
Quand la mort devient monnayable
Si vous avez vécu dans une grotte les 6 derniers mois, vous n’avez probablement pas entendu parler du Blue Whale Challenge (BWC). Ce « jeu » s’inscrit dans la lignée morbide des défis stupides pour enfants et adolescents, comme le « jeu du foulard » ou le « rêve indien ».
Ce challenge serait apparu en 2016, en Russie, sur un réseau social très prisé dans le pays : Vkontakte. Arrivé en France il y a quelques mois, aucun mort ne serait pour le moment à déplorer – contrairement à la Russie où la centaine de décès aurait été dépassée – mais une adolescente a atteint le dernier niveau et a failli se suicider par pendaison.
Tout ce qui gravite autour de ce phénomène reste très énigmatique.
Description du challenge
Le principe reste assez simple : il consiste en 50 épreuves quotidiennes à éaliser sous la supervision d’un tuteur. Les épreuves sont d’intensité variable, allant de dessiner une baleine sur une feuille, à s’allonger sur des rails de train ; la dernière épreuve constant à se suicider, le plus souvent en sautant d’un toit élevé.
Chaque jour, il faut envoyer une photo où une vidéo au tuteur prouvant la bonne réalisation du défi. Et en cas de non respect, des menaces de mort, sur le « joueur » lui-même ou sur sa famille sont proférés.
Discussion sur la psychodynamique du challenge
Malgré la ressemblance avec les jeux dangereux habituels, le BWC opère un véritable tournant. Effectivement, à la différence de ses prédécesseurs,le jeu repose sur un principe asymétrique : il y a un « tuteur » (curator) et un « joueur » (player). Et c’est là où le jeu devient pervers. Car oui, c’est bien le but du jeu que de recueillir des images et vidéos de jeunes se scarifiant et se suicidant pour assouvir les pulsions de pervers pouvant les acheter par la suite sur le darknet.
C’est un mélange de méthodes de manipulations psychologiques extrêmement bien pensé pour avoir le plus de probabilité d’aboutir au niveau 50.
Il y a la méthode bien connue du pied-dans-la-porte, où l’on commence par dessiner une baleine sur une feuille, puis sur sa main, puis on se scarifie 3 entailles sur l’avant-bras, puis on arrive à se scarifier une baleine sur le bras. La ligne de conduite pour arriver au suicide suit la même logique. En premier lieu on monte sur un toit, puis un autre jour sur un pont, puis un autre jour sur des rails, puis on finit par se jeter d’un toit élevé.
Et pour brouiller les pistes, pour que la manipulation soit moins visible, on mélange les épreuves, un coup on dessine une baleine, le lendemain on monte sur un toit, le surlendemain on discute avec d’autres « baleines ».
Le challenge utilise également une privation de sommeil qui ne fera que diminuer la capacité de résilience de l’individu : à partir du niveau 30, toutes les épreuves se déroulent à 4 heures 20 du matin.
Il y a également des épreuves consistant à entrer en contact avec d’autres baleines (whales), c’est-à-dire soit des « joueurs » soit des « tuteurs ». Probablement que cela entretien la volonté de jouer, que cela montre que l’on est pas seul, voire même cela augmente l’esprit de compétition. Bref tout est pensé pour laisser le moins de chance possible au joueur de s’en sortir.
La population cible de ce jeu est celle des adolescents. En pleinepériode de transition vers l’âge adulte, le psychisme en dynamique de destruction/reconstruction constante, cet âge constitue un facteur de vulnérabilité.
Étrangement, alors qu’on pourrait penser que les pics de testostérone pourraient faire des hommes des cibles privilégiées, le sex-ratio des participants penche en faveur des femmes. Habituellement, ce sont les garçons les grands perdants de ces jeux, qui sont utilisés pour éprouver des sensations intenses qui donnent aux jeunes un sentiment d’existence.
Pour rappel le suicide est la première cause de mortalité chez les 15-25 ans.
Malgré le buzz du BWC sur les réseaux sociaux (on ne compte plus les vidéos « J’AI FAIT LE BLUE WHALE CHALLENGE !!!!!!!!! »), il n’y a heureusement aucun décès recensé en France. Peut-on en conclure qu’il faut tout de même une vulnérabilité initiale de la personnalité pour se laisser embarquer dans cette spirale autolytique ? L’adolescente française ayant atteint le niveau 50 vit dans un foyer pour adolescents.
Quoi qu’il en soit, nos plus jeunes patients sont probablement des sujets à risque. Peut-être un jour serez-vous confrontés à un jeune homme, une jeune femme, une baleine dessinée sur la main.
Soyez informés.
Thomas BARBARIN
Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°20

