Os posé dans l’utérus comme moyen de contraception : à propos d’un cas
Introduction
Bien que le problème de la contraception soit aujourd'hui résolu dans les régions civilisées, il existe encore des méthodes "bizarres", originales qui proviennent de divers milieux. On peut remonter à l’époque des caravaniers pour en trouver une variante. Pour éviter de voir les chamelles fécondées par un chameau un peu entreprenant, ils plaçaient des pierres dans le vagin des femelles.
Nous rapportons ici une observation récente prise en charge dans notre service.
Cas clinique
Mademoiselle E., âgée de 18 ans, consulte pour la première fois aux urgences de la maternité B à l’hôpital Pellegrin pour des douleurs pelviennes chroniques résistant aux antalgiques depuis deux ans. Elle est d’origine guinéenne, arrivée en France depuis janvier 2009, réglée à l’âge de 12 ans, qui a comme antécédent un paludisme guéri dans l’enfance, une IVG à l’âge de 16 ans avec aspiration sous anesthésie générale en Guinée sans terme précis, suite à laquelle on lui a posé un ‘stérilet’ sans son consentement. Elle est très demandeuse qu’on lui enlève son ‘stérilet’.
A l’examen clinique, elle est apyrérique et la palpation abdominale retrouve une douleur suspubienne médiane modérée sans défense ; au spéculum, les pertes ont un aspect plutôt physiologiques et les prélèvements vaginaux avec recherche de chlamydia trachomatis sont effectués. Le fil du ‘stérilet‘ au spéculum n’est pas visualisé. Le toucher vaginal révèle un utérus de taille normale, sensible à la palpation sans masse latéro-utérine.
L’échographie suspubienne associée à l’échographie endovaginale objectivent une image hyperéchogène, longiligne, mais irrégulière, déformée, occupant toute la cavité utérine, avec cône d’ombre postérieur sur toute la longueur, qui ne correspond pas à celle d’un stérilet commercialisé en France (Fig.1). L’aspect de l’utérus et des ovaires reste normal et il y a un petit épanchement dans le douglas.
L’ASP montre une opacité se projetant en regard de l’utérus.
Au niveau du bilan biologique, il n’existe pas de syndrome inflammatoire et le b-hcg reste inférieur à 1 mU/ml. Et le bilan de IST est négatif.
Devant cette image étrange dans l’utérus qui provoque des douleurs pelviennes chroniques résistant aux antalgiques, l’indication opératoire exploratrice est posée.
Le 11 juillet 2009, une hystéroscopie et cœlioscopie exploratrice sous anesthésie générale est réalisée : l’hystéroscopie visualise des adhérences diffuses dans la cavité utérine avec des fragments calcaires évoquant des tissus calcifiés ou des os (Fig.2) ; il n’existe pas de stérilet, et les deux ostiums ne sont pas mis en évidence. Un curetage-biopsique est effectué, ramenant des tissus calcaires associés à l’endomètre ; pendant la cœlioscopie, il existe un syndrome de Fitz-Hugh-Curtis et le pelvis est inflammatoire avec un épanchement citrin dans le douglas, associé des adhérences des fossettes ovariennes ; la taille et l’aspect de l’utérus sont normaux. Un prélèvement à visée bactériologique et cytologique est réalisé.
En suite post-opératoire, la patiente est mise sous biantibiothérapie (augmentin et oflocet) pendant trois semaines en attendant le résultat d’anatomopathologie de la biopsie et de la bactério-cytologie.
Nous avons donc le résultat de l’anatomopathologie, qui montre d’assez nombreux tissus osseux matures avec des débris d’endomètre altéré sans foyer de suppuration.
Le diagnostic des os humains matures (adultes) est posé .
Une nouvelle hystéroscopie est programmée deux mois après, le 02 septembre 2009 et l’ensemble du corps étranger a pu être extrait par voie hystéroscopique à l’aide de l’anse de résection et d’une curette fenêtrée.
Discussion
En cherchant dans la littérature sur Medline avec ‘foreing body in womb’ comme mots clés, nous avons trouvé 31 cas détaillés entre 1980 et 2008 : les corps étrangers pouvaient être la rétention des os fœtaux après un avortement (20 cas, 65 %), les fils non résorbables (4 cas), les aiguilles de suture cassées ou oubliées suivant une césarienne ou une suture de déchirure vaginale (2 cas), la compresse oubliée (1 cas) le bâton en bois (1 cas), l’épingle (1 cas), la bougie de Hegar (1 cas), les os du poulet (1 cas), etc. En analysant ces données, nous avons remarqué que les débris des os fœtaux après un avortement occupent une grande place au sujet de corps étanger dans l’utérus, qui se voit fréquemment dans les pays sous-développés (15 cas, 75 %), qui s’explique par le fait que des avortements clandestins se pratiquent régulièrement à ce jour dans ces pays. Dans notre cas, cette jeune patiente est d’origine guinéenne et a eu une IVG à l’âge de 16 ans avec un terme de grossesse imprécis. Nous nous sommes posé la question suivante : les débris des tissus osseux sont plutôt d’origine fœtale ou adulte ? d’origine intrinsèque ou extrinsèque ? Dans notre cas clinique, le compterendu de l’anatomopathologie a montré d’assez nombreux tissus osseux matures qui exclut la supposition de rétention de tissu osseux fœtal ou l’ossification endométriale après l’IVG..
Cette patiente présentait des douleurs pelviennes chroniques intermittentes, résistantes aux antalgiques, et elle est restée infertile en pratiquant des rapports sexuels réguliers sans contraception, à signaler qu’elle a conservé des cycles réguliers. Les hypothèses qui pourraient expliquer l’infertilité ou la subfertilité sont les calcifications ou les ossifications endométiales, les adhérences ou synéchies liées à l’inflammation locale, l’augmentation de polynucléaires ou de concentration locale en prostaglandine. Une échographie suspubienne ou endovaginale reste l’examen d’imagerie en premier lieu, rapide, peu coûteuse, reproductible, sensible et non agressive sont ses avantages, elle met en évidence souvent une image intrautérine hétérogène (hyperéchogène), irrégulière avec un cône d’ombre postérieur, indépendante du cycle. L’hystéroscopie reste l’examen diagnostique de référence, en plus, elle permet le traitement en réalisant l’exérèse de fragments osseux et certains auteurs préconisent une hystéroscopie sous contrôle échographique qui aura un taux de réussite plus élevé et sera plus sécurisé. Hunger C. a présenté un cas d’une congolaise immigrée en Allemagne, utilisant des os du poulet comme moyen de contraception [1] et Dajani YF. a décrit un cas d’infertilité suite à une rétention des os fœtaux avec cycles conservés. Dans notre cas, d’après la patiente, le gynécologue guinéen qui a réalisé l’IVG a mis un ‘stérilet’ après, sans l’accord de la patiente et après tous ces examens ce fameux ‘stérilet’ est probablement un os adulte d’origine incertaine (cadavre ?).
Conclusion
Utiliser un os humain adulte dans l’utérus comme moyen de contraception paraît inouï mais réellement existe dans certaines régions éloignées, non civilisées comme en Afrique. Avec l’augmentation de l’immigration en Europe, nous, les gynécologues, devrions rencontrer de plus en plus de cas étranges quelquefois posant des problèmes médico-légaux ou sociaux.
Fangchen LING
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°06