Actualités : Electrophysiologie cellulaire cardiaque appliquée à l’utilisation des anti-arythmiques

Publié le 25 mai 2022 à 07:25

Du fait de leurs mécanismes d’action complexes et de leur toxicité potentielle, les antiarythmiques sont des traitements difficiles à utiliser en pratique clinique. L’objectif de cet article est de fournir un bref rappel des grands principes de l’électrophysiologie cellulaire cardiaque et du mécanisme d’action des antiarythmiques, permettant de comprendre et d’optimiser le choix d’un traitement antiarythmique selon la situation clinique.

Rappels de base d’électrophysiologie cellulaire
Un cardiomyocyte peut être assimilé à un circuit électrique :

  • La membrane plasmique constituée de phospholipides représente le condensateur. Elle joue le rôle d’isolant en séparant le milieu intracellulaire chargé négativement et le milieu extracellulaire chargé positivement.
  • Les canaux ioniques créent des conductances (inverse de la résistance) et permettent le transit ionique.
  • Les mouvements d’ions à travers la membrane sont à l’origine de « courants électriques biologiques ».
  • Le gradient électrochimique est maintenu en permanence grâce à la pompe Na-K-ATPase et l’échangeur NCX (Na-Ca).

Le potentiel d’équilibre de chacun des ions est déterminé par l’équation de Nernst qui prédit le potentiel électrique nécessaire pour contrebalancer le gradient de concentration de part et d’autre de la membrane. Ainsi, le potentiel d’équilibre de l’ion potassique est aux alentours de -90mV, le potentiel d’équilibre du sodium est à + 70 mV et celui du calcium à + 125 mV.

Lorsque le potentiel de membrane est inférieur au potentiel d’équilibre de l’ion, le flux d’ion est entrant. Inversement lorsque ce potentiel de membrane est supérieur au potentiel d’équilibre, le flux est sortant. On comprend ainsi que les courants sodiques et calciques entrants sont dépolarisants alors que le courant potassique sortant est repolarisant.

Le potentiel d’action représente la résultante de ces courants ioniques entrants et sortants.


Figure 11 : Schéma représentant la membrane plasmique d’un cardiomyocyte avec les principaux canaux ioniques et le mécanisme de couplage excitation-contraction. Le calcium entrant dans la cellule se lie aux récepteurs de la Ryanodine (RyR2) ce qui entraîne le relargage de calcium par le réticulum sarcoplasmique : « calcium induced-calcium release »).

Les potentiels d’action cardiaques
On distingue deux principaux types de potentiels d’action cardiaques : les potentiels d’action sodique et calcique.

Les cardiomyocytes à l’étage atrial et ventriculaire présentent un potentiel d’action dit sodique, à réponse rapide :
Il peut être décomposé en 5 phases distinctes :


Figure 22 : Différentes phases d’un potentiel d’action dit « sodique ».

Les cellules nodales, localisées dans le noeud sinusal et le noeud atrioventriculaire, sont dotées d’automaticité et ont un potentiel d’action dit « calcique »


Figure 32 : Différentes phases d’un potentiel d’action dit « calcique ».

La phase 4 de dépolarisation diastolique spontanée confère à ces cellules leur automaticité. La pente de cette phase de dépolarisation est variable selon les cellules nodales et les conditions de stimulation sympathique et para-sympathique. Les cellules nodales ayant la pente la plus élevée (en général celles du noeud sinusal) constituent le pacemaker physiologique de l’organisme, les cellules situées plus en distalité des voies de conduction constitueront les pacemakers subsidiaires.

Il n’existe pas de vraie phase de plateau dans les cellules nodales (phase utile au mécanisme de couplage excitation / contraction dans les cardiomyocytes).

Classification des anti-arythmiques

(*) : L’amiodarone exerce également une activité antiarythmique de classe I, II et IV et possède donc une action sur l’ensemble des conductances ioniques.

Influence de la FC sur l’effet des AAR

  • Le blocage des canaux sodiques par les AAR de type I est amplifié par l’augmentation de la FC (élargissement des QRS et effet potentiellement arythmogène ; exemple du flutter flécaïnique).
  • Au contraire, l’action des AAR de classe III est augmentée en cas de bradycardie (effet dit « reverse-use dependence ») avec une prolongation de la durée du PA plus importante pour des FC basses (allongement du QT et risque de torsade de pointes).

Utilisation des antiarythmiques en pratique clinique
AAR et arythmies ventriculaires Pour savoir quel antiarythmique utiliser en priorité, il faut tout d’abord comprendre le mécanisme de l’arythmie ventriculaire.

  • En cas de TV ré-entrante (ex : séquelle d’infarctus, de myocardite, fibrose en lien avec une cardiomyopathie dilatée), il faut privilégier l’utilisation d’AMIODARONE et de β -BLOQUANTS. Les AAR de classe I sont inefficaces dans ce cas et peuvent aggraver la situation.

Explications : une ré-entrée est définie par une longueur d’onde (WL) et doit être contenue dans une « masse critique de tissu » (MC). Pour que la ré-entrée s’entretienne, il faut obligatoirement que la masse critique soit supérieure à la longueur d’onde. La longueur d’onde est le produit de la vitesse de conduction par la période réfractaire (WL = VC x PR).

  • En utilisant des AAR de classe III (bloqueurs des canaux potassiques), on allonge la durée de repolarisation, la période réfractaire, et on augmente donc la longueur d’onde du circuit ce qui favorise l’arrêt de la ré-entrée.
  • Au contraire les AAR de classe I diminuent la vitesse de conduction de l’influx, diminuent la WL du circuit et favorisent donc les ré-entrées (cf. étude CAST3 : la flécaïne augmente la mortalité en cas de cardiopathie ischémique).
  • En cas de TV/FV à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde, il faut privilégier l’introduction précoce de β-BLOQUANTS associée à l’utilisation de LIDOCAÏNE et/ou AMIODARONE.
    Explications : à la phase aiguë d’un infarctus du myocarde (≈6h à 48h post IDM), la souffrance des cellules du réseau de Purkinje génère des automatismes anormaux ou activités déclenchées. Les arythmies ventriculaires à la phase aiguë d’un IDM sont l’une des dernières indications potentielles de la LIDOCAÏNE, efficace sur ces activités déclenchées naissant du Purkinje.
  • A la phase aiguë d’une arythmie ventriculaire et/ou en contexte d’orage rythmique, il faut privilégier l’utilisation de β-bloquants non sélectifs qui possèdent à la fois une action β-1 et β-2 bloquante et permettent donc de diminuer de façon plus importante le tonus adrénergique.

Il a ainsi été démontré que l’utilisation combinée d’amiodarone IV et de propranolol (β-bloquants non sélectifs) était supérieure à la combinaison amiodarone IV et métoprolol chez les patients porteurs d’un DAI et présentant un orage rythmique, avec une réduction d’environ 2,5 fois des arythmies ventriculaires et des chocs électriques internes4.

Enfin, certaines situations particulières d’orage rythmique sur canalopathies méritent d’être connues :

  • En cas de syndrome de Brugada, l’ISOPRENALINE peut être utilisée à la phase aiguë d’un orage rythmique car elle permet de diminuer le gradient transmural de repolarisation.
  • En cas de torsade de pointes à couplage court ou de fibrillation ventriculaire idiopathique, l’ISOPTINE pourra être utile en phase aiguë avant de discuter l’ablation de l’ESV initiatrice.
  • Enfin, en cas de tachycardie catécholergique, il faudra privilégier l’utilisation d’un β-bloquant non sélectif associé à une sédation optimale.

AAR et arythmies atriales : stratégie contrôle du rythme dans la FA
FLÉCAÏNE

La flécaïne est un bloqueur des canaux sodiques et diminue donc la vitesse maximale d’entrée du sodium en phase 0 du potentiel d’action des cardiomyocytes atriaux. Cela entraîne un allongement du potentiel d’action et de la période réfractaire, un ralentissement de la propagation de l’influx électrique et une diminution de l’excitabilité et de l’automaticité permettant de diminuer les arythmies atriales provoquées par réentrées ou automatismes anormaux.


Figure 4 : Schéma représentant l’effet de la flécaïne sur le potentiel d’action d’un cardiomyocyte atrial.

Au contraire, la flécaïne entraîne un raccourcissement des périodes réfractaires au niveau des cellules nodales et notamment du noeud atrioventriculaire par action sympathomimétique.

Flutter flécaïnique, explications : la diminution de la fréquence atriale associée à une augmentation des périodes réfractaires peut favoriser la survenue de macro-réentrées (flutter atrial typique notamment). Les périodes réfractaires du NAV étant raccourcies, l’arythmie pourra être conduite en 1 :1. Il est donc recommandé d’associer au traitement par flécaïnide un traitement ralentisseur type bétabloquant, afin de diminuer l’activité sympathomimétique et le risque de « flutter flécaïnique ».

Enfin, la flécaïne est contre-indiquée chez les patients ayant une cardiopathie ischémique ou une dysfonction ventriculaire gauche, compte tenu de son effet pro-arythmique démontré dans l’étude CAST3 (taux de mort subite 2 à 3 fois plus important sous traitement par Flécaïne).

AMIODARONE
L’amiodarone possède une action de blocage sur l’ensemble des conductances ioniques ainsi qu’un antagonisme alpha et béta-adrénergique. Il en résulte un allongement des potentiels d’action ainsi qu’un allongement et une homogénéisation des périodes réfractaires. Il s’agit du seul antiarythmique recommandé pour contrôle de rythme en cas d’altération de la FEVG.

SOTALOL
Le Sotalol possède des propriétés inhibitrices béta-adrénergique, auxquelles s’ajoute une action de classe III de blocage des conductances potassiques. Du fait de son effet inotrope négatif, ce médicament n’est pas recommandé chez les patients présentant des signes d’insuffisance cardiaque non contrôlée.

Efficacité des anti-arythmiques dans le maintien en rythme sinusal
Une méta-analyse récente3 incluant 21 305 patients a montré une réduction des récidives de fibrillation atriale d’environ 20 à 50 % après stratégie de contrôle de rythme par anti-arythmique, les meilleurs résultats étant obtenus avec l’amiodarone. Le taux de récidives de FA à 1 an reste toutefois élevé, compris entre 43 % et 67 %. A noter également une augmentation significative de la mortalité sous Sotalol (OR 2.23, 95 % CI 1.1 – 4.5)5.

L’efficacité de contrôle du rythme sous traitement AAR est donc inférieure à celle obtenue après ablation de FA (≈60 à 70 % d’absence de récidive à 1 an après ablation de FA paroxystique quelle que soit la technique utilisée)6.

Références

  1. Min Luo, et al. Mechanisms of Altered Ca2+ Handling in Heart Failure Circulation Research. 2013.
  2. App.pulsenotes.com/medicine/cardiology/notes/electrophysiology
  3. Ruskin JN. The Cardiac Arrhythmia Suppression Trial (CAST). N Engl J Med Massachusetts Medical Society; 1989.
  4. 4. Chatzidou S, et al. Propranolol Versus Metoprolol for Treatment of Electrical Storm in Patients With Implantable Cardioverter-Defibrillator. J Am Coll Cardiol 2018
  5. 5. Lafuente‐Lafuente C, et al. Antiarrhythmics for maintaining sinus rhythm after cardioversion of atrial fibrillation. Cochrane Database Syst Rev John Wiley & Sons, Ltd; 2015.
  6. 6. Andrade JG, et al. CIRCA-DOSE Study Investigators. Cryoballoon or Radiofrequency Ablation for Atrial Fibrillation Assessed by Continuous Monitoring: A Randomized Clinical Trial. Circulation 2019.

Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°12

Publié le 1653456352000