Inaptitude pendant une suspension du contrat de travail

Publié le 20 Nov 2023 à 11:41

 

Arrêt de la Cour de cassation (24 mai 2023, Cour de cassation, Pourvoi n° 22-10.517)

Les faits

Un salarié a été engagé en qualité de soudeur le 2 mai 1997. Le salarié, placé en arrêt maladie le 2 novembre 2017, a sollicité un examen médical au terme duquel le médecin du travail l'a déclaré inapte le 13 novembre 2017. Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 19 décembre 2017.

Comme pour toute inaptitude il faut respecter l'article L. 4624-4 du code du travail « après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l'équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l'employeur, le médecin du travail qui constate qu'aucune mesure d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n'est possible et que l'état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail. L'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail est éclairé par des conclusions écrites, assorties d'indications relatives au reclassement du travailleur ». ce que dans cette affaire le médecin du travail a fait. 

La spécificité de cette décision tient dans l’interprétation de l’article R. 4624-34, ce qu’il est convenu d’appeler « visite à la demande du salarié » : « Le travailleur peut solliciter notamment une visite médicale, lorsqu'il anticipe un risque d'inaptitude, dans l'objectif d'engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d'un accompagnement personnalisé ». 

L’interprétation de l’avocat général de la cour de cassation est intéressante : « l'examen demandé par le salarié, dont l'article R 4624-34 permet, dans le silence de ce texte, qu'il se tienne à tout moment, donc y compris durant un arrêt de travail du salarié, et prévoit, par l'emploi de l'adverbe « notamment » que son objet n'est pas limité à l'anticipation d'un risque d'inaptitude, dans l'objectif d'engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d'un accompagnement personnalisé, peut constituer l'« examen médical », sans précision sur sa nature, donc sans limitation aux examens de pré-reprise ou de reprise, visé à l'article R. 4624-42 » 

Décision de la cour

« Il résulte de la combinaison des articles L. 4624-4 et R. 4624-34, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, du code du travail, que le médecin du travail peut constater l'inaptitude d'un salarié à son poste à l'occasion d'un examen réalisé à la demande de celui-ci sur le fondement de ce second texte, peu important que l'examen médical ait lieu pendant la suspension du contrat de travail ». 

Le bureau du syndicat rappelle que pour une inaptitude il faut respecter les dispositions de l’article L. 4624-4. Dans cette affaire, le salarié a moins de 30 jours d’arrêt et donc ne peut probablement pas bénéficier d’une visite de pré-reprise. Il s’agit donc d’une visite à la demande du travailleur. Il faut bien faire la différence - et en informer le salarié notamment quand il a plus de 30 jours d’arrêt - entre une visite de pré-reprise et une visite à la demande du salarié dont les objets et les conséquences juridiques sont différents. Le bureau en appelle donc à la plus grande vigilance sur l’interprétation de la décision de la Cour de cassation qui n’est absolument pas de permettre de mettre des inaptitudes en visite de pré-reprise. Il faut d’autre part que toutes les autres conditions soient remplies étude de poste, FE et contact avec l’employeur.

Contester un avis d’inaptitude : quelles sont les modalités à suivre ?

Auteur : Me Stéphanie JOURQUIN, Avocat au Barreau de Nice Article publié le 2 août 2023 sur www.cabinet-sj.com

Deux affaires soumises à l’étude, la Cour illustrent le cadre de l’inaptitude :

• L’étendue du contrôle opéré par le juge (Soc. 7 déc. 2022, n° 21-17.927). 
• L’absence de contestation de l’avis médical et ses implications (Soc. 7 déc. 2022, n°21-23.662).

Objet et portée du contrôle judiciaire de l’avis d’inaptitude

Dans la première affaire, un salarié avait été recruté en qualité d’agent d’entretien avant d’être déclaré inapte par le médecin du travail.
L’avis d’inaptitude précisait que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé et que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi. L’employeur saisissait alors le Conseil de Prud’hommes aux fins de contester un avis d’inaptitude et demander l’organisation d’une expertise.

La Cour d’appel confortait le médecin du travail et le médecin inspecteur régional du travail désigné entre temps et confirmait l’inaptitude du salarié. Cependant, l’employeur formait un pourvoi en cassation, estimant que l’avis d’inaptitude aurait nécessairement dû être précédé d’une étude de poste et d’une étude des conditions de travail au sein de l’établissement.

C’est donc a priori le sens des articles L.4624-4 et R.4624-42 du Code du travail, car si l’on s’en tient à une lecture fidèle des textes, la déclaration d’inaptitude ne peut intervenir qu’après que le médecin du travail ait procédé à l’examen du poste occupé par le salarié et analysé ses conditions de travail.

Toutefois, la Haute juridiction rappelle que « le juge saisi d’une contestation de l’avis d’inaptitude peut examiner les éléments de toute nature sur lesquels le médecin du travail s’est fondé pour rendre son avis. Il substitue à cet avis sa propre décision après avoir, le cas échéant, ordonné une mesure d’instruction » (n°21-17.927).

Ainsi, les juges d’appel étaient donc libres de mobiliser l’ensemble des éléments sur lesquels le médecin du travail s’était appuyé pour conclure à l’inaptitude.

Dans le cas d’espèce, l’examen de la procédure suivie par le médecin du travail avait conduit la Cour d’appel à admettre que l’inaptitude du salarié était liée à une dégradation des relations entre les parties pendant l’arrêt de travail et aux conséquences psychiques qui en ont résultées. Pour cause, le salarié se plaignait des sollicitations de l’employeur pendant l’arrêt de travail, des pressions pour qu’il témoigne contre des collègues licenciés, d’une insistance pour prendre connaissance de son dossier médical, ces éléments ayant débouché sur un état anxio dépressif et justifié des soins psychothérapeutiques.

Ainsi, partant de constat, la Cour d’appel a estimé que l’absence d’étude du poste ou des conditions de travail n’avait pas eu d’incidence notable sur les conclusions du médecin du travail.

Absence de contestation de l’avis d’inaptitude

Dans la seconde affaire, un maçon avait été licencié pour inaptitude sur la base d’un avis d’inaptitude de travail l’ayant déclaré « inapte total » avec impossibilité de reclassement.

Le salarié avait saisi la juridiction prud’homale pour faire constater l’existence d’une discrimination liée à son état de santé et obtenir la nullité du licenciement pour inaptitude. Selon ce dernier, l’avis d’inaptitude était irrégulier en ce qu’il ne faisait pas apparaitre la mention obligatoire relative à l’existence d’une étude de poste.

En appel, l’intéressé était débouté de ses demandes. La Cour d’appel retenait que l’avis d’inaptitude n’avait fait l’objet d’aucune contestation dans le délai imparti, si bien qu’il n’était plus possible de contester un avis d’inaptitude et qu’il s’imposait de fait au salarié.

La chambre sociale approuve, là encore, le raisonnement suivi par les juges d’appel. Invoquant les articles L.4624-7 et R.4624-45 du Code du travail, la Cour rappelle que l’avis d’inaptitude peut être contesté devant la formation des référés du Conseil de Prud’Hommes, et ce, dans un délai de quinze jours.

Dès lors que l’avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail mentionnait précisément les voies et délais de recours et qu’il n’avait fait l’objet d’aucune contestation dans le délai légal, la régularité de l’avis ne pouvait plus être mis en cause. Aussi, l’avis s’imposait aux parties comme au juge sans qu’il y ait lieu d’opérer une distinction selon l’objet de la contestation.

Ces deux décisions nous ramènent à l’avis rendu par la chambre sociale le 17 mars 2021 (Soc., avis, 17 mars 2021, n°21-70.002) et qui concernait le champ du contrôle effectué par le juge.
Si l’avis est éclairant sur plusieurs points, la Lettre n°9 de la chambre sociale de mars-avril 2021 l’est d’autant plus.

Il est précisé en commentaire que contester un avis d’inaptitude ne peut porter que sur la capacité réelle du salarié à retrouver son poste.

Il n’est donc pas attendu du juge qu’il statue sur un éventuel manquement aux règles de l’art de la part du médecin du travail (règles de procédure et diligences). Pour autant, le Conseil de Prud’hommes est admis à « examiner tous les éléments ayant conduit à cet avis ». La juridiction prud’homale peut alors, « estimer que ces éléments sont insuffisants, notamment parce que le médecin du travail se serait abstenu de procéder à l’une ou plusieurs investigations prévues par l’article R.4624-42 du Code du travail ».

D’une certaine manière, la Cour est favorable à l’examen de la procédure suivie par le médecin du travail en ce qu’il est « sincère » dans le contrôle judiciaire des éléments l’ayant conduit à conclure à l’inaptitude du salarié.

Article paru dans la revue « du Syndicat Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC N° 70

Publié le 1700476873000