Actualités : En libéral… 12 conseils que j’aurais aimé avoir quand je me suis installée il y a 12 ans

Publié le 17 juin 2024 à 14:34
Article paru dans la revue « GÉNÉRATION S ENDOC » / Génération ENDOC N°2


Quand je me suis installée début 2012, j'ai eu la chance d'avoir reçu le soutien de ma famille et de quelques collègues. Mais un peu timide, je n'ai pas osé demander beaucoup d'aide.
J'ai fait le parcours habituel : Conseil de l'Ordre/Assurance Maladie/URSSAF/Banque /Assurance, mais si j'avais su… Voici quelques conseils que j'aurais aimé qu'on me donne en 2012 et que je te propose en 2024.

01 Définir ses objectifs

C'est le premier conseil : l'installation est un moment crucial dans la vie d'un médecin. C'est un cap qu'il n'est pas facile de franchir. Il est important de se fixer des objectifs  : comment ai-je envie d'exercer ? Pourquoi est-ce que j'envisage le libéral  ? Est-ce que je souhaite développer un mode d'exercice particulier  ? Quel type de médecine est-ce que je souhaite pratiquer ? Cette réflexion sera le fruit du chemin que tu auras fait tout au long de tes études, de ton internat, éventuellement de ton clinicat ou de ton expérience dans la recherche, mais aussi dans ta vie personnelle. Ce sont ces objectifs qui doivent guider tes décisions. Sache que dans tous les cas, l'exercice libéral, comme l'exercice hospitalier n'est pas figé. Que ce soit en t'engageant localement auprès des autres professionnels du territoire, en développant une expertise, en t'impliquant dans la formation, de nombreuses opportunités s'ouvriront sur ton chemin professionnel.

02 Se former dans les services de pointe, mais pas que 

Si tu es un jeune interne, que tu as décidé de choisir l'EDN : bravo, excellent choix. Tu es peut-être fatigué.e de ta période étudiante, la préparation des ECN et tu te dis que l'internat d'EDN va être «  cool  ». Dans tous les cas, choisis bien tes stages : va dans les meilleurs services, où tu pourras travailler avec les plus grands experts, où tu prendras en charge les pathologies graves et complexes, où tu auras un encadrement et une pédagogie de qualité. Ce sera la base de ta formation et tu te sentiras ainsi prêt.e à accompagner tous les patients qui viendront te consulter. Même si les gardes aux urgences sont souvent difficiles à vivre quand on est interne, cette expérience te permettra de faire face à quasiment toutes les urgences, à mieux évaluer la gravité d'une situation, à avoir les bons réflexes, à savoir à quel moment demander des avis ou adresser un patient au bon service. Bref, cela te permettra de ressentir moins de tensions face à des patients dont le pronostic peut être en jeu et à mieux gérer le stress.

03 Remplacer en ville

La quasi-totalité du parcours de formation des médecins se fait à l'hôpital, et heureusement ! On y est formé par des médecins universitaires dont c'est le métier et qui sont aussi des experts dans leur domaine ; on y est, pour la plupart du temps, constamment accompagné ; on peut toujours demander de l'aide et se faire relayer. Le choix de la médecine de ville est une autre façon d'exercer  ; certains commencent à pouvoir découvrir le libéral, soit par le biais de journées de découvertes, via les URPS par exemple, soit par des collaborations ville-hôpital, ou parfois simplement par connaissance. D'autres, mais encore peu nombreux, auront l'occasion de faire un stage d'interne en libéral. Lorsque cette solution ne s'est pas offerte à toi, un conseil : remplace. Le remplacement est une opportunité de vivre « une » expérience du monde libéral. Souvent, c'est la 1ère fois que l'on est vraiment responsable, seul, de ses actes médicaux. Les patients que l'on accueille ont parfois des attentes différentes. Le lieu est plus petit, plus personnalisé. On peut alors découvrir des éléments de la pratique médicale que l'on n'aurait pas imaginer : le partenariat avec les professionnels de santé locaux, la mise en place de protocoles à soi, le choix de son environnement de travail, la diversité des pathologies que l'on voit au cabinet. Et puis, remplacer peut aussi permettre de reconnaître que ce type d'exercice n'est pas pour soi à ce moment-là ou bien au contraire que c'est exactement ce que l'on cherchait... et travailler sur son projet.

04 Demander conseil

Aie le réflexe d'aller demander de l'aide à ceux qui sont installés  : que ce soit des médecins libéraux en EDN ou dans d'autres spécialités, qui sont en cabinet ou en clinique, de ta région de formation ou de celle où tu vas t'établir si tu déménages, auprès des jeunes et auprès des plus vieux. Tu pourras ainsi construire ton projet. Si tu ne connais pas ou peu de monde, la Fenarediam est bien sûr là pour t'orienter et te donner les bons contacts. N'hésite pas à te rapprocher de l'URPS  : ce sont les Unions Régionales des Professionnels de Santé, une par région qui offrent souvent des accompagnements pour les jeunes (ou moins jeunes, d'ailleurs), dont le projet est de s'installer en ville. Trouve-toi un mentor  : un médecin en qui tu te reconnais et qui va pouvoir te soutenir dans les différentes étapes de ce nouveau parcours. On a souvent l'impression que s'installer, c'est compliqué. Mais franchement, quand on sait interpréter des données de CGM ou quand on connaît par cœur l'arbre décisionnel des carcinomes papillaires thyroïdiens réfractaires, il n'y a pas de raison qu'on ne puisse pas comprendre le parcours de l'installation en ville. On te donnera une feuille de route et tu apprendras petit à petit à te familiariser avec ces termes ROSP, CPTS, SEL, CARMF et autre Apicrypt. En quelques semaines, tu auras l'impression d'avoir connu ça toute ta vie !

05 Avoir un bon comptable

L'un des aspects souvent méconnus du cabinet est l'aspect financier. Un cabinet médical est une sorte d'entreprise. Même si évidemment, on ne peut pas considérer la santé comme un commerce, un médecin libéral a des charges  : loyer, électricité, remboursement de crédit, informatique, personnel ; il souhaite éventuellement faire des investissements  : appareil d'échographie, achat des murs du cabinet, etc. Il est soumis aux même contraintes qu'un entrepreneur. Comme la gestion ne fait pas partie de notre formation (au contraire des chirurgiens-dentistes, par exemple), tu peux te retrouver pris au dépourvu. C'est là qu'un comptable jouera un rôle important. Bien gérer ses finances est essentiel pour exercer à la fois avec qualité et sérénité.

06 Bien choisir son emplacement

Ton lieu d'exercice est fondamental. Déjà sur un plan personnel, sans doute auras-tu envie de vivre à proximité  de ton cabinet : il peut être en effet très confortable de limiter les temps de trajet. Certains préfèreront vivre un peu plus à distance, parce qu'il n'est pas toujours facile de savoir comment réagir quand on croise ses patients au supermarché entre le rayon couches (ah docteur, vous avez un bébé  ?) et les pâtes à tartiner (ce n'est pas pour moi, mais pour un ami). Mais d'autres critères vont entrer en ligne de compte  : l'accessibilité des patients (transports publics, parkings, mais aussi conditions pour les personnes en situation de handicap ou encore les services d'urgence si jamais le SAMU devait intervenir) ; le type de bâtiment (ancien, neuf, isolation thermique, phonique) ; proximité d'autres professionnels de santé ou d'établissements de santé, d'un service d'urgence. Décider de s'installer dans une grande ou une petite ville, en milieu rural, dans un quartier résidentiel ou bien dans une zone déficitaire aura un impact sur le type de patientèles et la manière d'exercer. Enfin des aides financières peuvent être proposées localement, et il faut solliciter les instances publiques pour cela.

07 Sélectionner ses associés

Si certains choisissent de s'installer seul, probablement, comme la plupart des jeunes installés, choisiras-tu un mode d'exercice en groupe  : clinique, maison de santé, cabinet de groupe mono ou pluri-disciplinaire, … le choix est large. Chaque système a ses avantages et ses inconvénients, mais le plus important est de bien choisir avec qui on s'associe. Les plaintes les plus fréquentes que les conseils de l'Ordre reçoivent concernent des conflits entre médecins. Bien s'entendre sur le mode d'exercice, le partage des locaux, du personnel, des frais ; établir des contrats clairs, avec l'aide de juristes ou d'avocats ; se renseigner sur les anciens associés, éventuellement les contacter ; prévoir les conditions de séparation. Voilà toute une série d'éléments à prendre en compte. Au départ, j'ai eu l'immense chance de m'installer au sein d'un cabinet pluri-disciplinaire où j'ai été très bien accueillie, mes collègues m'ont soutenu, aidé quand je faisais face à des difficultés, présenté à leurs correspondants dans un quartier où je ne connaissais pour ainsi dire personne. Ils m'ont ouvert leurs réseaux et je ne les en remercierai jamais assez de m'avoir épaulé et de m'avoir fait confiance.

08 Avoir un excellent logiciel et passer du temps à le paramétrer

Aujourd'hui, personne (enfin je crois !) n'imagine encore commencer d'exercer avec des dossiers papiers. Si tu t'installes dans une maison de santé pluri-disciplinaire ou une clinique, peut-être devras-tu utiliser le logiciel déjà existant dans la structure. Sinon, à toi de faire le bon choix. Certains diront que tel logiciel n'est pas ergonomique, que tel autre est cher, ou encore celui-ci n'est pas « Ségur-compatible  ». Alors, lequel choisir  ? celui qui TE correspond. Définis 3 critères qui te semblent essentiels  : simple, complet, ultra-paramétrable, compatible sur PC, en ligne, couplé à l'agenda, économique, ergonomique, etc. Interroge tes collègues de la spécialité, du cabinet où tu vas t'installer. C'est un choix FONDAMENTAL et un investissement qu'il ne faut pas négliger. Le paramétrage est essentiel : tu pourras gagner un temps précieux que ce soit en consultation ou pour le côté administratif, et c'est donc plus de temps pour toi, sans rogner sur celui pour les patients.

09 Se faire connaître des autres professionnels de soins localement

Certes, à l'heure des plateformes de prise de RDV en ligne et des déserts médicaux, d'aucuns diront que remplir son agenda et se faire une patientèle est assez facile. Néanmoins la médecine est un travail d'équipe. Travailler en libéral ne veut pas dire tout faire tout seul. Rappelons que l'endocrinologue requiert un accès via le médecin traitant ou un autre spécialiste dans le cadre du parcours de soins coordonné et que l'on va devoir aussi adresser nos patients au cardiologue, à l'ophtalmo, au pédicure, etc. N'oublions pas les infirmiers libéraux qui vont accompagner les personnes dépendantes à domicile, mais aussi les pharmaciens qui voient nos patients tous les mois. Va les rencontrer et te présenter  : adresse-toi au président de la CPTS dont vous dépendez, rentre dans les pharmacies du quartier, prends RDV avec les spécialistes du coin, écris aux établissements de santé, va aux réunions d'amicale des médecins généralistes. Bref, tu vas peu à peu créer un réseau qui sera précieux pour la qualité de ton exercice et de la prise en charge de tes patients.

10 Avoir prévu une conduite à tenir en cas d'urgence

Il t'arrivera sans doute de te retrouver face à un patient dont le pronostic vital est engagé. Un de mes patients est arrivé en choc septique sur une plaie de pied, ma collègue a eu un patient en coma hypoglycémique dans son bureau et une autre m'a raconté le choc anaphylactique pendant la cytoponction thyroïdienne. C'est dans ce type de situation qu'on insiste sur l'absolue nécessité d'avoir un protocole de conduite à tenir en cas d'urgence  : de l'adrénaline, du glucagon (et du sucre !), les numéros d'urgence sous la main (tout le monde connaît le 15… mais pas toujours, celui des ambulances ou des urgences de proximité), peut-être même un défi brillateur semi-automatique et/ou un ECG . Prévois aussi un extincteur et les contacts du type  : plombier, électricien, commissariat. Si tu en as, forme ton personnel aux soins de premiers secours.

11 Trouver un.e assistant.e de qualité

Sujet très «  touchy  ». Certains disent qu'avoir un assistant.e est trop cher : en effet, le salaire, les charges, sans compter le local. Dans certaines villes, où le loyer est élevé, avoir un assistant est un investissement trop important. Il faut aussi prévoir les remplacements, notamment en cas de congés payés ou de maladie. Néanmoins, un assistant peut être partagé si on est plusieurs. Il existe des aides pour employer un assistant médical : attention il faut qu'il/elle suive une formation spécifique, et tu devras monter un dossier auprès de sa caisse locale d'Assurance Maladie ; il sera exigé un certain nombre de patients «  en fi le active  » et d'être affilié au secteur 1 ou au secteur 2-OPTAM. Une alternative est d'avoir un.assitant.e à distance, qui s'occupe de l'accueil téléphonique et à qui on peut demander aussi des tâches administratives : comptabilité, archivage, envoi de documents aux patients, etc. Bref si tu décides de renoncer à travailler avec un.e assistant.e, n'oublie pas que tu t'engages à augmenter les tâches administratives, celles qui pèsent le plus sur le quotidien, et qui peuvent avoir un impact majeur sur ta charge mentale. Prendre soin de soi, c'est aussi savoir déléguer.

12 Établir une organisation rigoureuse

Pour ne pas se sentir débordé.e, il faut pouvoir anticiper. Par exemple, la gestion de ton agenda de RDV est un élément clé. Prévois des plages de consultation de suivi, d'autres pour les nouveaux patients, et pour les téléconsultations. Anticipe aussi le temps de lecture du courrier, des mails, ainsi que la partie administrative (comptabilité). Si tu décides de faire de la télésurveillance, prévois une plage dédiée. Bloque aussi des créneaux pour faire le point : avec tes collègues, ton assistant.e. Surtout, participe à des staff s, à des réunions (comme celle de l'amical d'endocrinologie de ta région). Organise-toi pour participer à une formation et/ou à un congrès au moins une fois par an. Ce n'est certainement pas une perte de temps. Non seulement cela te permettra d'être au courant des dernières actualités mais aussi de rencontrer tes collègues. L'investissement sera largement rentabilisé.

Je suis sûre qu'il y aurait de quoi écrire un livre entier sur ce sujet.

N'hésite pas à nous contacter par mail [email protected] et bonne installation à toi !


Dr Emmanuelle
LECORNET-SOKOL
Endocrinologue
Paris

Publié le 1718627699000