
C’est le 13 juin 2017 qu’ont été révélés les résultats de l’enquête inédite sur la santé mentale des jeunes et futurs médecins à l’initiative de l’ISNI, et en partenariat avec l’ISNCCA, l’ANEMF et l’ISNAR. Après des mois de travail, c’est la douche froide. On savait où on allait mais pas ce qu’on trouverait. Nous avons des mots, des chiffres, des constats pour alerter et réformer. On ne peut plus reculer et c’est tant mieux. C’était la première manche d’un projet ambitieux mais nécessaire.
SOUFFRIR POUR ÊTRE FORT ? VRAIMENT ?
« Quand on commence l’internat, on nous dit que ce qu’on a connu avant n’était rien comparé à ce qui nous attend. On nous dit clairement : vous allez en chier encore plus et c’est en souffrant que vous deviendrez de bons médecins… ». Les mots haletants de ce futur médecin, résonnants dans l’amphi Deniker de l’hôpital Sainte-Anne ne font que confirmer ce qui a été exposé un peu plus tôt par un quatuor syndical décidé devant une petite foule mêlant professionnels de santé, journalistes de médias nationaux, et étudiants.
« Vous êtes épuisé : vous êtes faible, vous êtes anxieux : vous n’êtes peut-être pas fait pour être médecin, vous avez besoin d’aide : comment voulez-vous aider vos patients ? » Etre parfait ou ne pas être ! Ces questionsréponses résument ce qu’était la culture de la formation médicale à la française. Utilisons l’imparfait, puisque certaines vérités ont émergé naturellement de façon dramatique trop souvent. La sphère hospitalo-universitaire est plus sensible aux risques psychosociaux sur fond de médiatisation de suicides de praticiens ou d’internes (5 depuis novembre 2016). De nombreux professionnels de santé ne vont pas bien, les étudiants ne sont pas épargnés et ça commence à se savoir. Dans une récente note sur le syndrome d’épuisement professionnel, la Haute Autorité de Santé (HAS) soulignait que les soignants étaient particulièrement « exposés » à la souffrance psychique et que de nombreuses études récentes montraient une morbidité particulièrement élevée chez ces professionnels.
MÉTHODOLOGIE : BRISER LE PLAFOND DE VERRE
Si des études ont été menées sur le sujet de la santé des soignants, notamment celle du CNOM, le versant psychique n’était pas toujours évoqué. De plus, aucune enquête nationale n’avait été réalisée sur les futurs médecins et ceux qui débutent. Pour instiguer l’évolution des mentalités, pour alerter il fallait d’abord les inviter à s’exprimer. Un questionnaire a donc été mis à disposition du 31 janvier 2017 au 1er avril 2017 pour tous les étudiants et jeunes médecins via leurs associations ou syndicats locaux, leurs associations de spécialités et par le biais d’une communication sur les réseaux sociaux. « Avec ces résultats plus qu’alarmants, il devient impossible d’ignorer la souffrance de toute une génération de jeunes médecins » affirme Ludivine Nohales, secrétaire générale de l’ISNCCA. Mettre un mouchoir sur le mal-être des carabins et tourner la tête ? Impossible ! Les résultats sont terrifiants oui… mais à la tribune c’est un esprit de combativité qui règne. Rien n’est perdu, tout est à faire. « Nous avons posé la première pierre. Les résultats ont été communiqués à la nouvelle Ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, nous n’avons pas encore eu l’occasion d’en discuter avec elle, mais nous le ferons très prochainement, nous ne lâcherons pas » précise le vice-président de l’ANEMF, Clément Le Roux. Vous avez dit déterminés ? Encore plus ! Les syndicats, forts de cette expérience inédite, n’hésiteront pas à piétiner un peu plus les tabous qui subsistent depuis trop longtemps. Le « surhomme » n’est qu’une théorie qui ne s’applique à personne, pas même aux médecins.
NON, LA JEUNESSE NE NOUS ÉPARGNE RIEN, IL ARRIVE QU’ELLE NOUS RENDE MÊME ENCORE PLUS FRAGILE SURTOUT LORSQU’ON VEUT DEVENIR MÉDECIN
LES ORIGINES DU MAL
Non, la jeunesse ne nous épargne rien, il arrive qu’elle nous rende même encore plus fragile surtout lorsqu’on veut devenir médecin. Ce n’est pas honteux, ni déshonorant, c’est la vie. Non seulement le parcours est long et fastidieux, et avec l’internat surgit la confrontation avec la mort, la conscience de tenir une vie entre ses mains sans parler du repos de sécurité qui est respecté une fois sur deux. Pourtant, c’est la solitude qui semble fonder les origines du mal. « L’impression d’être seul face aux difficultés, sans le soutien de sa hiérarchie ou des aînés, est le facteur de risque qui ressort le plus de l’enquête. « Parler de ses difficultés ne signifie pas qu’on ne peut pas être un bon médecin » souligne Leslie Grichy, la vice-présidente des questions sociales de l’ISNI. Une fois identifiées et pointées du doigt, ces origines devraient être combattues avec les armes adéquates. Si « le changement culturel » dont parle Maxence Pithon (ISNAR-IMG) ne s’opère pas d’un coup de baguette magique, des solutions existent et l’immobilisme n’est plus permis.
ACTION, RÉACTION !
Cette enquête ne doit pas et ne peut pas être un coup d’épée dans l’eau. A la tribune, chaque représentant syndical expose l’un des quatre axes à développer intensément et durablement.
Maxence Pithon
Pour l’ISNAR-IMG
« Il était primordial pour ISNAR-IMG de participer à cette enquête car ce problème de santé touche tous les niveaux d’études, des externes jusqu’aux chefs de clinique en passant par les internes en médecine générale. Il était important que les quatre structures travaillent ensemble, car actuellement et après avoir été longtemps taboue, la santé mentale des jeunes médecins/étudiants en médecine commence à être mise en valeur. Nous étions prisonniers d’une sorte de carcan assorti de discours tels que : « Les professionnels de santé vont très bien, n’en parlons pas, tout va pour le mieux ». Or, on s’aperçoit aujourd’hui grâce à cette enquête, que nous allons moins bien que la population générale. Il faut alors absolument mettre en lumière ces résultats alarmants pour être en mesure d’instaurer une prévention efficace. Lorsqu’on est professionnel de santé, on a tendance à faire de l’autodiagnostic, on se sous-évalue la plupart du temps. Donc avoir un regard extérieur sur sa santé qu’elle soit physique ou mentale est vraiment important. La médecine du travail a un rôle à jouer dans ce processus, on constate que c’est un facteur protecteur qui fait partie intégrante du plan d’action qu’il faudra mener ».
Clément Le Roux
Pour l’ANEMF
« Au sein de l’association, nous avons constaté que les externes, soit la population qui nous concerne, sont dans une situation de mal-être depuis un certain nombre d’années, certaines études à plus petite échelle l’avaient déjà montré. Nous ne connaissions pas les véritables facteurs de risque, nous avions des idées, des tendances mais pas d’enquête statistiquement valable, d’où l’importance de se regrouper pour mener une enquête qui a recueilli 22 000 réponses. Nous espérons que ce travail balaiera tous les prétextes des structures qui s’intéressent à la santé mentale dans l’unique but d’établir des constats. Avec cette enquête, nous avons voulu sortir de la phase « état des lieux » pour enclencher la phase d’action. Les quatre axes que nous avons développés durant la conférence de presse sont clairs : formation, prévention, communication et surveillance. Les étudiants doivent être soutenus, formés et doivent pouvoir bénéficier d’espaces d’échange dédiés car ce sont des facteurs protecteurs non négligeables comme a pu le révéler cette enquête. ».
Ludivine Novales
Pour l’ISNCCA
« Les structure jeunes se sont rencontrées à la suite de l’enquête du CNOM et au sein de l’ISNCCA et il était évident qu’on ne pouvait pas passer à côté de la santé mentale. Cela concerne toutes les branches de la génération de futurs et jeunes médecins. Chez ces derniers, il y a une problématique de santé mentale et elle doit être mise en évidence pour pouvoir mobiliser nos chefs plus anciens, plus aguerris, les sensibiliser eux aussi. L’hôpital entreprise entraîne un soin global de plus en plus difficile à tenir, nous ne sommes pas encore vraiment formés au management et l’accompagnement a été oublié dans certains services. Le « mentoring » est fondamental, il faut pouvoir y revenir. Certaines choses se mettent en place mais il faut dynamiser et promouvoir tout cela. Les temps relationnels sont mis à mal, avec un hôpital qui est dans l’urgence, des jeunes médecins qui consultent à tours de bras, de plus en plus de malades. Il faut remettre des temps d’échange formalisés, des réunion prévues et des réunions non prévues, du temps informel, manger avec son équipe, prendre un café avec son chef, cela permet d’évoquer d’autres problèmes comme ceux du quotidien, des liens dans l’équipe… Ce temps relationnel doit être repensé, cela va protéger les futurs et jeunes futurs contre ce stress qu’ils accumulent quand ils voient des morts, des situations insoutenables à 25 ans/30 ans, car on ne peut plus juste leur dire : « fais avec ça » ».
Leslie Grichy
Pour l’ISNI
« Les cellules d’écoute ont été créées en février 2015. Ce sont majoritairement les internes qui se sont emparés du problème. Mais des PUPH ont su nous accompagner dans notre démarche. C’est notamment le cas du Professeur Hardy sur Paris, qui nous a permis de trouver les psychiatres prêts à recevoir les internes qui en ont besoin gratuitement, anonymement et rapidement. Depuis février 2015, dix cellules d’écoute ont été mises en place à travers tout le territoire, à Bordeaux, Marseille, Rennes, Rouen, Grenoble, Caen, Nancy, Paris, Montpellier, Nice… Et celles-ci ont malheureusement eu un succès très important. Pour gérer ces problèmes là, il faut agir avant d’en arriver au point de non retour, à l’acmé du problème, avant que l’interne ne soit en grande souffrance, à bout de force et qu’il finisse par traverser la route sans regarder en se disant « finalement si je meurs, c’est mieux comme ça ». Alors tout cela n’est pas satisfaisant malgré la nécessité de ce type de structure. Il faut agir avant, via les conditions de travail quotidiennes, avec la possibilité de prise en charge par le service de santé au travail qui est un acteur majeur de la prévention. ».
LES DISPOSITIFS MIS EN PLACE
RESEAUX NATIONAUX
AAPML (Association d’Aide aux Professionnels de Santé et Médecins Libéraux)
N° Indigo : 0826 004 580
www.aapml.fr
APSS (Association pour les soins aux soignants)
www.apss-sante.org
CFAR (Collège français d’anesthésie-réanimation)
N° Vert : 0800 00 69 62
Echat : www.cfar.org/sante-au-travail-smart
MOTS (Médecin Organisation Travail Santé)
N° GSM : 0608 282 589
www.association-mots.org
SPS (Soins aux professionnels de santé)
N° Vert : 0805 23 23 36
www.asso-sps.fr
RESEAUX LOCAUX
Montpellier : EIAS (Accompagnement lors d’une Erreur, Incident, Accident liés aux Soins)
CHRU Montpellier
N° GSM : 07 88 01 40 48 (ou 1/4048 par téléphone interne)
[email protected]
Rhône-Alpes : Réseau ASRA
0805 62 01 33
[email protected]
www.reseau-asra.fr
Paris 6 : BIPE
www.fmpmc.upmc.fr/fr/la_faculte/les_commissions/bureau_interface_professeurs_etudiants_bipe.html
SOS INTERNES
Bordeaux : SOS IBA 33 (Internes Bordelais et d’Aquitaine)
[email protected]
Caen
[email protected]
Grenoble
[email protected]
Marseille : SOS SAIHM (Syndicat Autonome des Internes des Hôpitaux de Marseille)
[email protected]
Montpellier : SOS SILR (Syndicat des Internes du Languedoc Roussillon)
[email protected]
Nancy : SOS AMIN (Association des Médecins Internes de Nancy)
[email protected]
Nice : SOS IHN (Internat des Hôpitaux de Nice)
[email protected]
Paris : SOS SIHP (Syndicat des Internes des Hôpitaux de Paris)
[email protected]
Rouen :
[email protected]
Rennes:
[email protected]
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°17

