Être PH en pass : revenir à l‘essentiel

Publié le 31 May 2022 à 10:51


Le Dr Mohamed El Mouden est PH en médecine d’urgence, il travaille dans le domaine de la précarité depuis le caps de Sangatte géré par la Croix Rouge puis une antenne précarité aux urgences de calais et enfin dans la PASS du CH de Calais ouverte en 2006 au centre-ville Rue coubertin à 3 km de l’hopital.

Comment est née la PASS de Calais ? [1] [2] [3]
• Au début on appelait les migrants les Kosovars (et certains calaisiens les appellent encore ainsi) car ils fuyaient la guerre des balkans (97-99). L’hôpital a été inclus d’emblée dans leur prise en charge médicale car les premiers réfugiés étaient à 50 mètres de l’hôpital et l’hôpital est le seul endroit ouvert H24.
• De 1999 à 2002 : le camp de Sangatte a été créé, tenu par la Croix Rouge, c’est là que nous avons commencé à intervenir. Les internes en médecine d’urgence s’y rendaient sur leur temps libre mais ils étaient rémunérés par l’hôpital.
• Puis, à la fermeture de Sangatte (2002), il n’y avait plus rien pour accueillir les réfugiés et on pensait que les migrants allaient partir et disparaître. Mais en fait, ils étaient toujours là et ils venaient aux urgences alors on a ouvert un bureau médical pour les consultations rapides dédiées aux patients sans droits, au sein des urgences de l’hôpital puis une PASS dédiée (avec personnel dédié) en 2006 Rue Coubertin au centre-ville : l’hôpital met alors à disposition 0,8 ETP de médecin.

Les consultations étaient assurées par des médecins généralistes et des médecins hospitaliers. Le personnel hospitalier intervenant à la PASS était exclusivement affecté à la PASS (il ne prenait pas en charge en même temps d’autres patients des urgences). Concernant les médecins, nous faisions des vacations sur notre temps libre, de 13h30 à 17h30 (NDLR : ces horaires sont calqués sur ceux des réfugiés qui passent la nuit à essayer de « passer » en Angleterre et dorment le matin [5] ; et ce tous les jours, sauf WE et JF. : nous étions deux : un médecin urgentiste (moi) et un médecin généraliste qui travaillait à temps partiel en psychiatrie

• En 2015/2016, lors de l’afflux massif de réfugiés, le nombre de consultations a considérablement augmenté : nous sommes passés de 15 patients/après-midi à 60 ! : l’hôpital a alors ajouté un ETP assistant, puis fin septembre 2015 un médecin TP supplémentaire.
En octobre 2015 : une PASS supplémentaire a été créé dans la « jungle » : la PASS Jules Ferry ; cette PASS œuvrait au sein d’un centre d’accueil qui assurait la distribution des repas, l’accès aux douches, et qui offrait un lieu avec accès aux soins d’abord en nursing puis en soins proprement dits. Cette PASS avait une très forte activité : 140 malades /jour ; y travaillaient 2 medecins-assitants, 2 infirmières, 1 interpréter, 1 psychologue. Entre les deux PASS (jungle et hôpital) nous pouvions arriver jusqu’à 160/consultations jours.

Cette PASS hors hôpital a été fermée lors du démantèlement du camp de Calais en octobre 2016. 

• Aujourd’hui : seule la PASS de l’hôpital fonctionne ; nous assurons environ 35 à 40 consultations/ jour (le nombre de consultations est en augmentation aujourd’hui).

Histoire brève de l’accueil des réfugiés en Calaisie
1998-1999 : Les premiers réfugiés arrivent à Calais, ils fuient la guerre du Kosovo, ils sont environ 200 ; après l’intervention de certains Calaisiens et de l’abbe Pierre : un centre d’accueil pour les migrants a existé de 1999 à 2002.
1999-2002 : Camp de Sangatte : il fut créé en septembre 1999 par la préfecture de Calais qui réquisitionne un hangar de 25000 m2 (Eurotunnel) pour loger 200 personnes (bungalows dortoirs et tentes) qui campaient dans les jardins publics. Il est géré par la Croix-Rouge. Conçu comme centre d’accueil provisoire pour migrants clandestins, avec une capacité de 800 personnes, ce camp se pérénise ; les personnes accueillies sont kurdes -irakiennes, iranniennes, afghanistanes-. Entre 1999 et 2002 : 68 000 migrants accueillis ; les conditions de vie sont insalubres, non sécurisées pour les vulnérables, il y a des morts lors de bagarres mais aussi lors des tentatives de passages par le tunnel.
2002 : Fermeture du camp de Sangatte En 2002, Nicolas sarkozy, ministre de l’Intérieur, ferme le camp avec un accord entre la France et la GB : 2/3 des réfugiés seront accueillis en GB, 1/3 demanderont l’asile en France ; au moment de sa fermeture il y avait 2000 personnes dans le camp…
2002 à 2015 : Les migrants continuent d’arriver (kurdes) ; Les migrants restent car ils veulent passer en GB. Progressivement s’installe la « jungle » inspiré de « JANGAL » : forêt en persan et patchoun car les migrants s’installent dans la forêt autour des installations portuaires. Seules restent sur place des associations.

la « jungle » est démantelée à plusieurs reprises et toujours se recrée :
• En avril 2009, les campements sauvages sont rasés au buldozer et les forces de l’ordre procèdent à des arrestations ; mais en juin 2009, il y a à nouveau 800 habitants dans la jungle ;
• En septembre 2009, nouvelle évacuation de 700 migrants ;
• En 2014, des campements de 550 migrants sont évacués (épidémie de gale).

Le 2 septembre 2014, face à une nouvelle vague de migrants, B. Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, instaure le centre d’accueil Jules Ferry ; le centre Jules Ferry dit d’accueil de jour assure aux personnes migrantes de 9h30 à 18h00 un accès aux soins de première nécessité : (se laver, manger, consultations médicales et soignantes, informations juridiques et sociales) ; le centre accueille 2400 personnes par jour ; il met à l’abri jour et nuit 400 femmes et enfants en situation de vulnérabilité.

En été 2015 : Crise migratoire : selon Frontex, 340 000 personnes sont arrivées en 7 mois dans l’union européenne ; les associations dénoncent un défaut d’anticipation.
En octobre 2015, le gouvernement annonce un plan pour accélérer la répartition des migrants pour désengorger la jungle.
En janvier 2016 : Ouverture d’un camp humanitaire avec 125 conteneurs ; capacite officielle 1500 personnes ; mais en fait, lors de son ouverture, la jungle compte officiellement 4000 migrants, officieusement on dénombre jusqu’à 6000 clandestins.

• Associée à une politique d’éloignement de la ville (plan Cazeneuve) encourageant les départs volontaires et les demandes d’asile en France.

Octobre 2016 : évacuation de la jungle (6486 migrants) dirigés par bus vers 450 centre d’accueil et d’orientation (CAO* après avoir été enregistrés par l’office de l’immigration et de l’intégration ; les mineurs isolés étrangers (MIE) sont envoyés dans des centres d’accueil provisoire (CAP) dans le camp et l’Angleterre étudie les dossiers au cas par cas ; si les migrants ne sont pas d’accord, ils sont placés dans des centres de rétention administrative (CRA) pour être expulsés mais beaucoup restent dans la nature

Mais les migrants reviennent toujours à Calais car ce qu’ils veulent c’est passer en GB ; mais la GB n’accepte pas les MIE : sur les 1943 MIE envoyés en CAOMIE, seuls 468 sont acceptés par l’Angleterre.

En mars 2017, il y a environ 300 à 400 migrants à Calais ; la maire de Calais interdit la distribution de repas et des douches. Les associations sur place ont déposé un recours. Recours gagné.

* CAO = Centre d’accueil et d’orientation centre où les migrants peuvent faire leurs demandes d’asile pour obtenir le statut de refugié et donc un titre de sejour.

Quels sont les patients reçus dans la PASS de Calais ?
Nous recevons les précaires, ceux qui ne peuvent avoir accès aux soins d’une autre manière. Chez nous, à Calais, la particularité est que nous recevons 80 % de migrants ; c’est l’histoire locale qui veut cela : tous les patients migrants passent par l’hôpital. La part des précaires est très faible : 20 % : il s’agit de patients qui n’ont pas de couverture sociale (Cf. Un pas de côté : dispositifs d’accès aux soins page 10), ou qui sortent de prison, ou des SDF qui dorment dehors.

Nous faisons beaucoup de communication en direction de ces populations et de ceux qui sont confrontés à leur prise en charge afin de dire que la PASS c’est pour tous les précaires : nous déposons des flyers dans les locaux des associations, l’hôpital en envoie dans les cabinets des médecins généralistes.

Travailler en PASS, cela consiste en quoi concrètement ?
En tant que médecin urgentiste, le choix de travailler en PASS, qui peut apparaître décalé au premier abord, est en fait en parfaite cohérence : la précarité est une médecine d’urgence, tout urgentiste reçoit une formation de la précarité ; et de travailler en PASS fut un choix personnel, basé sur le volontariat.

D’un point de vue médical, il s’agit de faire face aux pathologies de la précarité (gale, fractures, rhumes, troubles digestifs, ...) tout en sachant que nous n’assurons qu’une activité de consultation ; lorsqu’il s’avère que la pathologie est plus grave, les patients sont hospitalisés dans l’hôpital même.

Au début, il s’agissait de consultations sans suivi possible car les frontières étaient ouvertes, les migrants bougeaient beaucoup et leur priorité était de passer ; mais à présent, très peu d’entre eux passent, et nous avons un suivi de chroniques (toutes proportions gardées : la chronicité à la PASS, c’est 6 mois).

En outre, la médecine pratiquée en PASS offre de nombreux points d’intérêt. Il s’agit d’une médecine polyvalente, les côtés humain et social y sont très présents. Je dirais qu’il s’agit d’une pratique médico-sociale.

Ajoutons à cela que chaque patient est différent, de par sa pathologie bien sûr, mais aussi de par son histoire et son parcours. Nous travaillons toujours avec un interprète, qui est un ancien migrant ayant obtenu l’asile. Il était enseignant dans son pays et nous avons la chance qu’il parle arabe, farsi, afghan et anglais, soient 90 % des langues utilisées par les migrants.

Enfin, travailler en PASS c’est travailler dans un contexte humain très particulier

Comme pour toute pratique médicale, il y a des jours plus difficiles que d’autres, car il existe des tensions comme ailleurs, mais ici les patients sont très reconnaissants et le respect vis-à-vis du soignant est une réalité. Nous y gagnons beaucoup en sens. L’esprit d’équipe y très fort ; toutes les personnes qui sont là le sont par choix. Quand la PASS Jules Ferry a été fermée, les soignants qui y étaient affectés ont été relocalisés dans des équipes de l’hôpital « standard ». Cela fut très difficile pour eux, d’abord parce que l’équipe si soudée fut détruite et ensuite parce qu’ils n’ont pas retrouvée la même ambiance dans leurs nouvelles équipes. Il a fallu beaucoup de réunions et de débriefings pour les accompagner dans ce changement.

Comme pour toute pratique médicale, il y a des jours plus difficiles que d’autres, car il existe des tensions comme ailleurs, mais ici les patients sont très reconnaissants et le respect vis-à-vis du soignant est une réalité.

Qu’est-ce qu’une PASS ?

Une PASS est un dispositif créé par l’article L.6112.6 du CSP :
• Adapté aux personnes en situation de précarité, qui vise à :
  > Leur faciliter l’accès au système de santé.
  > Les aider dans les démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits.

Une PASS doit :
Offrir un accès aux soins et un accompagnement soignant et social aux patients dans la perspective d’un retour à l’offre de soins de droit commun.
• Ces soins peuvent ne pas être soumis à facturation pour les patients pour lesquels il apparaît au moment de la réalisation des actes qu’ils ne pourront pas bénéficier d’une couverture sociale.
• La PASS doit agir à l’intérieur et à l’extérieur de celui-ci pour faciliter le repérage et la prise en charge de ces patients et construire un partenariat institutionnel élargi.

Le patient bénéficiaire de la PASS est un patient qui a besoin de soins externes et qui ne peut y accéder :
En raison de l’absence d’une couverture sociale ou de son incomplétude.
• Pour d’autres raisons d’ordre social : patient désocialisé, ayant des difficultés à s’orienter, devant être accompagné dans son parcours de soins.

Le profil des personnes en situation précaire a évolué en raison de la législation (mise en place de la CMU et de la CMUC) comme en raison de l’émergence de nouvelles problématiques sociales. Certains publics que leurs ressources situent au-dessus du seuil de perception de la CMU et qui ne bénéficient pas d’un contrat d’assurance complémentaire satisfaisant, préfèrent, par crainte d’un restant à charge trop important, s’adresser à la PASS pour obtenir des soins. D’autres publics, porteurs de lourdes difficultés, personnes migrantes fortement marginalisées, ou populations ROMs, arrivent en grand nombre dans certaines permanences.

 Il incombe aux établissements de santé la mission de service public de contribuer à la lutte contre l’exclusion sociale en relation :
Avec les autres professions et institutions compétentes en ce domaine.
• Ainsi que les associations qui œuvrent dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion, dans une dynamique de réseaux » (articles L.6112-1, 7° et L.6112-2 du CSP).

Il leur appartient aussi de garantir « l’égal accès de tous aux soins qu’ils dispensent » de veiller « à la continuité de ces soins, en s’assurant qu’à l’issue de leur admission ou de leur hébergement, tous les patients disposent des conditions d’existence nécessaires à la poursuite de leur traitement. À cette fin, ils orientent les patients sortants ne disposant pas de telles conditions d’existence vers des structures prenant en compte la précarité de leur situation ».
Pour réussir sa mission, une permanence d’accès aux soins de santé doit être en mesure de créer des partenariats forts tant au sein de l’hôpital qu’avec les acteurs sociaux, le tissu associatif, les réseaux de santé, la médecine de ville, les cabinets dentaires.

Autres PASS
...Une spécialisation thématique (des PASS) s’est opérée à la fin de l’année 2009, conduisant à la mise en place de PASS spécialisée en soins psychiatriques, soins bucco-dentaires et de PASS à vocation régionale.

Les équipes mobiles psychiatrie précarité (EMPP)
Chez les personnes en situation de précarité, l’exclusion révèle des troubles psychiatriques sous-jacents qui vont se décompenser.
Ces équipes, dont le cadre d’action est fixé par la circulaire du 23 novembre 2005 :
• Interviennent à l’extérieur des établissements, au plus près des lieux de vie des personnes défavorisées et des acteurs sociaux qui les suivent.
• Elles peuvent ainsi accompagner ces personnes dans leurs parcours de soins mais également former et conseiller les acteurs sociaux pour leur permettre de mieux appréhender les troubles psychiques ou les situations de détresse sociale.

Une évaluation a permis d’observer le fonctionnement de près de 120 EMPP en France métropolitaine et en Outre-Mer. Une grande partie a été créée entre 2007 et 2010 et est, en majorité attachée à un établissement de santé. Dans la plupart des cas, l’équipe est composée d’au moins un infirmier (93 %) et/ou d’un psychiatre (90 %) et/ou d’un psychologue (78 %). Le plus fréquemment, ce sont les psychiatres qui coordonnent l’équipe dont le fonctionnement fait l’objet d’une formalisation dans les projets médicaux des établissements.
Les EMPP sont réparties dans toutes les régions françaises : en moyenne, leur aire d’intervention couvre des territoires d’environ 350 000 habitants. Les régions caractérisées par des indicateurs de précarité particulièrement élevés – RhôneAlpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, NordPas-de-Calais, Pays de la Loire, MidiPyrénées, Bretagne – ont mis en place de 4 à 8 équipes. En Ile-de-France, plus d’une douzaine d’équipes fonctionnent.
Concernant la zone d’intervention des EMPP, un peu plus de la moitié est localisée dans des territoires urbains, 40 % exercent sur des territoires mixtes (urbain et rural). Les équipes interviennent majoritairement hors des locaux. Ce dispositif est financé dans le cadre de la DAF Psychiatrie. Une procédure d’actualisation et d’amélioration des connaissances de fonctionnement de ces équipes est en cours, de même que des réflexions sont menées sur leur partenariat avec les services d’urgence hospitaliers et les PASS à vocation psychiatrique.

Les PASS ambulatoires sont des dispositifs d’accueil médical et social et d’orientation vers le droit commun, destinés aux personnes en situation d’exclusion au sein du système de santé ambulatoire. Cette possibilité de recourir, de façon complémentaire, à des structures de ville, a été envisagé notamment par l’ARS Ile-de-France. Celle-ci a ainsi lancé une expérimentation de PASS ambulatoires, dispositifs de coordination de premier recours complétant les PASS hospitalières et fonctionnant par des engagements conventionnels entre les opérateurs du système de santé et avec les partenaires locaux (services municipaux et départementaux, Caisses d’Assurance Maladie, services hospitaliers de proximité...). L’objectif de l’expérimentation étant de tester un nouveau mode de dispositif PASS, extra-hospitalier, porté par une collectivité locale ou un réseau de santé.
Ces PASS Ambulatoires ont vocation d’assurer l’accès à des consultations de médecine générale, à des soins infirmiers, à la délivrance de médicaments, aux soins de prévention (vaccination, dépistage…) …, et à permettre l’orientation, si nécessaire, vers des services d’analyse biologique, d’imagerie médicale, voire des consultations de spécialité. Six dispositifs de PASS ambulatoires sont actifs à ce jour en Ile-de-France

De quoi vit la PASS ?
La PASS est financée par les missions d’intérêt général (MIG).
La PASS bénéficie aussi de l’impulsion portée par les CLS (NDLR : contrats locaux de santé, signées entre l’ARS et les collectivités territoriales dans le but notamment de faciliter les parcours de soins.

En effet, on sait à présent que la population de patients pris en charge par la PASS consulte tardivement pour des maladies graves ; et donc a une perte de chance qui se traduit en une augmentation de la morbidité et de la mortalité (cf. Dossier).

Mais ce financement ne couvre que les activités de consultations ; or, comme nous l’avons évoqué plus haut, il arrive qu’une hospitalisation soit nécessaire et dans ce cas de figure, il n’y a pas de financement spécifique. Ici, à la PASS de Calais, il n’y a jamais eu de problème, ni de la part de la direction, ni de la part de l’ARS qui a toujours soutenu la PASS. Le médecin est souverain dans son exercice, il n’y a pas à demander d’autorisation avant que les patients de la PASS soient hospitalisés ; le DH n’a jamais évoqué de problème de budjet dans ces situations ni vis-à-vis de la pharmacie de la PASS. A la PASS de l’hôpital de Calais, c’est simple : les médecins soignent et c’est à la direction de trouver les moyens de soigner. Depuis 1999, 3 DH de sont succédés (NDLR : seulement !), la ligne a toujours été la même.

Néanmoins, il y aurait des choses à améliorer : l’activité des PASS est chronophage, malgré tous ces efforts, les budgets ne sont pas pour autant adaptés. Il faut, comme à Calais, les considérer comme des services à part entière, avec leur budjet propre. La PASS est un dispositif qui devait être transitoire mais est devenu un service à part entière avec sa spécificité, son expertise médico-sociale qui doit prendre en charge toutes les précarités mais aussi suppléer le manque de médecins généralistes (baisse de la démographie médicale).

Financement des PASS
Relèvent du financement par la MIG PASS :
Les activités de facilitation de l’accès aux soins.
• De prise en charge et d’accompagnement.
• Hors hospitalisation et consultations facturables, de patients en situation de précarité. L Sont intégrées également dans le financement le pilotage, la coordination et l’évaluation de ces permanences

Le budjet de la PASS couvert par la MIG correspondante doit donc intégrer :
• Les frais de personnel.
• Ainsi que tous les frais liés à l’activité de la PASS, comme notamment les dépenses pharmaceutiques, les frais d’examens médicaux, les prestations d’interprétariat, des frais de transport dans une PASS mobile.

Le montant minimal requis pour une PASS généraliste s’établit à 50.000 euros (soit 100 patients minimum pris en charge).

Il convient de distinguer :
• La dotation MIG PASS ;
• De la dotation MIG précarité, qui selon le guide MIGAC « sert à financer les surcoûts structurels et organisationnels générés par la présence, dans une proportion plus forte que la moyenne, de patients précaires au sein de la population prise en charge dans l’établissement de santé. Il s’agit majoritairement de frais de personnels dédiés et de factures impayées ».

De votre point de vue, quel est l’apport d’une PASS à l’accès aux soins ?
La PASS est une bonne réponse au droit fondamental de chacun à bénéficier de soins. Elle supplée aussi le manque de médecins traitants.

Les PASS ont pleinement leur place dans l’accès aux soins au sein du territoire. Elles permettent une prise en charge globale, tant médicale que sociale ; c’est un espace où le relationnel est très important, où la dimension humaine a une grande place.

Nous travaillons en lien avec l’extérieur de l’hôpital, puisque la population reçue dans la PASS est accompagnée par des associations comme le Secours Catholique, Salam, Médecins du Monde, MSF, l’auberge des migrants mais bien sûr aussi par des médecins généralistes.

Nous travaillons également en lien étroit avec les autres services de l’hôpital où nous sommes connus et reconnus. En fait, nous avons une activité transversale (assistante sociale, interprète) qui bénéficie aux autres services de l’hôpital.

Chaque année, un COPIL PASS se réunit avec un représentant par structure impliquée dans la prise en charge intra et extra hospitalière des patients reçus par la PASS. Il y a ainsi autour de la table la PASS bien sûr, l’ARS, les associations locales, la CPAM, la municipalité, la coordination PASS Pas-de-Calais.

Nous y discutons notamment du rendu de l’activité et du fonctionnement.

Au-delà de l’accès aux soins, la PASS est lieu de brassage entre deux populations qu’elle rapproche ainsi (précaires et migrants) ; en ce sens, elle est un lieu de cohésion sociale alors que le contexte actuel est souvent au rejet et à la rupture.


Mais si je cherche bien, ce qui nous marque le plus et nous fait le plus de bien c’est quand nous rencontrons un de nos anciens patients qui s’est intégré dans la vie de la ville et dans la vie en général. Cela, oui, c’est un moment marquant

En conclusion : Pourriez-vous nous rapporter un souvenir marquant ?
Il y en a beaucoup !
Par exemple, quand nos collègues de la PASS de Dunkerque ou d’autres PASS de France qui viennent nous visiter ou nous appellent cela fait plaisir à nos équipes car c’est notre expérience qui est reconnue par ces gestes.

Mais si je cherche bien, ce qui nous marque le plus et nous fait le plus de bien c’est quand nous rencontrons un de nos anciens patients qui s’est intégré dans la vie de la ville et dans la vie en général.

Cela, oui, c’est un moment marquant.


Dr Mohamed El Mouden
Chef de service PASS de Calais
PH urgentiste

L’accès aux soins à l’hôpital des personnes en situation de précarité en France :
Les constats de Médecins du Monde dans 23 villes en France

Les Permanences d’accès aux soins de santé (Pass) constituent un dispositif créé par la loi du 29 juillet 1998, « visant à faciliter l’accès [des personnes en situation de précarité] au système de santé et à les accompagner dans les démarches nécessaires à la reconnaissance de leurs droits ». L’organisation, le fonctionnement et les missions des Pass ont été depuis précisées par plusieurs circulaires, la dernière datant de juin 2013

En 2010, MdM avait réalisé un premier état des lieux du fonctionnement des Pass dans les villes où l’association était présente. Sept ans après, l’association renouvelle cet état des lieux et rapporte ainsi les observations de ses équipes sur l’accès aux soins à l’hôpital dans 23 villes.

Ainsi près d’un quart des équipes de MdM estiment que les hôpitaux refusent ‘souvent à très souvent’ des patients concernés par la Pass.

Si depuis 2010, les équipes de MdM constatent des améliorations dans le fonctionnement des dispositifs Pass, avec notamment une augmentation des ressources humaines dédiées au cours des dernières années, en temps d’assistant social, d’infirmier ou même de médecin, de nombreuses difficultés persistent cependant. Le non recours à l’interprétariat reste fréquent. Les activités « or les murs » semblent se développer, mais ces activités sont souvent trop ponctuelles (intervention dans un bidonville, dans un centre d’accueil et d’orientation (CAO).

Près de la moitié de nos équipes observent que les hôpitaux avec dispositif PASS connaissent une saturation de l’accès à ces consultations, avec des délais de rendez-vous parfois très longs et par conséquent de nombreuses personnes refusées chaque jour.
Ainsi près d’un quart des équipes de MdM estiment que les hôpitaux refusent ‘souvent à très souvent’ des patients concernés par la Pass.

L’enjeu de la capacité d’accueil des Pass est central. L’amélioration des moyens alloués reste ainsi fragile et insuffisante, et on peut se demander si le dispositif tel qu’il est conçu peut en lui-même faire face aux besoins d’accès aux droits et aux soins des populations en précarité à l’hôpital. Dans 9 villes les équipes de MdM ont constaté un impact en octobre 2016 du démantèlement du bidonville de Calais sur le fonctionnement des Pass, avec une augmentation de la fréquentation de ces Pass, un allongement de la durée d’obtention des rendez-vous, de nombreux patients revenant à MdM…

De plus, l’accueil de tous les publics par les dispositifs Pass est loin d’être systématique :
les personnes sans droits potentiels (nombreuses y compris en raison des mauvaises pratiques des caisses d’assurance maladie) ne sont pas toujours accueillies.

L’accès au plateau technique est régulièrement différé pour ces patients dans l’attente de l’ouverture de leurs droits.
L’enjeu de la prise en charge des personnes en précarité à l’hôpital se situe au-delà du fonctionnement des Pass elles-mêmes.

L’accès des personnes à un accompagnement social au sein de l’hôpital pour l’ouverture des droits est très aléatoire. Ainsi les équipes de MdM voient régulièrement des patients pris en charge par des services des urgences ou sortant d’hospitalisation avec des factures impossibles à honorer, ou avec des ordonnances alors même qu’ils n’ont pas de droits ouverts.

Parfois encore, le bureau des entrées joue un rôle de véritable « filtre » administratif, sans même orienter les patients vers le service social ou demandant un paiement des soins préalable (demande de « caution préalable »). Toutes ces pratiques favorisent les reports ou les renoncements aux soins.
Enfin, il n’est pas rare que les équipes de MdM voient des patients reporter leurs soins alors qu’ils pourraient relever des soins urgents et vitaux. Ce constat met en évidence une interprétation souvent restrictive des « soins urgents et vitaux » par les médecins hospitaliers, interprétés uniquement sous l’angle de l’urgence vitale, et non de « l’absence de soins qui entraînerait une altération grave et durable de l’état de santé » (ex : perte de la vue...) tel qu’il est prévu dans les textes.

Face à ces constats, MdM appelle à poursuivre et à consolider l’ouverture des Pass en France généralistes mais aussi pédiatriques, psychiatriques et dentaires, notamment dans les villes où les indicateurs de précarité sont élevés, ainsi que de Pass mobiles, dispositif de proximité pour repérer et aller au-devant des individus les plus éloignés des structures de soins.

MdM rappelle, avec l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) :
Que le dispositif doit proposer un accueil et des soins inconditionnels, pour toute personne démunie financièrement, possédant une couverture médicale incomplète ou sans droits aussi longtemps que nécessaire selon la situation médicale.
• L’approche doit y être pluridisciplinaire, incluant le recours à des interprètes professionnels pour les personnes non francophones et l’accompagnement dans les démarches nécessaires à la reconnaissance des droits.
• Les décisions d’hospitalisation, de choix de stratégies diagnostiques et thérapeutiques doivent se fonder sur des critères médicaux et non socio-administratifs ou économiques.
• Les soins délivrés doivent être gratuits aux points d’accès (c’est-àdire sans facturation à l’usager), avec ou sans ouverture de droits effective au jour des soins.
• En amont, l’accès aux droits doit être facilité notamment par le respect des textes par les caisses d’assurance maladie et un meilleur accompagnement de leur part des personnes en précarité pour l’ouverture de leurs droits.

RÉFÉRENCES
[1] (IIA 1) Le défenseur des droits jacques TOUBON Exilés et droits fondamentaux : la situation sur le territoire de Calais Octobre 2015.
[2] (IIA 2) CNCDH 7 juillet 2016 avis de suivi sur la situation des migrants à Calais et dans le Calaisis. [3] (IIA 3) CNCDH CP situation des migrants à calais en 2015 et 2016 : un même constat : toujours des milliers de migrants aux droits bafoués.
[4] (IIA 4) Ministère de la Santé, de la Jeunesse et des Sports et de la vie associative, mai 2008. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/organiser_une_pass-2.pdf
[5] (IIA 5) MAG N°8 : Prendre soin dans un camp de réfugiés [6] (IIA 6) Principaux motifs de recours de soins des populations migrantes des sites de Calais et Grande-Synthe
[7] (IIA 7) Ministère solidarité et santé octobre 2012. Plaquette CLS. http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/pacte_territoire_sante_-_plaquette_-_contrats_locaux_sante.pd
[8] (IIA 8) circulaire DGOS /R4/2013/246 du 18 juin 2013 relative à l’organisation et le fonctionnement de permanences d’accès aux soins de santé (PASS) - http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2013/06/cir_37144.pdf
[9] (IIA 9) : Dispositif PASS : Recommandations ODSE le 23 décembre 2013.


Delphine Fanget
Chargée de mission
Médecins du Monde

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°11

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