
Après Dublin dans le dernier numéro, l’AFFEP continue son tour d’Europe et vous amène cette fois chez nos voisins Allemands, afin de découvrir une spécialité fascinante : la psycho-dermatologie. Pour cela, nous avons eu la chance d’échanger avec Kristina FRONHOFFS, psycho-dermatologue à Bonn.
Bonjour Kristina, peux-tu nous parler un peu de toi ?
Bonjour, je suis Kristina Fronhoffs. J’ai 36 ans. Mariée, et mère de 2 jeunes garçons, je travaille comme dermatologue à l’Hopital Universitaire de Bonn. En parallèle, je suis une formation en psychothérapie une journée par semaine.
Quelle est l'activité quotidienne d’un psycho-dermatologue ?
Cela peut varier en fonction des praticiens. Certains collègues ont reçu une double formation initiale en Médecine psycho-somatique et dermatologie, et peuvent donc pratiquer outre les soins dermatologiques, des soins psychiques : psychothérapies et/ou association de traitement pharmacologique et psychothérapeutique.
Mais la plupart d’entre nous sont des dermatologues diplômés (formation initiale en dermato uniquement) ayant reçu une formation complémentaire en psychothérapie, en psycho-somatique ou sommes juste intéressés par les aspects psychosomatiques de nos patients dermato. Nous sommes donc sensibilisés et capables de pratiquer des interventions psychothérapeutiques basiques, mais référons aux psychothérapeutes dès que cela demande plus.
Qu'est-ce qui t'a fait choisir cette voie ?
En fait, c’est un livre de psychodermatologie que j’ai lu au cours de mon internat et qui m’a fasciné.
Bien sûr je m'étais initialement orientée vers ce livre parce que j'étais intéressée par les aspects psychiques des pathologies cutanées, mais ce livre a élargi mon horizon et a été le point de départ de ma carrière dans ce champ.
Par la suite, j'ai candidaté et ai été reçue au cours de psychodermatologie de l’Academie Européenne de dermatologie et vénérologie. Ce cours m’a permis d'approfondir mes connaissances et mon intérêt dans ce champ. Puis, pour aller encore plus loin et aider au mieux mes patients, j'ai commencé une formation en psychothérapie ; et je suis devenue membre du "Working Committee forPsychosomatical Dermatology" en Allemagne, comité dont je suis actuellement vice-présidente.
Peux-tu nous expliquer les différentes voies d'accès à la psychodermatologie en Allemagne ?
La psychodermatologie n’étant pas définie comme unespécialité à part entière, il y a beaucoup de façon de devenir psychodermatologue :
> Certains collègues de notre société de dermatologie pychosomatique sont des dermatologues certifiés et psychosomaticiens certifiés (j’ai entendu dire qu’en France ce n'était pas possible à ce jour de faire une spécialisation dans 2 spécialités médicales différentes).
> Certains sont des dermatologues qui ont bénéficié d’une formation en psychothérapie.
> D’autres sont dermatologues et psychologues.
> La plus grande part d’entre nous, sont des dermatologues qui ont eu une formation de base en psychosomatique, ou qui sont particulièrement intéressés par les interactions entre pathologies cutanées et psychée.
Bien sûr, les durées de formation varient.
La formation de base en psychosomatique peut être facilement réalisée en séminaires et cours du soir ou de weekend. Il est donc possible de la faire en parallèle d’une activité clinique d’interne.
La formation en psychotherapie, comme celle que j’ai suivie, peut elle se réaliser en 2 ans si on est rapide et qu’on réduit le temps passé en clinique en dermatologie.
Il faut donc pour cela avoir au préalable été diplômé en dermatologie.
Mais, pour ma part, ayant commencé le formation pendant mon internat, j’ai opté pour une approche plus longue, à savoir : auto-formation, séminaires théoriques et enfin travail psychothérapeutique supervisé avec des patients.
Est-ce que la psychodermatologie est reconnue comme une spécialité dans d’autres pays ?
Oui bien sûr, la société européenne de dermatologie et psychiatrie (ESDaP) est très active. D’ailleurs leur prochain congrès est à Brest en France du 21 au 23 juin 2017.
Existe-t-il une spécialité de psychosomatique dans ton pays ? Si oui, comment la psychodermatologie se coordonne-t-elle avec la psychosomatique ?
La médecine psycho-somatique est une spécialité à part entière en Allemagne, ayant pour champ le traitement des parts psychosomatiques de toutes les maladies, incluant les pathologies dermatologiques.
Il y a quelques médecins qui sont spécialisés à la fois en dermatologie et en médecine psychosomatique, (par exemple le Professeur Uwe Gieler, Giessen, était chef du département de psychosomatique, puis quelques années plus tard, chef du département de dermatologie de l’hopital universitaire de Giessen), mais la plupart sont soient dermatologues, soient psychosomaticiens, et ont un point de vue spécifique de leur champ d’action.
À l’université de Bonn où je travaille, il existe une excellente collaboration entre les 2 services, et nous collaborons souvent sur les cas cliniques.
En ce qui concerne la recherche, quels sont les sujets d’actualités en psychodermatologie ?
Travailles-tu sur un thème en particulier ?
Comme j’ai deux jeunes enfants, j’ai assez peu de temps pour la recherche actuellement.
En général, il y a beaucoup de papiers sur les co-morbidités psychiques des dermatoses communes telles que le psoriasis.
Mais il y a également des recherches sur les épisodes délir nts au cours de parasitoses, sur les troubles dysmorphophobiques, et sur les lesions auto-infligées qui sont désormais classifiées par l’ESDaP. Et bien sûr, il y a aussi la recherche moléculaire, et les modèles psycho-neuroimmunologiques du stress dans les pathologies cutanées.
Tu es vice-presidente de la société de dermatologie psy ho-somatique. Quelles sont les activités de cette structure ?
Nous organisons un congrès national de psychodermatologie tous les ans, congrès au cours duquel les interventions varient de la dispense de connaissances de base pour les nouveaux participants intéressés, à des séminaires très spécialisés. Il y a en général également des séances de formations sur des compétences specifiques, telles que la communication avec les patients "difficiles". Les participants ont aussi l’opportunité d’interagir entre eux, et de discuter des cas cliniques.
Nous travaillons actuellement sur un programme de formation spécifique pour les psychodermatologues, et sur l’intégration systématique d’une formation en psychosomatique dans le cursus d’internat en dermatologie.
D’autre part, la société de dermatologie psycho-somatique soutient et participe activement à la recherche en psychodermatologie, via des bourses par exemple.
Aurais-tu des conseils à donner à un interne intéressé par la psychodermatologie ?
L’académie Européenne de Dermatologie et Venerologie offre régulièrement des cours en psychodermatologie pour les internes. J’y ai participé et j’ai adoré ce séminaire : j’y ai appris beaucoup sur le psychodermatologie, mais aussi sur les différentes pratiques en Europe, ce séminaire brassant des internes de toute l’Europe, d’Egypte et de Syrie.
De plus, je recommande vivement le congrès de l’ESDaP, ainsi que leurs séminaires destinés aux Internes et aux spécialistes.
Enfin, y a-t-il un livre que tu recommanderais pour avoir une vue globale de la psychodermatologie ?
Désolée, je ne connais pas de livre en français sur la psychodermatologie, mais il existe celui-ci en Anglais, qui est riche, facile à lire, et qui donne une bonne vision d’ensemble :
Harth/Gieler/Kusnier :
Clinical Management in Psychodermatology
Propos recueillis par Audrey Fontaine,
Traduction : Audrey Fontaine
Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°20

