malêtre reste un sujet extrêmement tabou. Et cela mettra des années avant que ce tabou soit totalement levé. C’est difficile de se dire qu’on n’y arrive pas, qu’on n’est pas infaillible, parce qu’on a l’impression que ça fait de nous des mauvais médecins. C’est un discours que l’on peut souvent entendre chez les internes. Ils ont l’impression d’être de mauvais médecins parce qu’ils ne vont pas bien, parce qu’ils n’y arrivent pas, alors que ce qui fait qu’ils n’y arrivent pas, c’est juste que les conditions dans lesquelles ils travaillent ne sont pas adaptées, et qu’ils n’arrivent pas à se sur-adapter à une situation qui est inadaptée. Quelque part, n’estce pas une preuve de bonne santé mentale de ne pas réussir à se sur-adapter à l’inadapté ?

« LA E-MÉDECINE PERMET AUX MÉDECINS DE GAGNER EN EMPATHIE »

POUR “H”, LOIC ETIENNE, EXPERT EN E-MÉDECINE, EXPLIQUE COMMENT LA TÉLÉMÉDECINE DU FUTUR SOULAGERA LE PATIENT COMME LES MÉDECINS.

LOÏC ETIENNE EST UN SPÉCIALISTE DE LA E-MÉDECINE. MÉDECIN-URGENTISTE DEPUIS 1980, IL A D’ABORD CRÉÉ 3615 ÉCRAN SANTÉ, SUR LE MINITEL. AVEC L’ARRIVÉE DU NET, SA SOCIÉTÉSE TRANSFORME. DEPUIS, IL GÈRE MEDVIR, UN SYSTÈME EXPERT DE E-MÉDECINE. IL ANIME AUSSI ZEBLOGSANTÉ.

« À l’origine, j’ai développé un système expert d’aide à la décision : un moyen pour le grand public de savoir si leurs symptômes étaient graves ou pas, ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. Bref, l’idée était d’apporter toute l’aide possible avant que les gens consultent le médecin ou aillent à l’hôpital.

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE - À force de réfléchir, mon équipe et moi avons créé un système d’intelligence artificielle selon des principes de « logique floue ». « Medvir » (pour « médecine virtuelle ») pose des questions à un patient exactement comme le ferait un médecin. C’est-à-dire un questionnement intelligent. Quand un médecin pose une question, le patient ne sait pas forcément pourquoi il lui pose cette question, mais le médecin, lui, le sait. C’est son raisonnement médical. « Medvir », simule la pensée d’un médecin. Hébergé sur toute plate- forme de e-santé, le système est capable de faire du triage, d’évaluer la gravité des symptômes, et de relativiser les réponses des forums qui souvent affolent l’internaute à tort.

INTERNATIONAL - Une autre version de ce système a été mise en place et s’adresse cette fois aux professionnels de santé. Elle a été testée aux urgences de l’hôpital Lariboisière à Paris, est utilisée aux urgences de Casablanca, et se développe au Canada par exemple. Elle permet à un professionnel de santé non-médecin, comme une infirmière, d’interroger le patient et de savoir très rapidement, en 3-4 minutes, quel diagnostic envisager, quels examens prescrire, s’il faut appeler le médecin sénior en urgence ou non. Ce système permet de classer hiérarchiquement les urgences qui arrivent à l’hôpital, de faire du triage.

“LA E-MÉDECINE EST À FOIS UNE ÉDUCATION À LA MÉDECINE POUR LE GRAND PUBLIC ET UN GAIN DE TEMPS INESTIMABLE POUR LES MÉDECINS”.

Nous avons également signé un partenariat avec la faculté de médecine de Marrakech pour la mise en place de mallettes de télémédecine qui permettront de recueillir les symptômes des patients, de recueillir les problématiques de santé de la population et de faire de l’épidémiologie dans les zones désertifiées du pays. L’objectif induit est de faire de la prévention. Le but du jeu est d’apporter petit à petit de la connaissance médicale là où il n’y en a pas.

SEUL CONTRE TOUS - Quand j’ai commencé la e-médecine dans les années 2000, j’avais la plupart des médecins contre moi. Aujourd’hui, et grâce aux progrès du numérique, mes confrères se rendent compte que la désertification médicale est un problème majeur, que leurs cabinets sont débordés, que les urgences sont saturées, et qu’il y a des tas de gens qui n’ont plus de médecins référents… Peu à peu ils commencent à réaliser que les solutions qu’apporte la e-médecine sont absolument indispensables. Elle ne remplace pas un médecin réel bien entendu, mais mieux vaut un e-médecin que pas de médecin du tout.

Globalement, la e-médecine est à fois une éducation à la médecine pour le grand public et un gain de temps inestimable pour les médecins. En régulation, le système accélère et précise ma pensée, il me fait poser des questions auxquelles je n’aurais pas pensé. La machine est certes moins intelligente qu’un médecin, mais elle a une mémoire énorme, une connaissance étendue, elle n’a pas d’a priori, et elle ne se fatigue pas.

L’algorithme est parfois plus réactif qu’un médecin fatigué après plusieurs consultations. Bien des notions échappent totalement à notre compréhension parce que nous n’avons pas l’information pour n’avoir pas assez écouté les patients. Nous n’avons plus le temps ! Un interrogatoire bâclé aboutira à la prescription de nombreux examens complémentaires, qui coûtent très chers, et parfois entraînent un retard au diagnostic. La grande quantité de données qualifiées recueillies par le système (les « smart-data »), permet de donner du sens à chaque symptôme et à chaque donnée.

SEMIOLOGIE - Dans les années à venir, grâce au numérique, nous allons pouvoir explorer la parole du patient de manière très précise (la médecine narrative). Le croisement de toutes ces données, rendra de plus en plus performants ces médecins virtuels, pour les installer aux endroits où il n’y a pas de médecins. Une téléconsultation mobilise un médecin pendant 20 à 30 minutes. Le médecin virtuel, aidé par un assistant auprès du patient, recueille les symptômes en 3 fois moins de temps, et fournit une observation détaillée que le médecin réel parcourt en 2 minutes. Le temps de téléconsultation s’abaisse alors à 10 minutes. C’est comme s’il y avait 3 fois plus de médecin.

Le gros gain sera surtout, partout, l’amélioration de la relation entre le patient et le médecin. Vu que le système lui aura fait gagner du temps, ce dernier pourra beaucoup plus s’intéresser à son patient. L’écouter. Le développement de la e-médecine permettra de former des médecins humains, qui, plutôt que d’être assujettis à la technologie et d’être de simples prescripteurs d’examens complémentaires, feront de la sémiologie : ils écouteront le patient pour recueillir des signes. Le retour à la sémiologie va permettre à des médecins de regagner en compétences et surtout en humanité. Pour tout ce qu’ils faisaient machinalement, il y aura désormais une machine.

“L’ALGORITHME EST PARFOIS PLUS RÉACTIF QU’UN MÉDECIN FATIGUÉ APRÈS PLUSIEURS CONSULTATIONS.”

Soulager le médecin d’une partie de son travail en utilisant la délégation des tâches prévue dans la Loi HPST de 2010 va lui permettre d’améliorer sa pertinence, de perdre moins de temps, et surtout, de gagner en empathie dont le patient a besoin pour guérir. C’est toute la force de l’effet placebo. Renforcer le pouvoir thérapeutique du médecin par sa seule empathie, c’est autant de médicaments en moins. Un patient qui se sent écouté, pris en charge, guérit plus vite, beaucoup mieux, et durablement. C’est ça la e-médecine de l’avenir.”

“C’EST LE MOUVEMENT OUVRIER QUI A PORTÉ LA SÉCURITÉ SOCIALE”

GILLES PERRET EST UN RÉAL’ ENGAGÉ À LA GAUCHE DE LA GAUCHE. IL EST NOTAMMENT L’AUTEUR DU FILM LA SOCIALE, SORTI EN NOVEMBRE 2016, QUI RETRACE L’HISTOIRE DE LA SÉCU. UN THÈME À CÔTÉ DUQUEL “H” NE POUVAIT PAS PASSER.

Propos recueillis par Julie Balestreri

POURQUOI UN FILM SUR LA SÉCU ?
Mon film précédent était consacré au Conseil National de la Résistance (CNR), dont le programme politique rédigé dans la clandestinité a été signé à l'unanimité en mars 1944. Je me suis rendu compte que les gens connaissaient très mal la mesure phare du projet qui est la Sécurité Sociale. Donc j’ai voulu faire un film dessus !

QUI A IMPULSÉ LA SÉCU ?
Sa mise en oeuvre - ce n’était pas le tout de rédiger des textes et des ordonnances, il fallait les mettre en place
-est le fruit du travail et du rapport de force favorable à la CGT et au Parti Communiste à la Libération. On doit la Sécu au ministre Ambroise Croizat et aux 5 millions de militants de la CGT qui ont mis en place toutes les caisses. C’est le mouvement ouvrier qui a porté la mesure.

Sa grosse originalité, c’est de confier un budget colossal
- encore aujourd'hui la Sécurité sociale c'est une fois et demi le budget de l'état - en gestion directe aux salariés : les organisations syndicales avaient alors les trois quarts des sièges dans les conseils d’administration des caisses.

COMMENT ÉTAIT PERÇUE LA SÉCU À L'ÉPOQUE DE SA CRÉATION ?
À l’époque, la France était ruinée. Pourtant, l'ensemble de la société cautionnait quand même sa création : rendezvous compte, plus d'angoisse de pas pouvoir faire soigner ses enfants, de perdre son boulot en cas de maladie parce qu’avant il n’y avait pas d'indemnité journalière… Ç'a été une révolution ! Voilà pourquoi il n’y avait pas que la CGT et le parti Communiste qui étaient contents de la mettre en place.

“PLUS D'ANGOISSE DE NE PAS POUVOIR SE SOIGNER… Ç'A ÉTÉ UNE RÉVOLUTION !”

IL Y A QUAND MÊME EU DES RÉSISTANCES, NOTAMMENT DE LA PART DES MÉDECINS.
C’est vrai que les médecins se sont battus pour la médecine libérale - d'où le terme “médecine libérale”, c'est-àdire qu’ils voulaient que la liberté soit partout. Donc être contraint d'avoir un organisme unique qui en plus a fini par fixer les tarifs de remboursement, c'était difficilement supportable. Mais en même temps, indirectement, les médecins sont aussi des salariés de la Sécu donc certains comprennent l’intérêt de son existence, surtout lorsqu’ils voient à quel point ils sont protégés par rapport aux USA où les médecins sont affiliés à des complémentaires qui mènent la danse.

QUELLES AUTRES INSTITUTIONS NE VOYAIENT PAS D’UN BON OEIL SA CRÉATION ?
L'Eglise était opposée à la Sécu parce qu'elle avait déjà des caisse de protection de son côté, le patronat aussi, évidemment.

VOUS N'ÊTES PAS DU GENRE À PARLER « TROU DE LA SÉCU »...
Non ! Le “trou de la Sécu” en fait, c'est 10 milliards d'euros (selon les derniers chiffres accessibles, ceux de 2015). Or, son budget total est de 475 milliards d'euros. En gros, la Sécu rentre en déficit le 29 décembre chaque année ! Et je rappelle aussi que l’évasion fiscale coûte 75 milliard d'euros par an à l’Etat… Par ailleurs, pour faire ce film, j'ai consulté énormément d'archives - et le “trou de la Sécu” on le retrouve déjà dans les médias de l'époque, dans les années 50, tout simplement parce que la Sécu n’a jamais été faite pour être bénéficiaire. Ce serait bien le hasard qu’elle soit à l'équilibre puisque d'un côté, on a les ressources - les prélèvements sociaux et les cotisations sociales - et de l’autre, les dépenses. Ce n’est pas comme un magasin qui achète des produits puis qui les revend…

EST-ELLE EN PÉRIL ?
Elle ne l’est que si on veut qu’elle le soit ! Ce qui est rassurant, c'est qu'elle n'est pas en péril dans l'esprit des gens : elle a quand même un capital sympathie, c'est ce qui la sauve.

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°16

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