
Dysfonctionnements en Médecine Générale : Enquête par Questionnaire autour d’un Événement Indésirable Associé aux Soins auprès de Médecins Généralistes
Contexte : L’amélioration de la sécurité des soins est un enjeu de santé publique. L’une des techniques d’évaluation des pratiques professionnelles recommandées par l’HAS est l’analyse des événements indésirables associés aux soins (EIAS). Tout médecin peut être confronté à des EIAS qui modifient sa pratique. Nous avons étudié comment les médecins changeaient leur pratique suite à un EIAS. L’objectif secondaire était d’étudier les freins à la discussion d’EIAS entre médecins.
Méthode : Il s’agit d’une étude observationnelle descriptive par questionnaire anonyme auprès de médecins généralistes d’octobre 2018 à mars 2019. Ce questionnaire cherchait à recueillir un EIAS vécu par le médecin et le changement occasionné dans sa pratique. Une deuxième partie comportait une échelle de Likert sur les freins à l’analyse des EIAS entre médecins. Enfin les EIAS ont été classés selon la grille CADYA.
Résultats : Nous avons recueilli 144 EIAS auprès de 145 médecins. 73 % des événements étaient considérés comme graves. Seulement 29 % des médecins avaient pris l’avis d’un confrère. Mais 85 % des médecins considéraient que l’EIAS avait eu un impact dans leur pratique. 42 % des EIAS sont dus à un dysfonctionnement dans le processus de soins (20 % dans la dimension cognitive : défaut de formation ou de synthèse et 17 % d’un problème de coordination des soins). 27 % des EIAS sont dus à un dysfonctionnement technique : 18 % dans le système d’information (défaillance du système de communication ou données erronées) et 8 % d’un facteur matériel (panne ou défaut d’usage). 23 % des EIAS sont liés à des facteurs humains (11 % liés au patient et 9 % liés au soignant). Les deux principaux freins à la discussion d’EIAS entre médecins sont le manque de temps et la culpabilité.
Conclusion : Adopter une démarche qualité avec évaluation des pratiques professionnelles est un enjeu pour l’avenir de la médecine générale. Les médecins généralistes sont volontaires pour se former à l’analyse d’EIAS. Le regroupement des médecins généralistes dans des maisons de santé pluridisciplinaires est un moyen de favoriser les initiatives locales.
Introduction
« Errare humanum est, perseverare diabolicum ».
La sécurité des soins est un enjeu majeur de santé publique. En 2013, le ministère de la santé en fait une priorité avec le Plan National Pour la Sécurité des Patients.
Depuis plusieurs années la médecine de premier recours a vu sa charge de travail augmenter. Le manque de médecins et l’augmentation des démarches administratives en sont responsables. Cette évolution s’accompagne de judiciarisation croissante, et fait peser la menace de lourdes sanctions. Chaque praticien doit pouvoir justifier de ses actes par rapport aux recommandations. L’Evidence Based Medecine, impose des preuves scientifiquement démontrées.
En 2009, la loi Hôpital, Patient, Santé et Territoire (HPST) instaure le développement professionnel continu (DPC) obligatoire pour tout professionnel de santé.
Son objectif est d’améliorer les pratiques professionnelles et d’actualiser les connaissances des soignants. L’une des orientations nationales du DPC de 2016 à 2018, récemment prolongées jusqu’à fin 2019, est l’amélioration de la sécurité des soins. Pour améliorer la sécurité des soins, il est nécessaire d’évaluer les pratiques professionnelles et l’organisation des soins. La Haute Autorité de Santé (HAS) propose comme démarche d’évaluation l’analyse des Événements Indésirables Associés aux Soins (EIAS). Elle publie en 2014 un guide méthodologique sur les Revues de Morbi-Mortalité (RMM) en médecine générale. Bien que ces RMM permettent de valider le DPC depuis 2012, cela reste des expérimentations ponctuelles et peu connues des praticiens. Or chaque médecin peut être confronté à un dysfonctionnement entraînant un EIAS.
L’objectif principal de ce travail est donc d’explorer comment les médecins généralistes évaluent leurs pratiques au quotidien en étudiant les dysfonctionnements associés aux EIAS. L’objectif secondaire est d’évaluer les freins à la discussion des EIAS entre médecins.
La notion d’événement indésirable apparaît dès les années 60. Antérieurement, il n’existe pas de définition consensuelle. Dans la littérature internationale, on retrouve plus de 20 définitions différentes. L’EIAS est souvent confondu avec l’erreur médicale ou l’effet secondaire des traitements ou l’aléa thérapeutique. Nous allons donc définir ces différents termes.
James Reason en 1993 définit l’erreur médicale comme une « séquence planifiée d’activités mentales ou physiques qui ne parviennent pas à atteindre l’objectif désiré, et quand ces échecs ne peuvent pas être attribués à l’intervention du hasard ».
L’erreur médicale est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) dans sa classification internationale pour la sécurité du patient. Elle se définit comme « une exécution non conforme d’un acte prévu ou l’application d’un plan incorrect qui peut se produire dans sa planification ou son exécution ».
C’est un phénomène complexe et inévitable lié à la nature humaine. Cela se distingue de l’infraction qui, elle, est volontaire, définie comme le non-respect délibéré des procédures, des normes ou des règles. Cette notion est cependant trop réductrice et culpabilisante, n’incluant que les erreurs directement imputables au praticien en lui assurant l’entière responsabilité.
Pierre Sargos, président de chambre à la Cour de cassation et spécialiste de la responsabilité médicale le définit comme « la réalisation, en dehors de toute faute du praticien, d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne peut être maîtrisé ».
En 2014 la HAS définit le IEAS comme : « Un événement ou une circonstance associé aux soins, qui aurait pu entraîner ou a entraîné une atteinte pour un patient et dont on souhaite qu’il ne se reproduise pas ».
En 2007 l’OMS publie la Classification Internationale pour la Sécurité du Patient (CISP). Un événement indésirable y est défini comme « un incident qui entraîne une atteinte pour le patient ». Un incident relatif à la sécurité des patients est aussi décrit comme « un événement ou une circonstance qui aurait pu entraîner, ou a entraîné, une atteinte inutile pour le patient ». Cette définition introduit le caractère évitable de l’événement indésirable associé aux soins.
En 2013 l’étude ESPRIT étudie au niveau national l’incidence des événements indésirables associés aux soins en médecine générale. L’un de ses objectifs est de définir, en soins primaires, un événement indésirable associé aux soins. Après une revue de la littérature, elle recense 5 définitions différentes d’EIAS parmi 24 publications.
Une étude qualitative par focus groups en a étudié l’acceptabilité et le caractère opérationnel pour la détection des EIAS. Cette nouvelle définition basée sur celle de l’OMS, fait consensus à l’international. Le groupe de travail y apporta deux modifications importantes.
La première a été de changer la terminologie « incident relatif à la sécurité du patient ».
C’était la traduction littérale de « patient safety incident », qui devient un « événement indésirable associé aux soins ». La deuxième est d’ajouter « dont on souhaite qu’il ne se reproduise pas de nouveau ». Cette modification vient de la définition de Fernald. « N’importe quel événement dont vous souhaitez qu’il ne se reproduise pas à nouveau et qui pourrait porter atteinte à la sécurité du patient ».
Depuis l’étude Esprit, l’événement indésirable associé aux soins en ville est donc défini comme : « Un événement ou une circonstance associé aux soins, qui aurait pu entraîner ou a entraîné une atteinte pour un patient et dont on souhaite qu’il ne se reproduise pas de nouveau ». L’HAS remplace la redondance de la formule « se reproduise de nouveau » par « ne se reproduise pas ». Elle publie cette définition dans son guide pour l’analyse d’EIAS hors des établissements de santé en 2015. Nous avons donc repris cette définition d’un EIAS dans ce travail. L’EIAS est une notion plus large que l’erreur médicale, l’aléa thérapeutique, ou l’événement indésirable lié à un traitement. L’EIAS est la conséquence de différents facteurs plus ou moins associés : l’aléa thérapeutique, l’erreur médicale, contexte environnemental ou défaut d’organisation. Son caractère évitable le rend intéressant à repérer pour éviter qu’il ne se reproduise, afin d’augmenter la sécurité des soins.
Les premières études sur les EIAS ont commencé à l’hôpital pour être ensuite étendues aux soins primaires. Les premières données épidémiologiques françaises sont fournies par les deux Enquêtes Nationales sur les Événements Indésirables graves liés aux Soins (ENEIS 1 et 2, respectivement en 2004 et 2009). Un Événement Indésirable Grave (EIG) étant « un événement défavorable pour le patient, qui est à l’origine d’un séjour hospitalier ou de sa prolongation, d’une incapacité ou d’un risque vital ». Ces études sont prospectives sur un échantillon randomisé de patients hospitalisés. Elles mesurent la fréquence des événements indésirables graves liés aux soins pendant une hospitalisation ou l’ayant entraînée.
La première enquête a estimé l’incidence d’EIG en cours d’hospitalisation à 6,6 pour 1000 journées d’hospitalisation.
Les auteurs ont identifié au total 450 événements indésirables graves. 195 EIG ayant conduit à une hospitalisation dont 86 évitables (46,2 %) et 255 survenus pendant l’hospitalisation dont 95 évitables (35,4 %). La deuxième enquête (ENEIS 2), de 2009 confirme une incidence comparable estimée à 6,2 pour 1000 journées d’hospitalisation. Cela permet d’apprécier l’importance du problème : Un EIG tous les cinq jours dans un service de 30 lits, 4,5 % des motifs d’hospitalisations, dont 2,6 % de ces EIG étaient évitables. Certains surviennent suite à des soins extra hospitaliers avec des prises en charge complexes et avec un nombre d’intervenants croissant.
Elle avait pour objectif d’estimer la fréquence et la gravité des événements indésirables extrahospitaliers causant une admission hospitalière.
Elle étudie le contexte, le caractère évitable, les facteurs contributifs des EIAS et leur coût. Dans un premier temps, il a été recherché les motifs extra-hospitaliers de l’admission du patient à l’hôpital, pour ensuite analyser l’origine de cet EIAS au cabinet du médecin.
C’est une étude réalisée dans 22 unités de médecine et chirurgie, réparties dans 7 établissements publics et privés. Sur les 2946 patients inclus, 73 ont été hospitalisés (2,4 %) pour un événement indésirable lié aux soins extra hospitaliers. 52 d’entre eux ont été considérés comme évitables (71 %) avec une proportion plus significative en médecine (2,7 %) qu’en chirurgie (0,3 %). Sur les 52 EIAS évitables, 23 n’avaient eu aucune conséquence (44 %), 12 avaient eu un impact sur la sortie de l’hôpital (24 %) et 17 étaient associés à un risque vital, dont un décès (32 %). 81 % étaient associés à un médicament (Anti-vitamine K (AVK), neuroleptiques, diurétiques).
Les EIAS en ville étaient liés au patient, au médecin, ou à une situation à risque.
Les facteurs liés au patient ou à la situation clinique sont :
- L’âge, la démence, la Fibrillation Auriculaire (FA), la polymédication, la perte d’autonomie et l’isolement.
- Des comportements à risque (opposition aux soins, non compliance, agressivité, automédication).
- L’EHPAD avec le rôle du médecin coordonnateur.
Les facteurs liés au soignant sont :
- Défaut de vigilance sur l’état de santé ou sur des traitements prolongés.
- Erreurs thérapeutiques par méconnaissance des recommandations et la difficulté à remettre en cause des prescriptions de spécialiste d’organe.
- Mauvaise communication médecin-patient, (consigne orale ou par téléphone) et aussi avec les médecins spécialistes, les autres soignants, le laboratoire de biologie et les médecins hospitaliers.
Le principal biais de cette étude est le recrutement hospitalier des EIAS. Les EIAS sont graves par définition puisqu’ils ont entraîné une hospitalisation mais cette étude a permis toutefois de mettre en évidence leur origine en soins primaires. Cette étude épidémiologique française transversale a estimé l’incidence des événements indésirables associés aux soins évitables et en a décrit la typologie. Le recueil est centré cette fois-ci sur les cabinets de médecins généralistes. Un échantillon représentatif de 127 médecins a été tiré au sort parmi les Groupes Régionaux d’Observation de la Grippe (GROG).
Pendant 7 jours tout EIAS rencontré lors de leur activité, est inclus par des médecins généralistes formés sur la notion d’EIAS sur un site informatique sécurisé. Des médecins généralistes experts ont ensuite validé chaque EIAS, puis classé selon la Taxonomie de Makeham et la méthode des tempos, que nous étudierons après. 475 EIAS validés par le séminaire d’experts pendant 649 journées avec 13 438 actes réalisés (consultations, visites et contacts téléphoniques). 346 des EIAS n’ont eu aucune conséquence clinique (73 %), 119 une incapacité temporaire (25 %). Seuls 9 EIAS étaient cliniquement graves (2 %). L’incidence des EIAS évitables était de 22 pour 1000 actes soit un EIAS tous les deux jours par médecin généraliste.
L’incidence ne varie pas selon le type d’acte, visite ou consultation.
Cette étude permet plusieurs conclusions :
- Les EIAS graves sont exceptionnels : 0,07 % des actes.
- La majorité des EIAS n’a entraîné aucune conséquence. Ils ont pu être corrigés grâce à la vigilance du médecin, du pharmacien, du patient, de son entourage, ou celle d’autres professionnels.
- La survenue d’un EIAS était en rapport avec des problèmes d’organisation du cabinet, de rédaction des prescriptions, de défauts de communication, de défauts de mobilisation des compétences.
Dans cette étude, 204 EIAS (43 %) ont été identifiés par des patients ou leur entourage. Cela montre l’implication des patients. Grâce aux différentes études épidémiologiques on sait que les EIAS en médecine générale sont fréquents et rarement graves. Il faut pouvoir les classer selon leur cause afin d’avoir des pistes d’amélioration. Nous allons voir les différentes classifications des EIAS. Il existe plusieurs taxonomies des EIAS en soins primaires. Nous allons vous présenter les quatre principales.
Créée par l’OMS, elle fait référence sur le plan international. Elle a été développée à l’origine pour les établissements de santé. Mais plus d’une centaine d’items rend son utilisation complexe. Elle est en revanche utile pour une exploration en profondeur d’un nombre réduit d’EIAS. Parmi plusieurs versions, l’étude ESPRIT a retenu celle de l’étude TAPS (Threats to Australian Patient Safety) publiée par Makeham. Cette classification aisément reproductible, utilise seulement 35 items mais analyse plus les erreurs que les dysfonctionnements sous-jacents. Cette méthode a été développée par Analberti en 2009.
Elle utilise le temps de l’activité libérale comme critère de classification en 5 catégories :
- Le tempo maladie.
- Le tempo médecin.
- Le tempo traitement.
- Le tempo cabinet.
- Le tempo du système de santé.
Il faut gérer de façon synchrone les différents tempos pour éviter la dégradation de l’un au profit d’un autre. Elle insiste sur l’importance d’une bonne gestion du temps comme un moyen de diminuer les risques en médecine générale.
La grille Catégorisation des Dysfonctionnements en Ambulatoire CADYA est simple d’utilisation. Développée depuis 2011 à partir d’un corpus d’EIAS obtenu par des RMM réalisées en Rhône-Alpes. À la manière de la grille ALARM, elle classe les EIAS en cherchant l’origine des erreurs dans le raisonnement antérieur à la prise de décision afin de mieux cibler les corrections.
Elle comporte 4 catégories principales
- Les facteurs techniques.
- L’environnement des soins.
- Le processus lié à la décision de soins.
- Les facteurs humains.
Ces catégories sont complétées par 1 ou 2 sous-niveaux. Elle offre en outre la possibilité de réaliser un travail pluri-professionnel et pédagogique en ciblant les changements à faire. Cette grille est utilisée dans plusieurs thèses sur les EIAS notamment celle de Diane Koehler et Thibaud Morlan en 2015 sur « Les Principaux Dysfonctionnements Associés à la Survenue d’Événements Indésirables en Soins Primaires » et celle de Caroline Champagne « Démarche Qualité en Maison de Santé Pluriprofessionelle : Recueil et Analyse des EIAS ».
L’EIAS peut donc résulter de divers dysfonctionnements comme des facteurs environnementaux, des erreurs humaines, des problèmes techniques ou encore des défauts dans le processus de soins. Ces dysfonctionnements peuvent donc intervenir à tout moment dans l’action de soin : de la prise de rendez-vous, à la prise du médicament en passant par la consultation médicale et la dispensation des traitements. L’analyse globale du système dans lequel s’intègrent les soins est donc nécessaire.
Cette culture d’analyse globale est une approche récente en médecine et a été extrapolée de la sécurité aérienne ou de l’industrie du nucléaire. L’amélioration de la sécurité des soins nécessite une approche globale du système de santé, et la mise en place de dispositifs permettant d’écarter les risques évitables. Il est donc nécessaire de définir l’approche à adopter vis-à-vis des erreurs créant ces risques. Selon James Reason, il existe deux approches possibles sur l’erreur, soit une approche individuelle, soit une approche systémique.
L’approche individuelle considère la variabilité du comportement humain comme seul dysfonctionnement responsable : l’oubli, l’inattention, la démotivation, le stress, la négligence, etc. L’approche individuelle a longtemps été privilégiée dans le monde médical, elle reposait sur l’infaillibilité du soignant, avec une tendance au déni. Or taire ses erreurs ne les font pas disparaître. Elle explique l’erreur seulement par la faillite du comportement humain.
Cette approche renforce le soignant comme deuxième victime d’un EIAS comme l’a décrit en 2000 Wu ah. En 2005, Marc Chanelière a montré dans sa thèse que 92 % des généralistes étaient impactés sur le plan personnel et professionnel suite à une erreur. Les soignants sont remis en cause dans leur légitimité professionnelle, dans leur image et dans leur désir de soigner.
La citation de James Reason « It is often the best people who make the worst mistakes-error is not the monopoly of an unfortunate few » (Ce sont souvent les meilleurs qui font les pires erreurs et l’erreur n’est pas réservée à quelques malchanceux) montre que tout le monde peut faire des erreurs. Les conséquences d’une erreur lors d’un acte à risque peuvent être potentiellement plus sévères. Cela implique une culture de la sécurité importante en chirurgie, en réanimation ou en obstétrique.
L’approche systémique part d’un constat que l’erreur étant humaine, c’est donc au système d’empêcher l’humain d’en faire. L’erreur est perçue comme un défaut dans le système. Pour une prévention secondaire efficace, il faut rechercher les causes racines en analysant le contexte organisationnel ou systémique. Les accidents sont souvent le résultats des mêmes schémas. Les mêmes causes ayant les mêmes effets, il faut empêcher le système de laisser se reproduire les mêmes erreurs. L’individu seul ne peut développer un système de santé plus sûr.
Le modèle dit du fromage suisse étudie les systèmes complexes nécessitant une haute fiabilité comme les centrales nucléaires ou le trafic aérien.
Les différents acteurs et procédures (alarmes, check list) du système sont vus comme un empilement de différentes plaques. Ces plaques sont faillibles, et sont donc symbolisées avec des trous. Chaque plaque doit en théorie empêcher un EIAS de survenir. L’EIAS survient seulement quand tous les trous de ces différentes plaques sont alignés.
Un système est décrit avec trois types de plaques différentes :
- Les acteurs organisationnels.
- Les acteurs de terrain : les soignants.
- Les mécanismes de récupération d’erreur.
Chaque acteur peut présenter une défaillance
Le modèle du fromage suisse d’après J.Reason d’aprés le site de la prévention-médicale.org
Cette approche permet de comprendre le « comment » et le « pourquoi » cela est arrivé, alors que l’analyse individuelle ne s’intéresse qu’au « qui ». L’individu n’en reste pas moins responsable de ses actes. La responsabilité de chaque soignant reste pleine et entière.
Le DPC (Développement Professionnel Continu) initié par la loi HPST est effectif depuis 2013. C’est l’évolution de la Formation Médicale Continue (FMC) obligatoire pour tout professionnel de santé. C’est une démarche active de la part du praticien.
Il répond à trois objectifs :
- Évaluer et améliorer les pratiques professionnelles.
- Actualiser les connaissances.
- Prendre en compte les priorités de santé publique.
Chaque praticien doit faire son parcours de DPC auprès d’un organisme validé. Ces programmes de DPC doivent être conformes aux orientations nationales du DPC et utiliser une méthode validée par la HAS. L’organisme de DPC doit être enregistré auprès de la Commission Scientifique Indépendante correspondante.
Le DPC est possible en groupe ou individuellement. Les différentes techniques validées par la HAS pour l’analyse des pratiques sont :
Tableau avec les différentes méthodes d’analyse des pratiques utilisables dans le cadre du DPC d’après le guide de l’HAS Méthodes et modalités de DPC (28)
L’HAS promeut donc comme méthode de DPC dans la gestion des risques, la réalisation de RMM ou de comité de retour d’expérience, ainsi que les groupes d’échange de pairs. L’analyse d’EIAS peut rentrer dans chacune de ces 3 méthodes. La gestion des risques de soins permet d’en améliorer la qualité.
L’ANAES en 2002 a publié un guide sur la mise en oeuvre d’une démarche qualité en établissement de santé. Elle insiste sur l’importance d’une amélioration de la qualité continue et régulière. W.E Deming a décrit en 1951 le principe de l’amélioration continue de la qualité avec la roue de Deming ou cycle PDCA (Plan, Do, Check, Act).
PLAN = planifier, se fixer des objectifs
DO = faire, mettre en oeuvre ce qui a été prévu
CHECK = vérifier les avancées, contrôler les résultats
ACT = améliorer pour tendre vers
Roue de Deming d'après le site :
http://www.mriconseil.org/qualite/acco_ISO_9001.
L’analyse d’EIAS doit servir à planifier des objectifs d’amélioration de la qualité des soins pertinents. L’important est de faire évoluer ses connaissances : « L’expérience n’est pas synonyme de qualité ». Chaque médecin, cabinet de groupe, maison de santé pluridisciplinaire (MSP) doit mettre en place l’une des différentes démarches d’Évaluation ou d’auto-évaluation des Pratiques Professionnelles (EPP) qui existent comme le chemin clinique, l’audit de dossier,
RMM, RCP, Groupe d’échange de pairs, etc.
En intégrant cette démarche d’analyse d’EIAS on augmente la sécurité des soins en ville.
C’est une étude observationnelle, descriptive, rétrospective par questionnaire auprès de médecins généralistes. Les médecins généralistes inclus dans notre étude, exercent en France avec une pratique libérale. Les médecins à exercice particulier (Acupuncture, Homéopathe...) et les médecins spécialistes d’organes ou avec pratique hospitalière ont été exclus.
Conclusion
Adopter une démarche qualité avec une évaluation des pratiques professionnelles paraît un enjeu pour l’avenir de la médecine de ville. Dans les 144 EIAS rapportés dans notre étude, 73 % étaient considérés comme graves. Les dysfonctionnements sont multiples et variés. Ils se répartissent entre des dysfonctionnements du système d’information (biologies non récupérées ou allergies non signalées), des manques de formation continue, des insuffisances dans le suivi de pathologies chroniques ou dans la coordination des soins (problème de dépistage) mais aussi de problèmes dans la relation médecin-patient et la réalisation de gestes techniques. Les médecins généralistes sont concernés par le sujet mais peu formés aux différentes techniques d’EPP. 70 % le souhaitent mais n’ont pas d’outils. La promotion d’outils simples comme la grille CADYA doit être faite. Il faut encourager les initiatives locales et personnelles pour mettre une démarche qualité au sein de la médecine de ville.
Les échanges entre médecins sur les EIAS restent difficiles à cause de la culpabilité et de la peur du jugement des confrères. Le regroupement des médecins généralistes dans des maisons de santé pluridisciplinaires ou des cabinets de groupe paraît une solution pour faciliter ces échanges. À ceci s’ajoute la difficulté de reconnaître les EIAS. L’analyse des EAIS doit donc prendre une place plus importante dans la formation initiale et continue des futurs praticiens.
Dr Antoine Perot
Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°27

